Pour Netflix, la boue peut devenir de l’or. La formule est juste un peu adaptée: avec du sordide, on fait de l’argent (convertir l’argent en or n’a rien d’ésotérique). Et comme la réalité n’en est pas avare (du sordide), on comprend le fabuleux enrichissement de cette reine pondeuse d’images. Plus la réalité est fragmentée, torturée et souffrante; plus il y a de quoi faire de bonnes séries pleines de santé et de sang. La morale n’est pas originale: le malheur n’en est pas un pour tous, si l’on sait travailler son regard en fonction du profit. “Vilains vampires!”. C’est trop dire, la réalité se débrouille elle-même pour se saigner et devenir exsangue.
À partir de quoi Netflix fait-il son beurre? Des tueurs, elle tire la série I’m a killer; du suicide, le déjà fameux Ten Reason Why; des divisions politiques, elle pond sans couver Deux Catalognes; des prisons, la bien nommée The World’s Toughest Prisons, du terrorisme le nouveau-né Unabomber. Tous peu ou prou traités avec cette même standardisation qui convient a priori à tous les sujets.
La formule magique est la même; elle a fait ses preuves, on n’en demande pas plus. Rien à voir donc avec les efforts de l’artiste, qui, confronté au mal, parvient à le transformer en art. Les productions de Netflix procèdent plus de la dyspepsie et de l’indigestion suscitées par sa vénalité, que d’un lent processus de rumination. Je vous laisse filer la métaphore pour savoir ce qu’elle fait sur la tête des spectateurs.
Sa tentative de plus en plus accrue de se sauver en produisant les films de certains “noms” du cinéma comme Bong Joon-Ho ou Martin Scorsese n’est qu’un stratagème qui permet de détourner l’attention et de s’acheter une réputation. Le “gros” de Netflix reste cette opération détritivore rationalisée que l’on nomme divertissement, cette forme de gavage imagé qui permet de passer agréablement le temps; mais qui est loin, très loin de ce que l’on nomme, avec nostalgie peut-être, l’art.
“Pour que l’homme se réveille à sa véritable nature, il faut recadrer la réalité, réagencer sa perception et le réorienter[1]“, n’est-ce pas la mission de l’art ? Si son principe n’est pas bénévole, s’il ne cherche pas autrui en tant que liberté, mais si, à l’inverse, il ne cherche que l’asservissement veule d’un maximum de spectateurs alors nous sommes en droit de condamner et de critiquer sévèrement ce mode de production et toute la mentalité qui la sous-tend.
[1] Pacôme Thiellement, postface à Tout s’allume de Gébé, éd. Wombat, 2012.
Fan absolu de Netflix dès la première heure et avec plus de 3000 épisodes visionnés ces dernières années sur la plateforme, votre résumé m’étonne un peu. Avec 8 milliards d’investissement dans la seule zone européenne pour la production de séries, je vous invite à regarder de près le catalogue et à suivre des productions maison comme Norsemen (série décalée avec un humour nordique très apprécié). Des nouvelles façon de consommer le cinéma avec le Black Mirror: Bandersnatch. Le très réussi Dogs of Berlin avec une série allemande vraiment très très bien constituée. Slick Note avec le retour de Don Jonhson à l’écran dans la première saison, et ce pour le seul dernier trimestre 2018. Vous parlez toujours de l’art, mais il est peut-être temps de penser à ce que désire réellement le consommateur. Pour ma part, je préfère depuis des années les séries que le cinéma, et je trouve toujours passionnant de vivre quelques années avec des personnages très attachant vivant leurs histoire dans mon salon.