Tokyo 2020: Une malédiction olympique qui restera dans les annales

Il semblait encore possible ce printemps que les Jeux Olympiques de Tokyo n’aient finalement pas lieu. Les sondages indiquaient qu’une très large majorité des Japonais y étaient opposés. Selon une étude d’un des grands journaux du pays, plus de 80% désiraient les annuler, ou en tout cas les repousser à nouveau. Les autorités et le Comité International Olympique (CIO) insistaient cependant pour que les Jeux aient lieu coûte que coûte. Constatant que les préparations progressaient malgré tout et que les athlètes commençaient à se rassembler sur l’archipel, la population nippone s’est donc résignée à l’inévitable. La cérémonie d’ouverture aura bien lieu le 23 juillet.

Ce sentiment de résignation ne doit cependant pas être pris pour de l’enthousiasme. Rares sont les citoyens qui semblent se réjouir du début des Jeux. Rien de surprenant à cela puisque les mesures anti-covid ont mis fin à toute possibilité pour la population de profiter de l’occasion. Les échanges culturels avec les athlètes séjournant autour de l’Archipel ont dû être annulés ou avoir lieu avec d’importantes restrictions. La décision a également été prise récemment de tenir la grande majorité des épreuves sans aucun spectateur. Il n’y aura pas de fan zone, et la plupart des dizaines de millier de jeunes Japonais qui s’étaient portés volontaires ont été informé que leurs services ne seront finalement pas requis.

Il faut dire que Tokyo se trouve une fois de plus en état d’urgence en raison d’une nouvelle vague d’infections. La campagne de vaccination du Japon progresse désormais rapidement, mais son début très tardif fait que la proportion de la population protégée reste faible (environ 20% ont reçu leur seconde dose). L’atmosphère durant les Jeux sera morose plutôt que festive.

 

On peut donc se demander à qui ceux-ci profitent. Ce n’est clairement ni à la population japonaise ni aux entreprises qui ont sponsorisé les Jeux. Leur impopularité risque d’entacher l’image des compagnies concernées plutôt que de la promouvoir. Les athlètes sont quant à eux sûrement heureux d’enfin pouvoir participer aux épreuves pour lesquelles ils se préparent depuis des années. Les mesures draconiennes prises par les autorités pour garantir à la population que les visiteurs ne seront pas vecteurs de nouvelles infections sont cependant propres à saper tout plaisir. Les athlètes sont plus ou moins prisonniers de leur chambre d’hôtel jusqu’au début des Jeux et doivent se soumettre à des tests quotidiens. Ils ne pourront séjourner dans le village olympique – ouvert récemment sans aucune fanfare – que pour la durée des compétitions et devront le quitter dans les deux jours après la fin de leur participation. Ils resteront tout au long soumis à de lourdes restrictions sur leurs mouvements ; même les interactions entre athlètes et accompagnants seront réduites.

Les plus grands gagnants potentiels de Tokyo 2021 sont donc l’administration de Suga Yoshihide et le CIO. La popularité de M. Suga a fortement baissé ces derniers mois en raison de sa piètre gestion de la pandémie et de son obstination à tenir les Jeux malgré le mécontentement populaire. Ses rivaux au sein du Parti Libéral Démocrate (PLD) s’agitent et les spéculations vont bon train quant à sa capacité à survivre plus d’une année à la tête du parti et du gouvernement. Une élection à la présidence du PLD doit en effet être tenue en septembre, suivie par une élection parlementaire fin octobre au plus tard. M. Suga espère sûrement remonter dans les sondages si les Jeux se déroulent sans heurts, si le Japon gagne un beau lot de médailles, et si la campagne de vaccination progresse bien. Cela lui permettrait de faire face aux deux échéances électorales avec le vent en poupe, voire même de déclencher une élection parlementaire anticipée avant celle, interne, au PLD. C’est cependant un calcul risqué, dont les chances de succès ont encore diminué après la déclaration d’un nouvel état d’urgence à Tokyo.

Pour le CIO, le calcul est beaucoup plus clair. La tenue des Jeux lui permettra de toucher les milliards de dollars que valent les droits de retransmission télévisuels et qui alimentent son train de vie opulent. Peu lui importe en fin de compte l’absence de spectateurs. Ce manque à gagner retombera largement sur les organisateurs japonais. Ces gains financiers se feront cependant au détriment de tout soutien futur pour le projet olympique de la part du Japon. Le Président du CIO, Thomas Bach, est sans surprise extrêmement impopulaire sur l’Archipel. Ses remarques maladroites louant « l’esprit de sacrifice » et « l’endurance » du peuple japonais lui ont attiré un profond mépris qui retombe sur les Jeux eux-mêmes. Le CIO, déjà la cible de nombreuses critiques et ayant de plus en plus de difficultés à attirer des propositions de villes hôtes, verra son image encore plus discréditée. Au Japon en tout cas, bien téméraire sera le politicien qui proposera à l’avenir d’accueillir les Jeux après l’expérience maudite de Tokyo 2020.

 

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.