Le Japon face au coronavirus : un mois après le début de la crise

Le gouvernement japonais n’a pas brillé par l’efficacité de sa réponse à la crise du coronavirus. Il fut d’abord lent à établir des mesures de restriction des voyageurs venus de la province de Hubei au centre de l’épidémie. Il a attendu plus d’une semaine après lax découverte des premiers cas de transmission à l’intérieur du pays avant de dévoiler un plan stratégique. La gestion du cas du bateau de croisière Diamond Princess, où le virus s’est répandu durant une mise en quarantaine dans le port de Yokohama et a infecté plus de 700 passagers et membres de l’équipage (7 d’entre eux sont ensuite décédés), a également été largement critiquée.

Même s’il était probablement inévitable que Covid-19 se répande dans l’archipel étant donné les liens sociaux et économiques étroits entre le Japon et la Chine, le manque de réactivité du gouvernement d’Abe Shinzo a donc vraisemblablement aggravé l’épidémie. Le contraste avec Taiwan, dont les autorités ont agi de façon rapide et décisive et qui est ainsi parvenu, jusqu’ici, à éviter une épidémie, est frappant. Encore maintenant, il semble que la coordination au sommet du gouvernement japonais soit imparfaite, et que le Premier Ministre n’est pas parvenu à établir une unité de crise avec une chaîne de commandement claire.

 

La courbe a-t-elle été aplatie ?

Malgré ces cafouillages, la croissance du nombre de personnes infectées au Japon a suivi une trajectoire différente de celles des pays occidentaux. Les premières infections de provenance incertaine furent découvertes à la mi-février, soit quelques jours avant le début de la crise en Italie. De nouveaux cas ont depuis lors été annoncés tous les jours (autour d’une vingtaine au début, souvent plus d’une cinquantaine ces jours-ci), mais la progression du virus semble être nettement moins rapide qu’en Europe.

Beaucoup soupçonnent que la raison en est en réalité le faible nombre de tests diagnostics réalisés par les autorités, en raison de critères de contrôle de qualité stricts et d’une mobilisation tardive des acteurs privés capables de les conduire. Cependant, quel que soit le nombre total de personnes infectées, le nombre relativement faible de cas graves (35 au moment où j’écris ces lignes) et de décès (22) alors que nous nous approchons d’un mois après le début de l’épidémie et que la population japonaise est la plus vieillissante du monde (et donc particulièrement à risque) suggère que les hôpitaux japonais ne sont pas sur le point d’être débordés. Si l’objectif des politiques publiques aujourd’hui est d’aplatir la courbe de progression du virus pour éviter de surcharger les infrastructures publiques – le grand nombre de lits d’hôpitaux par habitant dont dispose le pays est ici bienvenu -, le Japon semble pour le moment y parvenir.

C’est en tout cas le constat fait le 9 mars par le conseil d’experts réunis par le gouvernement japonais. Il a alors noté avec soulagement l’absence de progression explosive du virus, tout en soulignant le danger de tout relâchement et la nécessité d’utiliser le temps ainsi gagné pour renforcer le plus possible les infrastructures de santé. Si le Japon a réussi à éviter le pire malgré la réponse pour le moins imparfaite du gouvernement de M. Abe, comment ce résultat s’explique-t-il ?

 

Mesures drastiques

La première est que les mesures prises – certes tardivement – par le gouvernement central ont probablement eu l’effet escompté. Je fais d’abord référence ici à l’annulation de presque tous les événements publics et à la fermeture des musées et autres attractions populaires tel que Disneyland depuis fin février. On a également fortement encouragé les compagnies à donner généreusement des jours de congé maladie à leurs employés et à permettre le travail à distance, ainsi que des horaires de travail décalés pour amenuiser les flux de passagers dans les transports durant les légendaires heures de pointe japonaises. La mesure la plus drastique fut cependant une demande soudaine de fermer toutes les écoles du pays durant tout le mois de mars. M. Abe fit alors l’objet d’un torrent de critiques selon lesquelles cette décision avait été prise de façon arbitraire sans consulter ni experts ni collègues, et était inspirée avant tout par un désir d’avoir l’air résolu, afin de rassurer le Comité International Olympique quant à la capacité du Japon à tenir les Jeux comme prévu cet été à Tokyo.

Ces critiques sont tout à fait légitimes, mais beaucoup reconnaissent maintenant que la fermeture des écoles a contribué à freiner l’avancée du virus. Cependant, une telle mesure imposée dans tout le pays ne fait sens qu’à court terme. Comme le souligne le conseil d’experts du gouvernement, la bataille contre le virus sera un travail de longue haleine et il s’agira de trouver le juste équilibre entre prévention de sa propagation et préservation de l’activité économique et sociale. Nombre d’autorités locales dans des régions moins touchées par le virus ont déjà commencé à rouvrir les établissements scolaires pour éviter de trop chambouler la vie de tous les parents mis dans l’embarras par le besoin soudain de s’occuper de leurs enfants plutôt que d’aller travailler. Des fermetures ciblées dans les zones à risque et d’autres mesures de minimisation du danger de propagation seront à l’avenir bien plus appropriées qu’une politique uniforme pour tout le pays.

 

Mobiliser la population et dépister les foyers épidémiques

Plus importants encore que l’interdiction des grandes réunions ont probablement été l’appel au sens civique des Japonais et la mise en place de protocoles efficaces pour gérer tout foyer d’épidémie découvert. En ce qui concerne le premier élément, le Japon – comme ses voisins d’ailleurs – bénéficie d’un avantage clair, à savoir une culture qui a traditionnellement accordé une grande importance à la propreté et aux égards pour les autres. Il n’a pas fallu beaucoup d’encouragements du gouvernement pour que les citoyens respectent les règles d’hygiène simples qui peuvent ralentir la propagation du virus et s’efforcent de ne pas mettre en danger les personnes vulnérables dans leur entourage. C’est bien sûr dans les situations de crises telles que celle-ci que les valeurs collectives qui animent encore aujourd’hui les sociétés post-confucianistes d’Asie de l’Est se révèlent le plus utiles.

Malgré la performance très imparfaite du gouvernement japonais, le pays a également pu compter sur l’efficacité de son appareil bureaucratique au niveau national comme local, et aux relations de confiance entre fonctionnaires, personnel de santé et représentants de la société civile. Ces avantages ont été décisifs ces dernières semaines, permettant aux autorités de rapidement identifier les foyers émergents et d’atteindre et d’isoler tous les infectés potentiels, évitant ainsi que nombre d’entre eux ne propagent le virus. Comme on a pu le voir au début de l’épidémie, la bureaucratie japonaise a tendance à se retrouver paralysée face à une situation de crise imprévue durant laquelle les procédures en place sont inapplicables. Une fois que le cerveau collectif des fonctionnaires s’est adapté aux nouvelles tâches qu’on attend d’eux, ils font en revanche preuve d’une grande compétence.

Cela permet pour le moment aux Japonais d’affronter la crise du coronavirus avec une certaine sérénité. Les gens sont bien sûr inquiets, et beaucoup doivent faire des ajustements. A Tokyo cependant, même si les trains sont moins bondés que d’habitude, la vie semble suivre son cours plus ou moins normalement. Espérons qu’une aggravation de l’épidémie n’amènera pas les Japonais à des sacrifices autrement plus conséquents.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

3 réponses à “Le Japon face au coronavirus : un mois après le début de la crise

  1. Les Japonais pratiquent des soins de préventions comme le reiki qui améliorent leur immunité, inutile diront beaucoup d’occident aux ! Allez savoir ? Les diagnostic de notre médecine moderne sont excellents, mais les solutions exclusivement médicamenteuses on le voit ont des limites, en cas d’épidémie il va falloir analyser tout ça avec plus de recul. Belle journée, avec beaucoup d’amour et de solidarité…

    1. Coignard, le Reiki est absolument marginal ici au Japon, et reconnu comme la charlatanerie qu’il est (tout comme le reste des médecines dites “alternatives” d’ailleurs) et n’a donc absolument aucune influence sur la progression de l’épidémie. L’application des gestes barrières, et l’excellence des hôpitaux qui appliquent avec diligence les principes de la médecine moderne et médicamenteuse montrent en revanche leur efficacité.

      Au fait, vous savez comment on appelle une médecine alternative qui marche? La médecine.

      Belle journée à vous, avec amour et rationalité.

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