« La mostra de Venise est un laboratoire pour les festivals à venir »

Interview. La 77èmemostra internationale d’art cinématographique de Venise s’ouvre ce mercredi pour dix jours. Après des mois d’hésitations, le directeur artistique et les autres dirigeants du festival ont décidé de défier le coronavirus en l’organisant physiquement. Les artistes et festivaliers devront respecter des mesures très rigides. Alberto Barbera, à la tête de plus d’une dizaine de biennales du cinéma, a répondu à quelques questions à la veille de l’ouverture de cette édition particulière.

 

Alberto Barbera, directeur artistique de la mostra de Venise, avec l’actrice Monica Bellucci en 2019 (Getty Images)

En ces temps de pandémie, quel genre de festival avez-vous réussi à organiser ?

Cette Biennale du cinéma est un laboratoire. Ce sera la démonstration, pour d’autres festivals notamment, que l’on peut à nouveau organiser de grands événements du moment que toutes les mesures possibles de sécurité sont respectées. Du contrôle de la température au port obligatoire du masque partout, même dans des salles toujours désinfectées, en passant par la réservation de sa place dans les cinémas, nous appliquerons ces mesures avec rigidité. Il s’agit de garantir à tous de participer sans courir de risques.

Après des mois et des mois d’incertitude, nous sommes certains que le festival pourra se conclure sans mauvaises surprises. Le sentiment prévalant maintenant est le sens de responsabilité : il s’agit du premier grand rendez-vous international à avoir lieu après l’annulation d’autres festivals et d’autres grands événements comme les Jeux olympiques. Le monde entier nous regarde.

Que demandez-vous de particulier cette année aux festivaliers et aux artistes ?

Nous avons pris des mesures auxquelles nous sommes en réalité déjà habitués : contrôle de la température corporelle à toutes les entrées, le port obligatoire du masque, toujours, que ce soit à l’extérieur comme à l’intérieur des salles cinématographiques, qui seront désinfectées. La principale nouveauté, peut-être la plus inconfortable, est la réservation de sa place pour toutes les projections. Mêmes les journalistes accrédités devront s’y plier, personne ne pourra arriver au dernier moment dans l’espoir de pouvoir entrer. Nous devons pouvoir tracer et contrôler les déplacements dans l’éventualité où quelqu’un tombe malade.

Nous avons maintenu le tapis rouge, mais avec la distance de sécurité entre acteurs, réalisateurs et photographes. Le public ne pourra pas y assister, car nous ne pouvons pas permettre les rassemblements, qui risqueraient de favoriser la diffusion du virus. Il faut donc renoncer au rite des autographes. Ces moments pourront être suivis en direct sur la télévision publique, sur le site de la Biennale et sur nos réseaux sociaux.

Pourquoi avoir invité sept directeurs artistiques de festivals du cinéma à la cérémonie d’ouverture ?

Il y a toujours eu une forte concurrence entre tous les principaux festivals, surtout ceux d’automne. Mais dès mars cette année, nous avons commencé à échanger pour essayer de comprendre comment affronter cette situation imprévue ensemble. Nous avons ensuite décidé de collaborer, d’échanger des informations, de soutenir les mêmes films sans par exemple prétendre une première mondiale : si un film plait à tous, il peut faire le tour de tous les festivals d’automne, de Venise à New York. Nous pouvons tous apprendre quelque chose de l’expérience des autres.

J’ai par la suite décidé d’inviter sept directeurs des festivals européens les plus représentatifs et importants pour donner un signal précis de cette volonté de collaboration. Il s’agit aussi d’un signe de solidarité non seulement envers les autres festivals mais aussi envers les auteurs, les réalisateurs, l’industrie cinématographique. Nous nous engageons à soutenir de toutes nos forces le cinéma dans sa globalité et sa complexité. J’espère que cet esprit de collaboration persiste une fois la crise du coronavirus dépassée.

Vu le rôle des festivals, qu’a signifié selon vous l’annulation du rendez-vous cannois ?

Une grande perte. Un coup très dur quand le cinéma subissait déjà des conséquences très négatives dues à la fermeture des salles, au blocage des productions. L’annulation d’un moment de promotion si important comme le rendez-vous de Cannes a été pour tous un autre signal négatif. C’est pour cela que tous regardent maintenant Venise comme la possibilité de repartir, de récupérer une forme de normalité.

Les festivals sont toujours plus importants car ils deviennent des centres de production culturelle, qui développent des projets de soutien aux jeunes réalisateurs. Ils ont aussi le rôle de former le public, d’habituer les plus jeunes à voir les films dans les salles, donc à découvrir la beauté et la richesse du cinéma. Il est donc impossible de renoncer à un festival, un support à l’industrie cinématographique tout autre que secondaire ou destiné à disparaître. Je crois que dans le futur, les festivals auront un rôle, une importance et un poids toujours plus pertinent.

 

Alberto Barbera, directeur artistique de la mostra, lors d’une précédente édition de la biennale du cinéma de Venise

Comment s’est déroulée la sélection des films durant ces mois si particuliers de cinémas fermés et de productions bloquées ?

Nous n’avons pas réussi à voir seulement certaines grosses productions américaines. Les principaux studios et autres Netflix ou Apple sont encore en quelque sorte en quarantaine : ils ne permettent pas aux réalisateurs et acteurs de voyager pour promouvoir leurs films quand d’autres ne sont simplement pas distribués. Ils ont donc décidé de nier les pellicules à tous les festivals d’automne. Nous n’avons pas vu non plus de nombreux films français ou italiens attendus, mais renvoyés à l’an prochain, comme le nouveau Nanni Moretti.

Cela étant dit, tout s’est déroulé comme les années passées. Les films nous sont arrivés du monde entier, dans la même quantité. Il y a cette année dans notre programme plus de cinquante pays représentés, dont certains encore en quarantaine. Ce n’est pas un festival autochtone, composé seulement de cinéma italien ou européen, mais bien un festival international. Il témoigne d’un cinéma tout autre que moribond, mais d’un cinéma capable de se rénover, de trouver de nouvelles voix et de nouvelles narrations.

Quant au cinéma italien, comment l’avez-vous vu résister dans l’un des pays européens les plus touchés par le coronavirus ?

Le cinéma italien se porte bien. En témoignent les succès internationaux des deniers films de Marco Bellocchio, de Matteo Garrone ou encore de Paolo Sorrentino. Nous avons aussi pu observer un retour du public italien dans les salles pour voir des films nationaux. Il y a beaucoup de réalisateurs de talent, expérimentés ou à leurs débuts, confirmant que notre cinéma est en bonne santé. Une génération est par ailleurs prête à prendre la place des vieux maîtres ayant participé au rayonnement du cinéma transalpin ces dernières décennies, mais destinés doucement à céder leur place. La mostra de Venise cette année confirme cette tendance positive.

Antonino Galofaro

Diplômé en Histoire et esthétique du cinéma à l'Université de Lausanne, Antonino Galofaro est le correspondant du «Temps» en Italie.