Au cinéma, des « citoyens du monde » romains

Interview. « Citoyens du monde  était le titre que j’avais choisi », se réjouit Gianni Di Gregorio. Assis à une terrasse d’un café de son quartier Trastevere, dans le centre de Rome, masque et cigarettes glissés dans la poche de sa chemise, le réalisateur revient sur son film Lontano lontano, sorti dans les salles italiennes fin février et en France et en Suisse fin août. « En Italie, la distribution a eu le dernier mot sur le titre, poursuit le cinéaste. Lontano lontano [lointain lointain, en français] nous a semblé une bonne solution pour évoquer le rêve de s’en aller, de bouger ». Mais il préfère tout de même cittadini del mondo. Gianni Di Gregorio raconte l’histoire de trois retraités sans le sou rêvant de s’en aller à l’étranger. Il prête aussi ses traits à l’un des trois hommes.

 

Le réalisateur de Citoyens du monde, Gianni Di Gregorio, à Rome en août 2020

 

En Italie, le film est sorti quelques jours seulement avant la quarantaine nationale, en mars. Le rêve de s’enfuir est devenu d’autant plus d’actualité…

Il l’a toujours été. Le film raconte l’histoire de ces trois septuagénaires encore pleins de vie, mais avec tous les défauts de leur âge – la peur de se déplacer, le mystère du lendemain. Simplement penser de s’en aller est donc pour eux un effort terrible. Mais ils sont contraints par leur situation économique. Lors de l’écriture du film, je parlais avec les retraités de mon quartier. Tous voulaient s’en aller ! Eux aussi peuvent avoir la force pour changer de vie. L’espoir de s’améliorer ne doit jamais disparaître.

Mais au niveau mondiale, il est vrai qu’il y a un chaos total. Il y a deux générations laissées pour compte, du moins en Italie : les retraités donc, contraints de partir s’ils veulent voir leur situation économique s’améliorer, mais aussi les jeunes souffrant des crises, obligés eux aussi de s’en aller à l’étranger pour trouver un emploi. Les jeunes et les plus âgés ont ainsi le même rêve : vivre un peu mieux. C’est effrayant.

Le futur voyage commun des trois hommes du film efface aussi leur solitude. Il s’agit d’une histoire d’amitié. C’est important à tous les âges, mais encore plus à un âge avancé. Ensemble, ils deviennent une force ; en faisant leurs conneries, une journée devient merveilleuse.

Cette entente entre les personnages est la force du film. Comment s’est passé le tournage ?

Je ne connaissais pas personnellement Ennio Fantastichini et Giorgio Colangeli. Nous nous sommes donc retrouvés dans un restaurant pour parler du film, dont nous n’avons finalement rien dit. Nous avons seulement mangé, bu et beaucoup ri. Nous sommes tous trois romains, du même âge et du même monde professionnel, c’est comme si nous nous connaissions depuis 30 ans. J’ai alors compris qu’ils seraient la force du film : ils inventaient, écrivaient aussi les dialogues les soirs avant les prises. Avec ce film, je pensais conduire une Fiat 600, mais quand ils sont montés à bord, j’ai eu la sensation que cette petite voiture disposait du moteur d’une Ferrari. Ce sont des hommes identiques aux personnages que je rêvais : simples mais capables d’une grande ouverture.

L’idée du film vous aurait été soufflée par Matteo Garrone…

En effet, il m’a dit qu’il fallait que je fasse un film sur les retraités italiens, car j’en suis selon lui le spécialiste ! L’idée m’a beaucoup plu. Le travail d’écriture a alors duré un an et demi. Mais dès le début, je savais que mes trois retraités ne quitteraient jamais l’Italie. Je l’ai ressenti en moi dès que j’ai commencé à écrire. Le résultat a beaucoup plu à Matteo Garrone.

Cet homme est pour moi un génie. Je lui ai offert mon aide il y a plus de 20 ans, après avoir vu son premier court-métrage. Nous avons ensuite collaboré sur beaucoup de films, de L’imbalsamatore à Gomorra. Il m’avait tout de suite marqué car il faisait ce qu’enseignait Rossellini, dont je suivais les cours quand j’étais jeune. Celui-ci nous disait de ne pas nous préoccuper de la technique, du genre de caméra. Que ce qui est important, c’est ce qui se passe devant l’objectif. Que les acteurs ne doivent pas venir où se trouve la caméra, qu’il faut les laisser faire et les suivre. Matteo le faisait sans rien savoir de Rosselini. Cette chose m’a beaucoup marqué. Je viens de cette formation rossélinienne, donc très pauvre. Heureusement qu’il y a les autres, comme les directeurs de la photographie, car moi, je ne vois rien. Je suis très rudimentaire.

Antonino Galofaro

Diplômé en Histoire et esthétique du cinéma à l'Université de Lausanne, Antonino Galofaro est le correspondant du «Temps» en Italie.