Migros, l’expérience de consommation totale

Chacun d’entre vous s’est aperçu que la Migros avait installé depuis peu des bornes-casino (“Catch and Win”) dans la plupart de ses magasins. Pour moi, c’est le signe d’un renouveau dans notre manière de consommer, une manière beaucoup plus festive, joyeuse, extatique. Notre ticket de caisse devient magiquement un billet de loto plein de promesses de gains et de joie. Le consommateur ne paie plus dans la tristesse ou dans la mauvaise humeur, mais dans l’espérance d’une récompense future; lorsqu’il paie il est plein d’espoir de pouvoir consommer encore plus – si la chance le veut!  Les choses sont changées du tout au tout: avoir réussi à transformer l’achat en gain potentiel est un coup marketing et existentiel sans précédent; je ne sais pas à qui (Fabrice Zumbrunnen?) on doit cette magnifique trouvaille; mais je veux ici exprimer mon admiration pleine de sympathie.

Mais malheureusement, la Migros ne fait qu’ouvrir timidement une porte; elle est encore trop helvétique, il lui manque la gnaque nécessaire pour vraiment bouleverser nos habitudes: à quand les hôtesses-robots qui nous guideraient à travers la douloureuse expérience du choix d’un yogourt? Des karaokés? Des train fantômes avec placement de produits? Des drogues de synthèses offertes avec l’achat d’un vieux fromage? Des poupées en silicone dans le rayon charcuterie (une passe pour l’achat d’un salami?). Il y a tant à faire pour rendre notre expérience de la consommation joyeuse et festive. Migros serait une fête perpétuelle, pleine de Noellini, de casino et de paradis robotiques!

Devant ces possibles que j’énonce avec entrain, les bornes-casino semblent beaucoup trop timides et pas assez bruyantes. Où sont en effet, les paillettes, les stroboscopes, les lumières festives? Il faudrait commencer par ça. Je suis prêt à parier que les stroboscopes permettraient d’inciter à la consommation, et qu’importe les épileptiques! Lorsque je vois quelqu’un sortir du magasin sans scanner son ticket dans la borne-casino cela m’attriste profondément; j’ai l’impression qu’il ne joue pas le jeu de la consommation, qu’il est un rabat-joie. Lorsque j’ai le temps j’incite les gens à comprendre ce que pourrait être l’expérience de la consommation si, tout du moins, ils y mettaient un peu du leur. Aussi j’invite le lecteur non seulement à prendre au sérieux ces innovations robotiques, mais également à faire pression sur les managers directement pour qu’ils rendent rapidement plus festive notre consommation qui, il faut le dire, nous désespère. N’en n’avons-nous pas assez des tristes rayons, des produites débiles et bien ordonnés, des bornes de payement déshumanisées? Nous sommes tristes mais nous croyons. Nous croyons au futur robotisé de l’extase, à la transformation des consciences par une transformation des expériences concrètes, à la libération de l’homme par la machine, à une expérience de consommation totale.

Arthur Simondin

Arthur Simondin est un professeur de philosophie à la retraite. Il veut user de ses connaissances et de son expérience d’enseignant afin de promouvoir une vision philosophique de l’actualité. Sa connaissance approfondie de la philosophie grecque et des courants dominants du 20ème siècle lui permet d’éclairer l’actualité et d’en révéler à la fois les structures et leurs significations.

Une réponse à “Migros, l’expérience de consommation totale

  1. J’ai aimé ce que vous nous transmettez sous une forme ironique du début jusqu’à la fin, comme si c’était pour rire, et tout cela est très sérieux ! Je me sens triste moi aussi de voir les clients se réjouir de mettre leur ticket devant le laser du menhir jaune, ou pressés de faire valoir leurs points Cumulus. Mais je n’avais pas envie de me sentir triste en voyant les enfants qui emportaient à la caisse les Nanos, ces petits personnages peints qui véhiculaient des symboles. Ils ont évidemment été contestés parce que la Migros se servait des enfants pour mener leur mère à la Migros avant la fin de la période. Cette sournoise manipulation avait à mon avis du bon : Les mères sont plus ou moins forcées d’offrir à leur enfant un jouet intelligent qui le passionne ! Parce qu’il y a tant de mères qui dépensent pour des jouets pas du tout éducatifs et stupides, ou éducatifs et très ennuyeux. Là au moins la Migros avait le mérite de les aider à faire mieux. Et cette borne qui apporte chance aux adultes, est-ce qu’il faut dans le fond vraiment regretter qu’ils se fassent mener par le bout du nez ? Ils veulent saisir leur chance, la caisse de cette loterie c’est bien tous les clients qui l’alimentent, par un tout petit pourcentage prélevé sur leurs achats. On les force à jouer à la loterie ! Et là on ne peut pas penser que cela a une valeur éducative. Autre chose encore : Le joueur au Lotto qui gagne ne va pas remercier tous les autres qui perdent, pas plus que celui au ticket gagnant de la Migros ne remerciera les clients malchanceux, mais il gardera peut-être l’image d’une Migros généreuse. C’est là que celle-ci fait fort, c’est elle qui donne. Le directeur du Lotto qui félicite le gagnant n’oserait pas dire : « C’est moi qui vous fais ce cadeau ». Alors je commence à me demander qui sont les vrais enfants, ceux qui n’obtiennent que de l’illusion, ou ceux qui quittent la caisse avec de vrais petits Nanos jolis et éducatifs ?.. Quand ils seront grands ils deviendront à leur tour idiots, les intelligents nanos n’auront pas réussi à les retenir !

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