Interview. Il incarne l’un des mafieux désormais les plus célèbres au monde. Mais le temps d’un film d’auteur intime, Salvatore Esposito a délaissé son impitoyable Genny Savastano. Dans Una promessa, sorti dans les salles francophones en octobre dernier, l’acteur napolitain de 34 ans est Giuseppe, un homme réduit en esclave moderne pour surmonter avec son fils un deuil familial.
Les frères Gianluca et Massimiliano De Serio, réalisateurs et scénaristes de Spaccapietre, « briseur de pierres » dans la version originale, proposent un Salvatore Esposito fragile et résilient loin de l’archétype du mafieux napolitain de la série Gomorra, dont la cinquième et dernière saison est attendue en 2021. Salvatore Esposito, dans une interview à distance, coronavirus oblige, évoque la fin de sa carrière télévisuelle mafieuse, son enfance à Naples en présence de la Camorra et, surtout, le défi d’incarner un père.
Qu’est-ce qui vous a plu dans le projet des frères De Serio ?
Une promesse n’est pas un film facile destiné à tout le monde. Il raconte l’histoire dramatique d’un père et de son fils traversant un deuil. Ce fut difficile pour moi entrer dans le personnage de Giuseppe, mais l’alchimie créée par les réalisateurs et scénaristes entre père et fils a beaucoup aidé. Gianluca et Massimiliano De Serio ont réussi à écrire un père écrasé sous le poids d’un drame, contraint de le subir avec souffrance sans le faire peser sur son fils. J’ai beaucoup apprécié leur travail, ce qui m’a poussé à accepter le rôle.
« J’ai dû m’exprimer à travers son corps, à travers l’expressivité de son visage »
J’interprète un homme meurtri. Il a perdu un œil en œuvrant dans une carrière, ce qui l’a rendu incapable de travailler, l’a contraint à rester à la maison, à s’occuper de son enfant pendant que sa femme Angela devait à son tour travailler. Giuseppe supporte ainsi non seulement le poids de son inutilité, mais aussi de sa responsabilité indirecte dans la mort de son épouse, ce qui le poussera à des choix radicaux. Interpréter Giuseppe a été un défi, car c’est un homme qui parle peu. J’ai dû m’exprimer à travers son corps, à travers l’expressivité de son visage. Je suis heureux d’avoir accepté cette très belle expérience.
Une promesse décrit la réalité des « caporaux », diffuse dans le sud de l’Italie, et propose un message pessimiste pour qui en est originaire…
Le phénomène est plus développé dans le sud du pays, mais est présent dans d’autres régions d’Italie. Nous l’appelons le nouvel esclavage. Il s’agit de l’exploitation de personnes à travers le travail dans les champs. Elles travaillent des heures dans des conditions inhumaines, avec des salaires misérables. En d’autres termes, des conditions d’esclavage. C’est absurde qu’aujourd’hui encore, des êtres humains soient traités ainsi. Il s’agit d’abus qui continuent d’exister malgré les batailles en Italie et dans le monde contre le racisme, contre la violence, contre l’exploitation.
Mais le futur, pour qui est originaire du sud de l’Italie, n’est pas aussi pessimiste. Le film raconte une réalité et des dynamiques communes à beaucoup de régions, pas seulement présentes dans le sud de la péninsule, qui représente ici une périphérie du monde. Et comme toute périphérie, abandonnée à elle-même. Ces abus ont ainsi malheureusement lieu là où il y a peu de contrôles, où il y a beaucoup besoin de travail. Dans les zones abandonnées par les institutions.
Sa notoriété, en Italie comme à l’étranger, est née il y a six ans avec Genny Savastano, personnage principal de la série Gomorra. Comment vivez-vous le fait d’être identifié aujourd’hui encore à un mafieux ?
Je remercie et remercierai toujours Genny Savastano. J’ai eu cette chance d’interpréter un personnage à grand succès, j’en suis heureux. Mais dans le même temps, j’ai eu le plaisir de faire d’autres projets, en France comme aux Etats-Unis. Ma carrière est encore à ses débuts. Si j’y pense, j’ai commencé ce métier il y a seulement sept ans et j’ai fait énormément de choses, donc qui sait ce que je pourrai faire ces dix prochaines années. Gomorra s’achève en 2021, il y aura d’autres projets, d’autres personnages à qui j’espère pouvoir donner la même force, la même épaisseur que j’ai mise en Genny.
« Les fils des boss, je les tabassais »
En dehors de la fiction, vous êtes-vous jamais retrouvé face à la Camorra ? Vous racontiez en 2016 à Vanity Fair que « les fils des boss, vous les tabassiez »…
« Les fils des boss, je les tabassais » (rires) Disons que qui nait dans une banlieue, en Italie comme ailleurs, doit affronter toutes sortes de réalités. Ces périphéries étant abandonnées, ceux qui sont en difficulté et cherchent une aide souvent la trouvent dans la criminalité, dans le mal, parce qu’elle offre plus de possibilités. Il n’y a pas de réponse de la part des institutions, peu de personnes réussissent comme moi à grandir avec un rêve, avec une passion. Peu de personnes réussissent à se battre pour défendre leur propre liberté.
J’ai grandi avec beaucoup d’amis ayant fait d’autres choix. Mais depuis l’enfance, je n’ai jamais baissé la tête. Je n’ai donc jamais été une victime d’aucun jeu de pouvoir. Au contraire, je les ai toujours combattu. Il m’est donc parfois arrivé de tabasser les fils de quelconque boss. Jamais je n’ai baissé la tête et jamais je ne la baisserai.
Cette année, avec la série Fargo, vous avez travaillé aux Etats-Unis. Vous y voyez désormais une carrière ?
Travailler aux Etats-Unis, c’est se retrouver dans un monde, une industrie, une machine de production énorme. J’espère avoir fait de mon mieux et j’espère qu’il y aura ensuite d’autres opportunités pour montrer ce que je veux raconter à travers mes personnages, à travers les histoires que j’aimerais proposer au public et que je choisirai toujours avec grande attention. Mais mon intention n’est pas celle d’abandonner mon pays. Au contraire, j’ai envie de faire des projets intéressants, stimulants. Je retiendrai les projets que je jugerai les plus valides pour ma carrière, peu importe le pays. Je ne me pose aucune limite, je ne l’ai jamais fait et ne le ferai jamais.