Le monde par les mots

L’épidémie de coronavirus, fenêtre sur un monde au climat déréglé ?

Paralysant chaque jour un peu plus l’économie mondiale, l’épidémie de coronavirus a permis d’observer une baisse des émissions de CO2 en Chine et dans le monde. Cela ne suffira pas pour autant à éviter les nombreuses catastrophes qui s’annoncent avec le dérèglement climatique, mais des enseignements peuvent être tirés de la façon dont les gouvernements traitent cette crise mondiale.

«Ce qu’on fait contre Covid-19, pourquoi pas le faire pour le climat», peut-on lire sur la page Facebook de Doctors for Extinction Rebellion Switzerland. «Réalisant l’urgence environnementale à laquelle nous faisons face, le Conseil fédéral décide de dire la vérité à la population sur le danger imminent et d’annuler toutes les activités climaticides comme le @GimsSwiss [salon de l’Auto]», écrit sarcastiquement sur Twitter la conseillère communale Verte lausannoise Sarah Gnoni.

On pourrait détecter une forme de jubilation cynique dans les milieux écologistes face au ralentissement économique produit par les mesures tentant de contenir la propagation du coronavirus. Les militants rappellent volontiers qu’aussi tragique que soit le nombre de vies prises par cette maladie, il reste bien deçà de ce que l’humanité risque de subir si l’on ne diminue pas drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.

Force est de constater que les chiffres leurs donnent raison. Selon le site Carbon Brief, la Chine aurait temporairement baissé ses émissions de CO2 d’un quart, notamment par la mise à l’arrêt de nombreuses industries et les restrictions de circulation et de vols. Sur place, une amélioration de la qualité de l’air peut déjà se faire sentir, avec une diminution de plus d’un tiers du taux de dioxyde d’azote (NO2) dans l’air et une chute de 60% du nombre de particules fines. A une moindre échelle, il ne serait pas étonnant que des effets comparables puissent être observés ces prochains temps dans les pays occidentaux.

Le coût économique d’une baisse des émissions

Revers de la médaille, les milieux économiques sont en alerte et commencent déjà à parler de «coronacrash». La dépendance de l’économie mondiale à la Chine se fait sentir et des secteurs aussi variés que l’horlogerie, les matières premières ou encore la pharma sont tous en berne. Les bourses étaient en panique avant le week-end, et une perte de près de 6000 milliards de dollars de capitalisation boursière à été enregistrée à travers le monde. Une récession mondiale pointe le bout de son nez, alors que les économistes regardent anxieusement les Etats-Unis, qui sont pour l’instant plutôt épargnés par l’épidémie, mais qui pourraient porter le coup de grâce à l’économie mondiale en cas de contamination plus importante.

Un premier enseignement peut donc être tiré de cette épidémie de coronavirus: une réduction efficace des émissions mondiales de gaz à effet de serre est possible, mais son coût économique est énorme, insoutenable pour les marchés actuels. Et comme à chaque crise économique, le coût social risque d’être immense, avec entre autres d’innombrables pertes d’emploi, une diminution du pouvoir d’achat et des retraites toujours plus impossible à financer. Tel semble être le prix à payer pour suivre les recommandations du GIEC, qui préconisent une baisse de moitié des émissions d’ici 2030 et une neutralité carbone en 2050 pour respecter les accords de Paris.

Il n’est cependant pas (encore) certain que le «coronacrash» ait lieu, l’économie pouvant se redresser une fois l’épidémie sous contrôle. Il est par exemple prévisible que Pékin investisse des dizaines voire des centaines de milliards de dollars pour relancer l’économie chinoise, comme elle l’avait fait après la crise de 2008. Dans ce cas, les émissions risquent de reprendre de plus belle pour aboutir à un bilan carbone encore plus élevé que les autres années.

Multiplications des crises climatiques

Dans tous les cas, quelle que soit la durée avec laquelle le coronavirus paralyse la planète, le dérèglement climatique se poursuivra (ne serait-ce rien qu’à cause des boucles de rétroaction). Des crises environnementales majeures continueront donc de se produire et se succéderont toujours plus rapidement. Rien qu’en 2019, quinze catastrophes naturelles liées au changement climatique ont causé des destructions d’un coût de plus d’un milliard de francs et sept d’entre elles d’au moins 10 milliards, a estimé l’ONG britannique Christian Aid.

L’interconnexion de l’économie mondiale couplée à la multiplication des sécheresses, des incendies, des inondations ou encore des ouragans menace de gripper le système de plus en plus souvent, posant de sérieux problèmes à la sécurité mondiale. Même si ces catastrophes seront de natures différentes que le coronavirus et nécessiteront d’autres réponses, la question de fond est la même: quelle est la capacité des gouvernements à gérer ces situations de crise comment la population va réagira face à des événements qui impacteront son quotidien?

Confiance envers les gouvernements déterminante

Là encore, il peut être intéressant d’observer les réactions face à l’épidémie actuelle de coronavirus pour se projeter dans un monde de plus en plus souvent en crise. Une premier constat semble alors assez logiquement se dessiner: la confiance de la population envers son gouvernement et sa capacité à agir et à la protéger sera primordiale pour éviter des réflexes de «chacun pour soi», aboutissant inévitablement à des conséquences néfastes pour tout le monde. L’exemple des supermarchés aux étalages vides – par crainte des quarantaines, ou tout simplement par crainte que les autres anticipent des quarantaines – est particulièrement parlant, l’insécurité alimentaire étant l’un des enjeux majeurs du changement climatique.

Les Echos – Coronavirus en Italie : les rayons d’un supermarché pris d’assaut

En Suisse, l’Office fédérale de la santé publique (OFSP) a d’abord été critiquée pour son manque de réaction, prodiguant dans un premier des temps des conseils jugés infantilisants (se laver les mains et éternuer dans son coude), avant d’être ensuite décriée pour son interdiction des rassemblements de plus de 1000 personnes, mesure jugée excessive par beaucoup. Malgré tout, la population suisse reste pour l’instant calme, et hormis quelques ruées sur les rayons pâtes et conserves de la Migros, les autorités saluent des comportement exemplaires, notamment parmi les personnes infectées, qui ont toutes adopté les bons réflexes pour éviter au maximum la contamination de leurs pairs.

Climat de défiance en France

La situation pourrait en revanche être différente en France, où la défiance envers Marcon et le gouvernement d’Edouard Philippe est quasiment constante depuis près d’an un et demi avec le mouvement des gilets jaunes et le bras de fer engagé depuis décembre avec les syndicats sur la réforme de retraites. A cet égard, l’utilisation samedi du fameux article 49.3 (qui permet au Gouvernement d’adopter une loi sans l’aval de l’Assemblée) par le Premier ministre pour entériner cette réforme a été vécue comme une trahison par les opposants. D’autant plus que dans la foulée, le ministère de la Santé a interdit les rassemblements de plus 5000 personnes dans les espaces confinés. Le climat de défiance envers les autorités est proche de son paroxysme dans l’Hexagone, et cela pourrait bien avoir un impact sur la capacité du pays à contenir la propagation du virus.

C’est notamment le cas en Roumanie, où la corruption est encore très prégnante à tous les échelons de la société, et où il a suffi d’un cas avéré de coronavirus pour créer un vent de panique dans l’ensemble du pays. Un correspondant de EuObserver présent sur place constate que «les supermarchés partout dans le pays ont été pris dans un vent de panique des consommateurs, qui se sont rués pour faire des réserves de produits alimentaires. Ils ont peur que l’épidémie mène à une rupture de stocks et ont acheté des réserves de nourritures pour plusieurs semaines en une seule fois.»

Pays du Sud particulièrement vulnérables

En Iran, la situation est encore plus préoccupante. Alors que la République islamique fait face à une contestation historique – qui s’est encore un peu plus envenimée suite à l’abattage par erreur du Boeing 737 après les frappes américaines en janvier -, elle est l’un des principaux foyers de coronavirus en dehors de Chine. Samedi, les autorités dénombraient 43 décès et 539 cas contaminés, mais des experts internationaux s’interrogent sur la véracité de ces chiffres. L’ONG Reporters sans Frontières accuse elle le gouvernement de dissimuler des informations sur l’épidémie. Signe que la situation est particulièrement hors de contrôle en Iran, le vice-ministre de la Santé a été diagnostiqué positif, ce qui fait de lui le premier membre d’un gouvernement au monde atteint par le virus.

LeHuffPost – Le vice-ministre iranien de la Santé positif au coronavirus

S’ils sont pour l’instant plus ou moins épargnés par le virus, les pays du Sud sont particulièrement vulnérables en cas de contamination. Avec des systèmes de santé déjà extrêmement précaires en temps normal, il serait impossible pour eux de s’occuper de tous les cas venant s’ajouter à cause d’un virus aussi infectieux que le coronavirus. Une fois de plus, le parallèle est tragiquement frappant avec les conséquences du dérèglement climatique: alors que les pays du Nord pourront compter sur leurs infrastructures et leurs richesses pour faire face à un environnement de plus en plus hostile, les pays du Sud seront eux beaucoup plus livrés à eux-mêmes. Et cela d’autant plus que, contrairement au coronavirus qui n’est pas spécialement friand des hautes températures, les impacts du réchauffement climatiques se feront sentir en premier lieu au Sud.

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