Autour du Japon

Le Japon évalue les conséquences de l’invasion de l’Ukraine

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une profonde remise en question de la politique étrangère, de sécurité et d’énergie de l’Europe. L’Allemagne en particulier entreprend un grand tournant comprenant réarmement et questionnement de la politique d’ « engagement par le commerce » envers les Etats autoritaires. Qu’en est-il du Japon, également voisin de la Russie, de l’autre côté du monde ? Ici, l’invasion russe ne semble pas destinée à causer des changements radicaux, mais a conféré un sentiment d’urgence à plusieurs tendances préexistantes.

 

Fin des illusions envers la Russie

La première est l’abandon d’un engagement diplomatique avec la Russie dont l’échec était déjà évident depuis plusieurs années. L’ancien Premier Ministre Abe Shinzo avait consacré beaucoup d’énergie à tenter de séduire Vladimir Poutine avec des promesses de coopération pour le développement économique de l’Extrême-Orient russe. Son but était de négocier le retour d’au moins certaines des îles Kouriles (« Territoires du Nord » au Japon), occupées par l’Union Soviétique à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et pomme de discorde entre les deux pays depuis. Le Japon et la Russie n’ont d’ailleurs jamais conclu de traité de paix officiel, en grande partie à cause des dites îles.

Bien avant l’invasion de l’Ukraine, cependant, il était devenu clair que le Président russe n’avait aucune intention de faire des concessions. M. Abe n’avait pourtant pas abandonné espoir et, en raison de sa grande influence dans le monde politique nippon, ses successeurs se sont crus obligés de manifester leur soutien à son approche envers la Russie, même après sa démission. Cette situation a désormais radicalement changé. En 2014, après l’annexion de la Crimée, M. Abe n’avait suivi qu’avec grande réticence ses partenaires occidentaux dans les sanctions envers la Russie. Cette fois, après un bref moment d’hésitation, l’administration de Kishida Fumio s’est complètement alignée avec le reste du G7. Toute perspective d’engagement renouvelé avec la Russie est pour le moment morte et enterrée, et les élites japonaises sont unies dans leur condamnation de la menace posée par M. Poutine. Personne ne craint qu’il tente d’envahir l’Hokkaido (qui fait face à la Sibérie), mais les planificateurs de la défense du Japon s’attendent probablement à plus de tensions au nord de l’Archipel.

 

« Une crise pour l’Asie également »

La préoccupation principale de Tokyo reste cependant la défense du sud de l’Archipel face à l’avancée maritime de la Chine. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la remarque faite par plusieurs dirigeants japonais que la crise en Ukraine ne concerne pas uniquement l’Europe, mais risque de miner les fondements de l’ordre international en Asie également. C’est une référence à l’importance universelle du principe de non-agression et de respect des frontières établies, mais également, de manière plus spécifique, un écho des inquiétudes du Japon face aux actions chinoises en Mer de Chine orientale. La Chine et la Russie ont d’ailleurs ces dernières années conduit plusieurs patrouilles navales et aériennes conjointes dans la région.

En réponse, le budget de défense japonais s’accroît – à un rythme certes faible – et commence à dépasser la limite informelle de 1% du PIB que le Japon s’était jadis imposée. La crise en Ukraine ne changera pas cette trajectoire, mais va renforcer la conviction du gouvernement japonais quant à la nécessité d’augmenter les ressources et capacités des forces armées du pays.

 

Taiwan au cœur des préoccupations

Le souci le plus immédiat des autorités japonaises est le sort incertain de Taiwan. Depuis deux ou trois ans, divers politiciens et hauts fonctionnaires nippons sont devenus très francs et directs dans leurs expressions de grande préoccupation face à la pression grandissante imposée par la Chine sur l’île. Les stratèges japonais voient l’autonomie continue de Taiwan comme une question existentielle, puisqu’une « réunification » avec la Chine permettrait à cette dernière de facilement menacer les lignes de communications maritimes de l’Archipel et même les îles d’Okinawa en cas de conflit sino-japonais. Le cauchemar de Tokyo est donc que la Chine soie enhardie par les actions de la Russie et prenne la décision d’envahir Taiwan.

Rien ne suggère que Pékin soit tenté, même si les dirigeants chinois suivent avec attention le développement de la crise en Europe et en tireront des leçons pour leurs plans de « réunification par la force ». Cela n’a pas empêché M. Abe d’appeler les Etats-Unis à promettre officiellement de défendre Taiwan en cas d’attaque chinoise. Durant la même interview, il a également suggéré que le Japon devrait sérieusement discuter de l’accueil d’armes nucléaires américaines sur son territoire – un grand tabou en politique japonaise jusqu’à maintenant, même si c’est un secret de polichinelle que de telles armes sont déjà passées par les bases américaines dans l’Archipel.

Le Premier Ministre actuel, M. Kishida, s’est empressé de souligner que ce ne sont pas là les positions officielles du gouvernement japonais. Les remarques de M. Abe – qui a depuis la démission pris le rôle d’agitateur poussant le gouvernement vers une politique étrangère plus ferme – reflètent néanmoins le sentiment d’urgence des élites japonaises face au défi posé par un « axe autoritaire » entre Moscou et Pékin. Cette idée d’une opposition à l’échelle globale entre les pays démocratiques et des Etats autoritaires de plus en plus audacieux n’est pas nouvelle. L’invasion de l’Ukraine lui a cependant donné une grande urgence, au Japon comme en Europe.

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