Allaitement et espace public

Me revoilà, un enfant et quelques (quelques seulement…) transformations plus tard. Je ne ferai pas un article sur la réalité brute de la maternité de manière générale, je pense qu’il en existe déjà, bien que chaque expérience soit singulière. Si je me trompe, n’hésitez pas à me le dire en commentaire de cet article.

Je vais profiter de la semaine française de l’allaitement pour me concentrer sur cet aspect particulier de la maternité qu’est l’allaitement. Et plus précisément l’allaitement dans un espace public. Il s’en dit et s’en lit beaucoup à ce propos: des femmes qui ont allaité au musée, dans un café, au restaurant, dans un parc, et pour la plupart cela se passe très bien. Toutefois, certaines doivent faire face à des commentaires acerbes, à des regards intimidants ou jugeants, lorsque ce n’est pas à des agressions physiques (nombre d’articles de faits divers existent à ce sujet) !

C’est un acte pas banal, mais naturel. L’intime et le public s’entrechoquent.

Comment comprendre que certaines personnes ressentent une telle agressivité, un tel rejet, voire un profond dégoût pour ces femmes qui allaitent dans un lieu public ?

C’est un acte pas banal, mais naturel. L’intime et le public s’entrechoquent. La relation entre une mère allaitante et son bébé peut renvoyer à l’observateur une telle fusion, une telle complicité, qu’il peut se sentir exclus et avoir envie d’exclure en retour.

Mais il y a aussi le fait que les seins sont aujourd’hui quasiment exclusivement considérés comme des attributs érotiques. On oublie leur fonction nourricière, qui n’a rien de sexuel. C’est donc non seulement l’intime et le public qui s’entrechoquent, mais l’érotique et le naturel (on pourrait même dire l’essentiel, le physiologique).

Et si le malaise que ressentent certains à la vue d’une femme qui allaite provenait de cette imbrication ?

Vos avis m’intéressent.

Comment concilier intimité et convictions féministes ?

Vous êtes-vous déjà demandé comment vous pouviez concilier vos valeurs et votre mode de vie ? Est-ce que certaines contradictions entre ces deux aspects de votre personne étaient frustrantes, désagréables ? Ou au contraire, vous êtes-vous toujours senti en accord avec vous-même ? 

Ces questions, je me les suis déjà posées à maintes reprises, notamment en ce qui concerne mon « identité » féministe et mon mode de vie pas toujours en adéquation avec mes convictions. Quelques exemples concrets pour illustrer ce conflit interne : je suis féministe, et pourtant j’ai déjà fréquenté des personnes qui faisaient des blagues sexistes, j’ai déjà eu des fantasmes sexuels qui semblaient contraires à mes principes féministes, j’ai déjà eu des pensées et des paroles peu tendres à l’égard de la tenue vestimentaire d’une autre femme. Je suis féministe et je me suis aussi déjà surprise à penser de façon totalement automatique qu’« un » médecin ou que « le » lieutenant étaient forcément des hommes. Et je pourrais certainement trouver encore bien d’autres exemples. 

 

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L’idée est de s’interroger sur la façon dont chacun et chacune peut vivre avec ses différentes identités et ses valeurs, et sur les conflits qui peuvent émerger au sein de la vie psychique autour de ces questions

En échangeant avec des connaissances/amies/collègues autour de moi, je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule à me questionner sur ces aspects, qui peuvent paraître dans un premier temps contradictoires. C’est dans ce contexte que nous avons eu l’idée, avec mon amie et collègue Romy Siegrist, également psychologue FSP, de développer un groupe de parole autour de ces questions. C’est à SexopraxiS que ce groupe de parole prend place depuis 2018, plusieurs fois par année. L’idée est donc de s’interroger sur la façon dont chacun et chacune peut vivre avec ses différentes identités et ses valeurs, sur les conflits qui peuvent émerger au sein de la vie psychique autour des questions de l’intimité et des sexualités, que ce soit en lien avec des convictions féministes ou non. 

Récemment, nous avons opté pour une formule quelque peu modifiée, en proposant un thème de discussion en première partie de soirée, tout en laissant la seconde partie destinée à des échanges de parole libres. Le dernier groupe a traité en première partie des disputes au sein du couple, avec la question de fond : quelle est la limite entre dispute et violence (psychologique, physique, sexuelle, économique) au sein du couple ? Où la placer, à quel moment, à partir de quel degré de colère ? Les échanges avec les participant-e-s ont confirmé la complexité de cette question, de laquelle nulle réponse consensuelle ne semble émerger. 

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Car au final, ce que chacun-e d’entre nous qualifie parfois de contradictoire ou paradoxal à son sujet ne serait-il pas plutôt à considérer comme le signe d’une vie intérieure complexe, riche et féconde ?

Nous ne souhaitons pas faire de cet espace un lieu d’échange philosophique uniquement. Si les débats d’idées sont évidemment toujours intéressants, il nous tient également à cœur de pouvoir soutenir et orienter les questionnements et les souffrances des participant-e-s – dans la mesure du possible. Si ce groupe n’est pas une thérapie de groupe, nous souhaitons toutefois qu’il puisse être thérapeutique dans une certaine mesure pour les personnes qui s’y présentent, ne serait-ce que par l’écoute bienveillante et non-jugeante que nous offrons. Car au final, ce que chacun-e d’entre nous qualifie parfois de contradictoire ou paradoxal à son sujet ne serait-il pas plutôt à considérer comme le signe d’une vie intérieure complexe, riche et féconde ? C’est en tout cas ce que je crois.


Pour info : le prochain groupe de parole, qui se tiendra le lundi 2 décembre, aura pour thème la charge mentale au sein du couple. La deuxième heure sera consacrée à des échanges libres, en lien ou non avec la thématique du début de soirée.