Election japonaise : plus ça change…

Dans une colonne pour la page opinions et débats du Temps écrite au début de la campagne, j’avais évoqué la possibilité que la Diète japonaise se retrouve dominée par la droite conservatrice au lendemain des élections du 22 octobre dernier. On avait en effet assisté à la création surprise d’un nouveau parti, le Parti de l’espoir (PE), mené par la populaire gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, et à la dissolution de ce qui était jusqu’alors le plus grand parti d’opposition, le Parti démocrate progressiste (PDP), dont un grand nombre de membres ont décidé de rejoindre le PE. La victoire du parti au pouvoir le Parti libéral-démocrate (PLD) ne faisait quant à elle aucun doute.

Les craintes que j’avais exprimées se sont heureusement révélées infondées : le PLD a conservé plus ou moins le même nombre de sièges et dispose avec son partenaire de coalition d’une super-majorité de deux tiers, mais le parti de Mme Koike a fait un mauvais score et a été dépassé par le parti créé dans l’urgence par les membres de gauche du PDP qui avaient rejeté une alliance avec le PE, orienté à droite. Pour comprendre les raisons de ce résultat, examinons tour à tour les trois acteurs principaux d’une campagne mouvementée.

 

De l’espoir au désespoir

La première grande surprise de la campagne est la vitesse avec laquelle le soutient pour le nouveau parti de Mme Koike s’est effondré. Les premiers sondages suggéraient pourtant qu’il pouvait poser une véritable menace pour le PLD. Tel ne fut en fin de compte pas le cas et Mme Koike a du reconnaître sa défaite. Trois raisons expliquent son mauvais score.

Les Japonais ont d’abord été rebutés par la manière dictatoriale avec laquelle Mme Koike a rejeté tout membre potentiel qui refusait de soutenir absolument les positions du parti sur les questions de sécurité et de révision constitutionnelle. Le fait qu’elle reste à son poste de gouverneur et refuse de se présenter à l’élection a également nui à la crédibilité du PE qui se retrouvait sans candidat pour diriger un gouvernement potentiel, admettant par là-même qu’il n’avait aucune chance de vaincre le PLD.

La raison principale de son échec est cependant à mon sens l’ambivalence de Mme Koike dans son opposition au gouvernement de Shinzo Abe, le Premier Ministre. Tout en dénonçant son style de leadership, elle épousait beaucoup de ses politiques et semblait prête à changer d’avis à tout moment là où ses positions différaient de celles du PLD. Beaucoup de votants se sont donc demandé quelles étaient ses vraies convictions et si elle présentait véritablement une alternative à M. Abe comme elle le prétendait.

 

Les partisans de la constitution

Personne n’avait les mêmes doutes au sujet du nouveau parti fondé par les membres de gauche du PDP, le Parti démocrate constitutionnel (PDC) dirigé par Yukio Edano (à gauche sur la photo ci-dessus). Ceux-ci ont en effet été très clairs dès le départ dans leur message : le Premier Ministre est en train de miner l’ordre constitutionnel en engageant nombre d’initiatives législatives menaçant les libertés individuelles et allant à l’encontre des impératifs pacifistes du texte fondateur.

Le PDC promettait donc une opposition de principe au gouvernement, sans compromis sur les questions fondamentales, et un message économique dénonçant les inégalités croissantes et se concentrant sur l’amélioration de la qualité de vie du Japonais moyen. Ce message a su convaincre nombre de votants opposés à la domination du PLD et a permis au nouveau parti de grandement augmenter son nombre (certes modeste) de sièges pour devenir le principal parti d’opposition. Le PDC a continué de grimper dans les sondages depuis le 22 octobre, suggérant un appétit certain au sein de la population pour un contrepoids au PLD suivant une ligne idéologique claire.

 

Le PLD toujours dominant, les pieds de M. Abe toujours d’argiles

Il ne faut cependant pas se méprendre, le grand gagnant de l’élection reste le PLD qui a obtenu pour la troisième fois une grande majorité des sièges à la Diète. Les raisons de ce succès sont familières. D’abord le système électoral, reposant en grande partie sur des districts électoraux où le candidat qui reçoit le plus grand nombre de voix gagne dès le premier tour (un système similaire à celui de la Grande Bretagne), favorise le parti dominant. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’opposition est divisée, comme elle l’était durant cette élection, entre plusieurs candidats dans chaque district. Cela a permis au PLD de s’imposer même là où les votes combinés pour les partis d’opposition étaient beaucoup plus nombreux.

Le message de M. Abe, à savoir que son parti incarne la stabilité et la protection face à la menace nord-coréenne et à une situation économique toujours très incertaine, a également été efficace. Lorsque le contexte international est inquiétant et que l’opposition est en plein chamboulement, beaucoup de Japonais choisissent la prédictibilité offerte par la présence constante et rassurante du parti qui a dominé la politique japonaise presque sans interruption depuis les années 1950.

 

M. Abe reste cependant bien moins puissant qu’il n’y paraît, et le portrait d’un colosse aux pieds d’argiles, que j’avais dépeint dans un billet l’année dernière, reste valable. Le Premier Ministre est aujourd’hui bien moins populaire que son parti, et une majorité de votants affirment ne pas lui faire confiance ; ils se disent prêt à le voir quitter son poste. Il est vrai qu’il domine la scène politique depuis bientôt cinq ans et s’est récemment retrouvé mêlé à deux scandales. De plus, malgré le remue-ménage au sein de l’opposition, la composition générale de la Diète a en réalité très peu changé au lendemain des élections. Malgré son triomphe électoral, on peut donc douter que M. Abe puisse mener à bien ses projets les plus ambitieux, notamment la révision de la constitution.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.