Le programme de vaccination japonais prend enfin son envol

Le programme de vaccination du Japon contre covid-19 est enfin en train d’accélérer, mais il reste très en retard sur celui des pays occidentaux. Seules 17% des personnes de plus de 65 ans – et 8% de la population en général – ont à ce jour reçu au moins une dose. Le gouvernement devra se précipiter pour atteindre son objectif de vacciner entièrement la grande majorité de ce groupe d’ici à la fin du mois de juillet, à temps pour le début des Jeux Olympiques. Le calendrier pour le reste de la population reste très incertain. Pourquoi un tel retard ?

 

Un système de santé décentralisé

Beaucoup d’observateurs japonais pointent du doigt l’échec du gouvernement à soutenir les développeurs de vaccins domestiques, dont les candidats sont encore loin d’être prêts à la distribution. Le Japon n’est cependant pas le seul pays dans ce cas, et a acheté à Pfizer, Moderna et Astra-Zeneca assez de doses pour vacciner sa population.

 

Une raison plus crédible du retard du Japon est la décentralisation extrême de son système de santé. Le système de paiement, de supervision des coûts et d’approbation des médicaments et vaccins est tenu de main ferme par Tokyo, mais, pour le reste, tout est laissé aux autorités provinciales, municipales, et, en fin de compte, aux centaines de milliers de petites cliniques qui parsèment l’archipel. Il en est de même pour la distribution des vaccins. Le gouvernement central fixe des objectifs globaux et est chargé de commander les vaccins et d’approvisionner les localités, mais – deux grands centres de « vaccination de masse » à Tokyo et Osaka mis à part – ce sont ces innombrables cliniques et hôpitaux qui sont chargés de vacciner leurs patients habituels – tout en continuant à fournir les autres services usuels.

Ce système fonctionne très bien pour la campagne annuelle de vaccination contre la grippe, à laquelle les médecins sont accoutumés et qui est inclue dans la planification de leurs activités normales. Un projet aussi massif, urgent et inhabituel que la vaccination contre covid-19 peut cependant causer confusion et problèmes, comme nous le verrons plus bas.

 

Complaisance et rigidité

La décentralisation du système de santé japonais n’explique cependant pas en elle-même la performance médiocre du pays en terme de vaccination. Après tout, le système des Etats-Unis est tout aussi décentralisé et, malgré sa gestion désastreuse de la pandémie, le pays est parvenu à vacciner une proportion importante de sa population depuis le début de l’année. Deux autres facteurs doivent je pense être pointés du doigt, à savoir l’absence de sentiment d’urgence qui a jusqu’à récemment affecté les autorités et la rigidité de la bureaucratie japonaise face aux situations de crise.

 

Le lecteur sera d’abord peut-être surpris d’apprendre que, jusqu’en avril de cette année, ni le gouvernement japonais ni les médias du pays ne semblaient très concentrés sur la question des vaccins. Cela est d’abord dû à la sévérité bien moindre de l’épidémie sur l’archipel, mais l’administration de Suga Yoshihide a également été lente à lancer les préparations nécessaires, alors que l’importance des vaccins pour vaincre la pandémie était connue depuis longtemps. Le problème ne résidait pas dans la commande des vaccins, puisque le Japon avait assez rapidement réussi à s’assurer assez de doses des vaccins les plus efficaces pour immuniser sa population. Monter une campagne de vaccination aussi massive est cependant une tâche gigantesque, mais M. Suga a attendu jusqu’en janvier de cette année pour nommer un ministre responsable pour l’archipel. Le premier vaccin approuvé, Pfizer-Biontech, ne le fut qu’en février, après que le gouvernement eut insisté sur d’inutiles essais cliniques à petite échelle sur sol japonais. Moderna et Astra-Zeneca n’ont suivi qu’à la mi-mai.

Le début de la campagne de vaccination du personnel de santé en février fut languide au possible, malgré l’importante vague d’infections qui touchait le pays à ce moment. Le retard du début de la vaccination des personnes âgées – annoncé d’abord pour mi-mars mais initié pour de bon en mai seulement – n’a pas causé la tempête de critiques qu’on aurait pu attendre. Résultat, les doses de vaccin Pfizer importées sans être distribuées s’accumulaient. 24 millions attendaient dans les congélateurs du gouvernement début mai. Ce n’est qu’avec le début d’une nouvelle vague d’infections encore plus dramatique en avril – amenant notamment le système de santé d’Osaka au bord de l’effondrement – que l’administration de M. Suga semble avoir enfin pris conscience de la gravité de la situation et commencé à souligner l’importance d’accélérer radicalement la cadence de vaccination pour reprendre contrôle de l’épidémie.

 

Le manque d’attention des autorités japonaises a donc beaucoup contribué au retard du pays, mais celui-ci a également été aggravé par la rigidité de l’appareil bureaucratique japonais. J’ai par le passé décrit, dans un tout autre contexte, son professionnalisme et ses marches à suivre bien pensées qui rendent les interactions quotidiennes avec l’administration publique agréables et faciles, mais également ses défauts, à savoir une obsession du le suivi des procédures en place coûte que coûte et une incapacité à s’adapter aux situations imprévues. Ces défauts se sont révélés fatals quand il s’est agi de mettre en place le programme de vaccination contre covid-19.

Au lieu de reconnaître que la situation exceptionnelle exigeait de bousculer quelques traditions et de centraliser certaines prises de décision, le gouvernement national a laissé aux autorités locales, déjà surchargées, le soin d’organiser la distribution des vaccins sur leur territoire. Celles-ci se sont ensuite tenues à leur processus habituel d’élaboration des politiques publiques, qui veut qu’elles reçoivent la contribution et l’approbation de tous les départements concernés et fassent l’objet de délibérations approfondies, visant à un résultat satisfaisant pour tous et dont tous les rouages ont été minutieusement élaborés. Ce perfectionnisme produit des politiques bien pensées, mais ne convient pas aux situations d’urgence.

 

Retard et cafouillages

A Sendai où je réside, les habitants ont reçu un feuillet d’instructions compréhensible et clair, où la marche à suivre pour effectuer les réservations et les lieux de vaccinations est expliquée de manière simple et détaillée (vous pouvez voir ci-dessous la section dédiée aux coupons de vaccination envoyés à toutes les personnes éligibles).

Seulement voilà, ces feuillets n’ont été publiés qu’à la mi-mai et la vaccination des personnes âgées n’a commencé pour de bon que la semaine dernière. Qui plus est, ni le gouvernement central, ni les autorités municipales n’ont pensé à mettre en place un système centralisé pour gérer les réservations et ont laissé les cliniques s’organiser individuellement comme le veut la coutume. Très peu disposent d’une plate-forme de réservation en ligne. Comme on pouvait s’y attendre, elles se sont donc trouvées débordées par une avalanche d’appels téléphoniques, suscitant frustration et plaintes des citoyens qui ont passé des journées entières à tenter de contacter leur clinique de choix, souvent sans succès.

 

Ces problèmes seront probablement résolus au cours des prochaines semaines, et le rythme des vaccinations s’est malgré tout fortement accéléré, atteignant 500’000 par jour en moyenne. Qu’il ait fallut aussi longtemps pour atteindre ce seuil est cependant un signe du manque d’agilité du système japonais. Qui plus est, d’autres barrières administratives tels que la règle voulant que seuls les médecins accrédités – et les infirmiers dans certains cas – puissent administrer les vaccins continuent d’entraver les progrès de la campagne. Le gouvernement est conscient de ces problèmes et promet des solutions, mais un réexamen complet des procédures de prise de décision en situation de crise n’est pas pour tout de suite. On peut espérer qu’il aura tout de même lieu une fois cette pandémie finie, afin de ne pas laisser le pays désemparé face à la prochaine.