Le riche est celui qui est maudit par Dieu ! (Réponse à Didier Maurin)

Monsieur Maurin croit que la richesse et la supériorité sont de s’enrichir en jouant à la bourse, que la richesse est le compte en banque, la vie, accumulation d’argent, et tente de justifier cette idée par la philosophie [1]. Mais entend-t-on bien ce qu’il dit? Est-il sérieux? Dans leur immense majorité, de Platon à Nietzsche, les philosophes ont philosophiquement condamné l’enrichissement pour lui-même, la passion effrénée de l’avoir, de la considération et des honneurs. Peut-être faut-il rappeler à Mr. Maurin que Nietzsche a également écrit ceci : “en vérité, qui possède peu est d’autant moins possédé: louée soit la petite pauvreté“. Par conséquent, la richesse dont parle Nietzsche ne peut qu’être une richesse spirituelle et créatrice, elle n’a strictement rien à voir avec les fonds de pension et les placements boursiers. Si Mr. Maurin avait la culture qu’il prétend en citant tour à tour Valéry, Nietzsche, et “les psychanalystes” il aurait dû le savoir. Et je ne parle même pas de son sous-entendu final et menaçant sur la souffrance des peuples et du malheureux “racket fiscal” dont les riches sont les victimes injustes. On peut même, si on veut se prêter à ce petit jeu, inverser la perspective: le peuple a appris dans la souffrance les coûts du néo-libéralisme: pauvreté, suicide, destruction de l’environnement.

 

Je ne vois que deux raisons qui ont pu mener à écrire un article aussi scandaleusement trompeur et faux: soit c’est un pari de nantis, une défense cynique et provocatrice (auquel cas, il a réussi son coup), soit il croit réellement à ce qu’il dit. Dans ce dernier cas, cela revient à dire qu’il ne parvient même pas à se rendre compte qu’il est en train de déformer complètement les écrits de Nietzsche, et qu’il fait ce que certains nazis ont fait à son œuvre du temps même de son vivant. Sauf qu’ici, c’est une justification de l’idéologie financière [2] qui est tentée à grand recours de citations vagues et décontextualisées. Elle finit néanmoins par échouer pitoyablement si bien que même un profane en philosophie s’en apercevrait tellement sa stratégie est maladroite. En tant normal, les riches ne se soucient pas de justifications philosophiques (après tout ils sont riches et puissants que demander de plus, pour la plupart d’entre eux, à ce stade, tout est accompli). Mr. Maurin nous offre l’opportunité de voir ce que cela donne lorsqu’ils tentent le coup.

 

Mais à qui s’adresse Mr. Maurin? Qui veut-il convaincre? Les quelques riches lecteurs qui croiront en s’abusant eux-mêmes que la philosophie les justifie, justifie leur “courageuses” entreprises? Son message, au final, ne peut que conforter ceux qui ont mauvaise conscience face à leur richesse; ceux qui ont l’art de se voiler la face pour pouvoir continuer, cette fois en bons philosophes, à asservir l’humanité.

 

[1] Lire: “le riche est celui qui est bénit par Dieu

[2] Idéologie financière, largement partagée, particulièrement dans un pays comme le nôtre; où le succès est synonyme d’effort et de mérite, alors que le pauvre ne peut s’en prendre qu’à lui-même, lui qui est trop paresseux pour avoir su prendre son destin en main, lui le “faible” qui veut couper les têtes de ses “maîtres”. (cf. Winnie Byanyima pour qui “inégalités entre riches et pauvres sont un choix politique“).

 

 

Et si l’on faisait un pas de côté?

Hier, j’ai découvert le film L’An 01 scénarisé par Gébé – un film formidable, inspirant, enthousiaste ! – j’ai été emporté dans un nouveau monde et frappé par une révélation qui effleure chacun périodiquement: un autre monde est possible. L’idée est simple: il ne tient qu’à nous de changer notre monde en faisant un pas de côté. Une utopie, certes, mais dont la réalisation n’a rien d’un doux rêve; elle est à portée de main, elle est aussi nécessaire. Il n’y a là aucune théorie abstraite sur la nature humaine, mais un bête test pragmatique – “on arrête tout, on réfléchit” et on garde ce dont on a vraiment besoin. Rien de bien sorcier, on règle les problèmes au fur-et-à-mesure, démocratiquement.

Ce film est un vent de fraîcheur, il est d’une actualité toujours vive, et pour qui le regarde en 2019, nous ne pouvons que réaliser que rien n’a changé, que le monde de demain est encore à faire. Alors que l’on entame cette nouvelle année sur fond de crise sociale, crise économique et crise écologique, Gébé nous enseigne qu’il est possible de vivre mieux en travaillant moins. À l’heure des bonnes résolutions – qui nous rappellent chaque jour que le monde va un peu plus mal, que l’espoir se fait noir – je vous propose vivement, à vous qui me lisez, de regarder (pour la première fois ou à nouveau) ce film, gageons qu’il saura nous donner de bonnes idées pour la suite ! Et que nous quittions 2019 pour entrer de plein pied dans l’An 01 !

 

 

“Les valeurs, ça va un moment!”

C’est une petite phrase entendue au détour d’une conversation. Vous l’avez peut-être vous aussi déjà entendue. Elle parait inoffensive, négligeable, une simple exclamation de plus… Pourtant elle en dit long, très long. Normalement, dans le contexte global de notre société, elle signifie à peu près ceci: les valeurs sont des ornements, des cosmétiques qui valent quelque chose seulement lorsqu’on a du pain dans la bouche. Or, avoir du pain dans la bouche nécessite un travail.

Dans nos sociétés, il ne fait pas de doute que le travail est devenu lui-même la valeur. Or, le problème fondamental est que le travail est défini d’abord comme une pure activité sans contenu axiologique ou éthique particulier; il appartient à vrai dire à la sphère extra-morale. Aussi, réclamer de l’individu qu’il désire le travail pour le travail c’est le sortir également de la réflexion éthique en ne le poussant qu’à survivre. “Si tu veux vivre, il faut travailler”. Probablement. Mais si l’on retourne la question: “Si tu veux bien vivre, il faut…”. Qu’est-ce qu’il faut? Une direction, un sens, un but, une orientation; c’est tout cela que l’on rassemble sous le terme générique de “valeurs”. De là, il apparaît que notre valorisation du travail pour lui-même est un non-sens, une contradiction in adjecto.

Par exemple: lorsqu’un étudiant finit ses études et veut agir, se consacrer à certaines valeurs auxquelles il croit fortement; lorsqu’il pense en termes moraux et qu’il reçoit, de la part de son entourage le discours tautologique du “travail”, il ne peut que s’ensuivre un malentendu. Et lorsque, dans ce contexte, on clame: “les valeurs, ça va un moment!”; il y a une destruction pure et simple de la communication. Nous sommes bien, je le crains, face à un problème de communication avec la nouvelle génération, qui est une génération plaçant la question du sens au-devant de tout autre type de considération (elle ne se contente plus de notre laborieuse routine).

J’en suis maintenant convaincu: la jeunesse porte en elle le dégoût de cette injonction tautologique; elle veut de nouvelles directions, de nouvelles réalisations morales au sens le plus noble du terme. L’effrayer et l’obnubiler exclusivement par des questions pécuniaires, par la soi-disant nécessité de “survivre” dans ce monde ne peut que mener au désastre; à ne pas bâtir un nouveau monde, mais à poursuivre la maladie de l’ancien.

Mon idée est simple: il faut se retenir d’animaliser notre jeunesse en jouant le jeu du stress, de la survie, du travail sans valeurs; il faut bien plutôt la pousser à devenir notre fleuron, et peut-être même, notre conscience. Car c’est bien de ça dont le monde a le plus besoin aujourd’hui…