Megxit, le Temps, le clitoris: remarques mêlées

Avertissement: “Au «Temps», on donne la parole à ceux qui ne pensent pas comme nous, ce qui peut irriter certains lecteurs“. Ici, la pensée est expérimentale, néo-Wittgensteinienne. Alors s’il te plait, ne t’irrites pas, Ô irascible lecteur!

 

Sur le journalisme

1. Le Temps comme journal de référence. Que faut-il entendre par cette expression? Un journal auquel on devrait se référer? Un journal qui est une référence par rapport à d’autres qui ne le sont pas? Et est-ce qu’on peut se dire “de référence” sans risque de paraître suffisant et fat? Ne faudrait-il pas jouer l’humilité: “le Temps, un journal correct“, “le Temps, un journal tout court“, ” le Temps, un journal parmi d’autres”. Et, dernière question, qu’est-ce qui permet d’évaluer ce caractère d’être une référence? “Parce que l’on suit les règles que l’on s’est astreint, et ces règles sont (les) bonnes” ou bien “parce que nous sommes précisément ce que nous sommes”? Malheureusement, le cercle est irrémédiablement vicieux (il n’y a pas de moyen qu’il ne le soit pas). L’attribution est flatteuse, l’auto-attribution un brin pompeuse.

2. La référentialité n’est jamais une garante de vérité. Le style du journaliste (qui se veut neutre et souvent scolairement antithétique) ne vise toujours qu’à produire, comme l’a dit Roland Barthes, un effet de réel. “Croyez-nous car nous disons bien les choses, comme il se doit”. La confiance dans le journalisme est le fruit de notre éducation, de notre propension à croire ce qui est écrit parce que cela respect une certaine forme: le format du papier, sa texture, le fait d’être distribué tous les matins, une certaine police d’écriture, un certain design et certaines catégories (l’éditorial). C’est une mise en scène rhétorique (au sens noble) en vue de se rendre crédible (la crédibilité est toujours subjective, il n’y a pas une crédibilité qui serait en soi). Mais cela, bien sûr, n’a rien à voir avec “la vérité”. Le journaliste est toujours et irrémédiablement un écrivain (pour le meilleur et pour le pire) qui pratique un certain genre.

3. Avant de couvrir l’extrême futilité (du Megxit par exemple), il faut se poser les bonnes questions: est-ce que le Brexit (censé être un sujet très sérieux et important) ne risque-t-il pas de devenir aussi futile et cela énormément? Toute information ne devient-elle pas du coup et dangereusement une sorte de ragot? Et le journaliste ne devient-il pas une bête monstrueuse: à la fois reporter, paparazzi, partisan et conteur. Parfois, si l’on veut garder intact sa “référentialité” peut-être vaut-il mieux ne pas parler de certains choses, ne pas se laisser tenter… La question éthique pour le journaliste étant: que doit-on raconter?

4. La royauté anglaise est une série TV in vivo: on y croit alors que tout est feint, on admire alors que tout est payé par l’impôt, on envie alors que tout est faux et falsifiée. Seul le “respect” des journalistes lui donne une existence qui paraît réel. Il est très possible que beaucoup de prétendues “réalités” n’existent que par la forme journalistique (ici, ce n’est qu’un exemple, cherchez en d’autres). Il faudrait plus généralement se demander à quel point le journalisme est d’abord une mise en scène, un art. On gagnerait certainement beaucoup à penser ainsi.

 

Encore des remarques mêlées

5. On ne peut pas parler d’un humanisme des entreprises comme Swisscom, Salt, Sunrise et cie. Ce n’est pas l’homme qui passe d’abord, mais la rentabilité d’une tautologie: “s’il y a des nouvelles antennes plus puissantes, alors il faut les installer”. De l’existence, il découle le devoir. Si la technologie permet de le faire plus vite, il faut le faire plus vite (ce que l’on nomme technocratie). Le problème, c’est à la fois le vide de cette injonction et son manque de fondation (en plus de son inanité face à des considérations comme la santé). Il est clair que la seule fondation possible est l’argent, mais l’argent, en vue de quoi? D’acheter de nouvelles antennes en vue d’avoir plus d’argent. Tel est le double vide qui anime un bon nombre d’entreprises. Leur stratégie réussit dans la mesure où nous regardons ailleurs et nous laissons convaincre par des arguments creux. Si nous n’y pensons pas et si nous sommes sans idéaux, alors nous sommes facilement séduits et contaminés. La santé, c’est avant tout avoir un idéal, quelque chose à quoi (se) tenir au-dessus du vide (de l’argent, de la technologie, du progrès).
Il se peut aussi que nous ayons fini par préférer la vitesse d’une connexion à la santé de notre corps; avec une telle modernité rien n’est impossible.

6. La nouvelle remarque des vendeurs d’Interdiscount lorsque l’on sort un sac en tissu: “Ah ça, ça fait du bien à la planète!”, “Joli geste pour les générations futures!”, “la nature vous remerciera!”. Et de se dire intérieurement ” Oui! Aujourd’hui j’ai fait quelque chose pour la planète“. Si ce genre de comédie permet de dissoudre “la culpabilité ambiante”, le problème est encore plus grave que je le pensais. “Du Biodiesel? Quel beau geste! Quelle grandeur d’âme!”, “Une batterie en Lithium dans une Porsche? Que ne faites-vous pas pour les générations futures!”, “Taxer les billets d’avions? Quelle audace! Enfin, l’humanité est devenu grande!“.

7. Dans le Vigousse de cette semaine, on se plaint sous couvert d’une habituelle ironie des animaux morts dans les incendies en Australie. Et une page plus loin, une publicité pour une boucherie mettant en scène des bœufs vivants, à table, mangeant des steaks… Le rire aussi a ses limites et ses contradictions. “La déconnade oui, mais il faut bien vivre…”.

Une dernière pensée – Une fois le clitoris connu (puisqu’il l’est si peu selon les journaux), je me demande quel sera le prochain organe le plus oublié de l’histoire, le prochain qui sera à la mode. A votre avis? Non, non! ne dites rien!

“Les valeurs, ça va un moment!”

C’est une petite phrase entendue au détour d’une conversation. Vous l’avez peut-être vous aussi déjà entendue. Elle parait inoffensive, négligeable, une simple exclamation de plus… Pourtant elle en dit long, très long. Normalement, dans le contexte global de notre société, elle signifie à peu près ceci: les valeurs sont des ornements, des cosmétiques qui valent quelque chose seulement lorsqu’on a du pain dans la bouche. Or, avoir du pain dans la bouche nécessite un travail.

Dans nos sociétés, il ne fait pas de doute que le travail est devenu lui-même la valeur. Or, le problème fondamental est que le travail est défini d’abord comme une pure activité sans contenu axiologique ou éthique particulier; il appartient à vrai dire à la sphère extra-morale. Aussi, réclamer de l’individu qu’il désire le travail pour le travail c’est le sortir également de la réflexion éthique en ne le poussant qu’à survivre. “Si tu veux vivre, il faut travailler”. Probablement. Mais si l’on retourne la question: “Si tu veux bien vivre, il faut…”. Qu’est-ce qu’il faut? Une direction, un sens, un but, une orientation; c’est tout cela que l’on rassemble sous le terme générique de “valeurs”. De là, il apparaît que notre valorisation du travail pour lui-même est un non-sens, une contradiction in adjecto.

Par exemple: lorsqu’un étudiant finit ses études et veut agir, se consacrer à certaines valeurs auxquelles il croit fortement; lorsqu’il pense en termes moraux et qu’il reçoit, de la part de son entourage le discours tautologique du “travail”, il ne peut que s’ensuivre un malentendu. Et lorsque, dans ce contexte, on clame: “les valeurs, ça va un moment!”; il y a une destruction pure et simple de la communication. Nous sommes bien, je le crains, face à un problème de communication avec la nouvelle génération, qui est une génération plaçant la question du sens au-devant de tout autre type de considération (elle ne se contente plus de notre laborieuse routine).

J’en suis maintenant convaincu: la jeunesse porte en elle le dégoût de cette injonction tautologique; elle veut de nouvelles directions, de nouvelles réalisations morales au sens le plus noble du terme. L’effrayer et l’obnubiler exclusivement par des questions pécuniaires, par la soi-disant nécessité de “survivre” dans ce monde ne peut que mener au désastre; à ne pas bâtir un nouveau monde, mais à poursuivre la maladie de l’ancien.

Mon idée est simple: il faut se retenir d’animaliser notre jeunesse en jouant le jeu du stress, de la survie, du travail sans valeurs; il faut bien plutôt la pousser à devenir notre fleuron, et peut-être même, notre conscience. Car c’est bien de ça dont le monde a le plus besoin aujourd’hui…