La floraison des cerisiers et les deux crises de notre temps

C’est la saison de la floraison des cerisiers dans l’archipel nippon, une période traditionnellement joyeuse où la population fête collectivement l’arrivée du printemps. L’atmosphère cette année est cependant plutôt morose. Il est en effet difficile d’avoir le cœur léger alors que les cas de covid-19 recommencent à grimper tout autour du pays, atteignant des nombres sans précédent dans plusieurs régions sous l’effet du redoutable « variant anglais ». La troisième vague du virus est tout juste finie, et l’on craint déjà assister au début de la quatrième.

La situation reste certes moins dramatique qu’en Europe (2700 cas par jour en moyenne ici), mais les autorités ont fortement enjoint à la population de faire l’impasse cette année encore sur les traditionnelles verrées entre amis sous les cerisiers. Entre le malaise économique, l’inquiétude due à l’insistance du gouvernement à tenir les Jeux olympiques cet été, et la distribution des vaccins désespérément lente, on doute de toute façon que les Japonais aient beaucoup l’esprit à faire la fête.

 

Un second facteur vient également gâcher l’atmosphère de réjouissance qui accompagne typiquement cette période de l’année où tout l’Archipel se pare de ses plus belles couleurs. La floraison des cerisiers n’a en effet jamais eu lieu aussi tôt. Les comparaisons historiques sont facilitées par le fait qu’à Kyoto, l’ancien siège du pouvoir politique japonais et le lieu de résidence de la maison impériale jusqu’à la Restauration Meiji, on enregistre le début de cette floraison depuis 812.

 

Ces longues annales mettent en lumière comment l’activité industrielle a déjà depuis longtemps affecté le climat et à quel point le réchauffement s’est récemment accéléré. Comme on peut le voir sur la charte ci-dessus (issue d’une étude de l’Université de la Préfecture d’Osaka), la période de plénitude de floraison a grandement varié au cours des siècles mais sa précocité ces dernières années rompt le rythme des cycles historiques. Cette année a brisé tous les records et l’on peut craindre qu’elle soit annonciatrice d’une nouvelle normalité. A Sendai où je réside, les cerisiers sont déjà en pleine floraison, près d’un mois plus rapidement que d’habitude.

Etant donné l’importance dans le calendrier japonais de cette floraison, qui est sensée coïncider avec la fin d’une année scolaire et professionnelle et le début d’une nouvelle, on peut espérer que la tendance de plus en plus marquée à la précocité concentrera les esprits sur l’urgence climatique. Le gouvernement de Suga Yoshihide a promis une réponse plus déterminée que par le passé, et les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 sont ces temps-ci un grand sujet de débat politique. Une stratégie énergétique révisée est prévue pour cet été. Entre la lutte contre le réchauffement et celle contre covid-19, M. Suga aura fort à faire ces prochains mois.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

4 réponses à “La floraison des cerisiers et les deux crises de notre temps

  1. Ces données historiques sont intéressantes. Merci de les partager.
    Au-delà de la précocité cette année, qui pourrait être un cas isolé, ce qui est frappant est la tendance constante sur les 200 dernières années, mise en évidence par la moyenne mobile.
    Le fait que cette période coïncide avec l’ère industrielle et qu’aucune autre tranche de 200+ années ne présente une tendance constante renforce le constat.
    Savez-vous quel est le nombre d’années utilisé pour calculer la moyenne mobile ?

    1. Oui effectivement, ces données montrent que des variations assez importantes sont attendues, mais que la période contemporaine brise tout de même la norme. Désolé, je ne sais pas comment la moyenne mobile a été calculée.

  2. Merci pour le blog.
    La floraison des cerisiers est sans doute l’une des rares merveilles qui m’inciterait à aller au Japon en cette saison (hors crise sanitaire et JO déshumanisés..)
    Sur Honshu et dans la région de Sendai les séquelles de Fukushima n’ont- elles pas perturbé depuis dix ans les admirateurs habituels de ce phénomène ?

    1. La magie de la saison des cerisiers est qu’il y en a vraiment à tous les coins de rue et dans tout l’archipel, et il est difficile de ne pas s’abandonner à l’admiration de leur beauté. Bien sûr les séquelles du triple désastre du 11 mars sont encore source de souffrance pour beaucoup d’habitants du Tohoku, mais la “hanami” (“contemplation des fleurs”) reste l’occasion de mettre de côté ses soucis et de profiter du moment entre amis et proches. Donc non, rien ne peut normalement gâcher ce beau moment. Malheureusement cette année est différente, comme je le note dans ce billet…

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