Abe accueille Trump dans la surenchère

Si 2017 était l’année où l’approche obséquieuse choisie par le Premier Ministre japonais Abe Shinzo pour traiter avec Donald Trump paraissait couronnée de succès et 2018 l’année du désenchantement face au manque total de fiabilité du Président, 2019 est peut-être l’année de la résignation. Quels que soient les dangers posés par la politique de « l’Amérique d’abord », les États-Unis restent le partenaire le plus important du Japon et maintenir des relations stables et amicales avec eux est une priorité pour Tokyo aussi difficile soit l’occupant de la Maison Blanche

Le but affiché de M. Abe en invitant M. Trump au Japon la semaine dernière était donc de réaffirmer et de démontrer en grande pompe la solidité des liens entre les deux pays. Peu de résultats concrets étaient attendus des discussions entre les deux dirigeants, et peu furent annoncés. Le programme élaboré pour le président américain, entre dîner d’État, revue des troupes, entretien avec l’empereur Naruhito récemment intronisé, lunch de cheeseburgers et tournoi de lutte sumo, visait surtout à célébrer une alliance cruciale à la sécurité du Japon et à entretenir les liens étroits que M. Abe est parvenu à tisser avec un homme qui semble résolu à se brouiller avec tous les autres partenaires traditionnels des États-Unis. Les deux chefs d’État restent d’ailleurs en communication très fréquente, ce qui donne à Mr. Abe des occasions répétées de faire part de ses préoccupations à son homologue, dans l’espoir probablement un peu vain que celui-ci finira par les enregistrer et les prendre en compte.

 

Une concession à M. Abe, aucune au Japon

Si l’on en croit le sourire béat de M. Trump à Tokyo lorsqu’il remit au gagnant du tournoi de sumo un trophée spécial préparé en son honneur – qui contraste avec l’air misérable qu’il semble prendre chaque fois que ses obligations officielles l’obligent à quitter Washington pour l’un ou l’autre sommet international – l’opération de séduction fut couronnée de succès. Son premier résultat concret est le consentement apparemment donné par M. Trump à la demande de M. Abe de suspendre les négociations entre les deux pays en vue de la conclusion d’un nouvel accord économique jusqu’aux élections pour la chambre haute de la Diète japonaise, qui auront lieu en juillet. Cette concession ne sert cependant pas les intérêts nationaux du Japon, mais bien ceux du Premier Ministre et de son parti, qui évitent ainsi de devoir expliquer une quelconque concession accordée aux États-Unis.

On peut douter que M. Trump soit disposé à prendre en compte plus largement les préoccupations japonaises, que ce soit en matière de relations commerciales ou au sujet de la Corée du Nord. Durant leur conférence de presse commune, le président américain s’est en effet dit « indifférent » à la reprise des essais de missiles par Pyongyang, que M. Abe a pour sa part qualifié de « très regrettable » et de contraire aux résolutions du Conseil de Sécurité. Il avait auparavant condamné bien plus fermement des actes qui présentent une menace réelle pour l’archipel nippon. Quant aux demandes d’une ouverture plus large du marché agricole nippon – sous menace d’imposition d’une taxe à l’importation des voitures assemblées dans l’archipel – le président américain, toujours aussi obsédé par le déficit commercial de son pays, ne semble pas prêt à les réviser.

 

La moins mauvaise solution

Dans cette situation, à quoi bon s’évertuer à plaire à M. Trump, dira-t-on ? M. Abe est tout de même un vrai homme d’État qui se targue de représenter adroitement les intérêts japonais sur la scène internationale. Il a probablement conclu que sa stratégie, malgré son efficacité limitée, reste le meilleur moyen de gérer une Maison Blanche colérique jusqu’aux prochaines élections américaines. C’est bien parce que M. Trump – et son équipe, car il n’est pas le seul à se comporter comme une brute sur la scène internationale – se plait tant à dénoncer les engagements pris par ses prédécesseurs et à déstabiliser l’ordre international que M. Abe redouble d’efforts pour démontrer que l’alliance Japon-USA, pilier de la présence américaine en Asie de l’Est, reste forte au milieu de la tourmente.

Les pompes et cérémonies qui ont accompagné le sommet de Tokyo visaient donc à imposer une impression de normalité et de stabilité dans une situation fragile et anormale. Durant leur conférence de presse commune, le Premier Ministre s’est d’ailleurs permis une petite remarque impromptue au sujet des tensions économiques entre Washington et Pékin, pour noter l’importance systémique de leur relation et appeler à un retour à la stabilité. Tant que l’Amérique sera menée par un homme imprévisible et égocentrique, jouer le rôle de confident et d’ami est probablement considéré par M. Abe comme l’unique moyen de préserver ce qui peut l’être, même si les limites de cette approche sont évidentes.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

Une réponse à “Abe accueille Trump dans la surenchère

  1. Combien faudra-t-il de temps et d’efforts à un prochain président US pour réparer les dommages causés dans le monde à l’image et la crédibilité des Etats-Unis par Donald Trump ?!

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