Un nouveau premier ministre pour le Japon: Un « homme de parti » en remplace un autre

Suga Yoshihide (à gauche ci-dessus) n’est jamais parvenu à gagner l’affection du public japonais. Etant devenu premier ministre il y a une année en plein milieu de la pandémie, il avait la mission difficile de protéger et la santé de la population et l’économie nippone au moment où les variantes plus virulentes de covid-19 commençaient à se répandre à travers le monde. Il était donc peut-être inévitable qu’il fasse des erreurs et s’attire les critiques. Ses erreurs furent cependant particulièrement nombreuses et importantes.

 

Beaucoup d’erreurs, quelques succès

Il s’est obstiné pendant plusieurs mois à promouvoir la campagne « Go To Travel » visant à encourager le tourisme interne, alors que ses effets néfastes quant à la propagation du virus étaient devenus clairs. Après que les variants ont commencé à circuler dans l’archipel, son administration ne semblait avoir aucune réponse autre que la déclaration à répétition de « situations d’urgence » que le public prenait de moins au moins au sérieux. Le secteur hospitalier s’est retrouvé particulièrement malmené sans que cela n’empêche des vagues d’infections de plus en plus sérieuses, qui ont poussé le système de santé au-delà de ses limites et causé de grandes souffrances. Une fois lancée, la campagne de vaccination japonaise a été extrêmement efficace, mais son début très tardif à inutilement prolongé la pandémie dans l’archipel.

Par dessus tout, l’insistance de M. Suga à tenir les Jeux olympiques cet été malgré l’opposition massive de la population lui a attiré une grande antipathie. Il espérait sûrement que le lot sans précédent de médailles obtenues par les athlètes japonais allait malgré tout susciter l’enthousiasme du public et vivifier son administration. Si les Jeux ont effectivement bénéficié d’un regain d’image, M. Suga lui-même n’en a pas profité. De plus en plus impopulaire et abandonné par son parti, il n’a pas eu d’autre choix que de jeter l’éponge.

Il peut néanmoins se targuer de quelques succès importants durant son année au pouvoir. Il a notamment supervisé la création d’une agence pour la digitalisation de l’administration publique – un secteur où le Japon est très en retard – et sa promesse d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 a enfin concentré l’attention de la bureaucratie nippone sur le plus gros défi de notre temps. Si M. Suga a dû prématurément renoncer à sa position, s’est parce que ces succès d’administrateur pâlissent à côté de son incapacité à communiquer avec le public et à obtenir son soutien face aux défis de la pandémie. Au moment de son élection, j’avais évoqué les deux visages qu’un premier ministre japonais doit posséder, à savoir celui de maître de la bureaucratie et de la politique interne de son parti d’un côté, et celui de dirigeant capable de séduire le public de l’autre. M. Suga excellait peut-être dans ce premier rôle mais, taciturne et mauvais orateur, il n’est jamais parvenu à habiter le second. C’est la raison principale de sa chute.

 

Un Parti libéral-démocrate borné

Son parti ne semble pas avoir tiré leçon de son infortune. Pour le remplacer, il a choisi Kishida Fumio (à droite ci-dessus), un autre « homme de parti » avec une longue expérience au sein de son organisation et au gouvernement, mais sans grande couleur ni charisme. L’autre candidat principal dans la course à la présidence du Parti libéral-démocrate (PLD) – et donc à la tête du gouvernement puisque ledit parti domine le système politique japonais – était Kono Taro, jusqu’à récemment le responsable de la campagne de vaccination et un excellent communicateur qui est beaucoup plus populaire auprès du public. Les grands pontes du PLD se méfient cependant de lui à cause de sa tendance à prendre des décisions importantes sans les consulter comme il est de coutume au Japon. M. Kono a également exprimé son opposition à l’énergie nucléaire et son soutien au mariage homosexuel, à plus d’égalité des sexes, et à la réforme des codes qui encadrent la famille impériale – autant de positions qui le mettent en porte à faux avec la droite nationaliste et conservatrice qui domine le PLD.

Face à ces « défauts », les préférences de la population semblent à nouveau ne pas avoir compté pour grand chose et M. Kishida a été jugé plus fiable. Puisque les règles internes au parti font que la voix de sa délégation parlementaire domine son élection présidentielle et que la plupart des chefs de factions ont indiqué leur opposition à M. Kono, il était devenu clair même avant le scrutin que ses chances de victoire étaient très faibles. En somme, le rôle de « manager de parti » s’est révélé plus important que celui de « dirigeant populaire ».

 

Kishida saura-t-il charmer ?

Il reviendra donc à M. Kishida de mener le PLD durant l’élection parlementaire qui devait avoir lieu cet automne et vient d’être fixée au 31 octobre. Il est difficile de dire à quel point le rejet de M. Kono nuira au parti. La tâche de ses délégués les plus vulnérables est certainement devenue plus difficile, mais le risque pour le PLD de perdre sa majorité est infime. C’est d’ailleurs bien pour cela que les grands pontes du parti se sont sentis libres de faire fi de l’opinion publique.

Ce n’est cependant pas M. Kishida qui parviendra à inverser la baisse du taux de participation aux élections que connaît le Japon depuis plus de 30 ans. Le faible impact de l’opinion populaire sur le choix du dirigeant du pays n’est également pas de très bon augure pour la vitalité de sa démocratie. Quant au nouveau premier ministre lui-même, il risque de faire face au même défi que son prédécesseur. Il est peut-être une présence rassurante et familière pour les chefs du LDP et pour les hauts bureaucrates, mais saura-t-il gagner le cœur d’une population qui n’a pas eu son mot à dire dans son élection ? Il promet de rendre l’économie plus équitable, de rapprocher les élites politiques du reste des citoyens et de s’efforcer d’obtenir la coopération du public. S’il faillit à cette tâche, il risque de ne pas faire beaucoup plus long feu que M. Suga.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.