Le Japon tiré du lit par la Corée du Nord

Le test d’arme atomique effectué par la Corée du Nord le 3 septembre a (littéralement) secoué la région et suscité l’inquiétude du monde entier. Pour les Japonais cependant, le plus grand choc de ces dernières semaines fut plutôt le missile que le régime nord-coréen a envoyé au-dessus du nord de l’archipel quelques jours auparavant.

Un réveil peu plaisant

Il était 6h du matin, un jour de semaine comme les autres, lorsque les habitants de tout le nord du Japon (soit une population de près de 15 millions de personnes), pour la plupart encore en train de dormir ou de se préparer pour la journée, sont tirés du sommeil ou de leur routine par une alarme retentissante venant de leur téléphone et des haut-parleurs publics.

Le premier réflexe de beaucoup est de craindre un grand tremblement de terre et peut-être un tsunami, mais il n’en est rien, car le message d’urgence affiché sur tous les téléphones est celui qui figure en tête de ce billet. Il mérite d’être traduit intégralement : « Lancement de missile. Lancement de missile. Un missile a été lancé de la Corée du Nord. Veuillez vous réfugier dans un bâtiment solide ou en sous-sol. » A ce moment, le missile est dans les airs, et se dirige vers le Japon. Jusque dans la capitale plus de 300 kilomètres au sud, des annonces retentissent dans les gares.

Vite passer outre

On sait ce qu’il est advenu du missile : après avoir survolé une partie de l’Hokkaido, l’île septentrionale de l’archipel nippon, il s’est écrasé à plus de 1000 kilomètres des côtes. Les Japonais sont vite retournés à leur quotidien et le test nucléaire qui a suivi de près n’a pas réellement réussi à les détourner de leur vraie préoccupation du moment : le fait que la princesse Mako se marie avec un roturier, et quitte par cet acte même la maison impériale (la loi impériale japonaise n’étant pas très clémente pour les droits de la femme).

En d’autres termes, malgré une frayeur réelle et fort compréhensible sur le moment, la population nippone fait preuve d’un flegmatisme certain face au survol du missile comme à la menace nord-coréenne en général. Il faut savoir que ce n’est pas la première fois qu’un missile survole l’archipel. Cela s’est déjà produit en 1998, et encore trois fois depuis (avec un avertissement préalable de la Corée du Nord dans ces trois cas). En bref, même si la capacité de créer des incidents internationaux du régime nord-coréen s’est rapidement développée ces dernières années, sa volonté d’agir comme fauteur de trouble ne date pas d’hier, et les Japonais s’y sont habitués.

Les réactions des citoyens au micro des médias ou sur les réseaux sociaux sont révélatrices. Certes, la Corée du Nord fait peur, mais la vie continue. Il faut calmer la situation (cela s’applique aussi à M. Trump). Et avant tout une touche d’humour noir : C’est bien beau de nous demander de fuir les missiles, mais fuir où ?!

Préparer la population

Au vu de cette réaction désabusée des citoyens, la question se pose donc : était-il vraiment judicieux pour le gouvernement d’activer le système d’alerte générale développé pour la prévention des séismes et d’effrayer profondément une partie non négligeable de la population alors que, malgré les errements de Kim Jong Un, rien ne pouvait laisser penser que le lancement du missile par Pyongyang était une attaque contre le Japon ? Il ne faut bien entendu pas nier le sérieux de la situation. Les actions de la Corée du Nord sont hostiles, et représentent une menace claire pour le Japon. Mais pourquoi, dans cette situation précise, le gouvernement a-t-il choisi une réponse si radicale ? La réponse est un mélange d’objectifs de sécurité nationale et de bénéfices politiques pour le gouvernement conservateur de Shinzo Abe.

Premièrement, une partie des élites japonaises s’est longtemps souciée du manque de préparation de la population du pays en cas de vraie crise internationale dans une région volatile et remplie d’incertitudes (Corée du Nord, montée de la Chine, Taiwan, …). Elle craint que l’engourdissement des Japonais dans leur vie paisible ne devienne un problème en cas de crise. Il serait facile de rétorquer que le fait de vivre dans un pays hautement vulnérable aux catastrophes naturelles a suffisamment préparé les Japonais à l’adversité, comme le montre la réponse populaire admirable au séisme et tsunami de mars 2011, mais, dans tous les cas, déclencher le système d’alerte générale pouvait être vu comme une occasion utile de le tester, tout simplement, et de pousser (violemment) les habitants de l’archipel à se souvenir que leur voisinage est turbulent et dangereux.

Bénéfices politiques

Le narratif d’un Japon sous la menace convient également très bien à M. Abe et à son gouvernement. Celui-ci a récemment été chahuté par une succession de scandales et par une défaite électorale cinglante à Tokyo, donnant lieu à une chute sévère dans les sondages, suivie d’un remaniement de cabinet (qui semble avoir été bien reçu par le public). Dans ces moments délicats, tout politicien le sait, rien de mieux qu’une crise de politique étrangère permettant au gouvernement d’apparaître fort et déterminé pour rallier la population.

Il faut dire que le régime nord-coréen présente en ce sens la menace parfaite. Voilà une situation d’urgence indubitable permettant à M. Abe de justifier le renforcement des capacités et des pouvoirs légaux des Forces japonaises d’autodéfense, un projet de longue date. De plus, à l’heure où le président des Etats-Unis se dispute avec son homologue sud-coréen plutôt que de promettre son soutien comme on l’attendrait de lui et critique la Chine pour son inaction face aux méfaits du Nord, la relation cordiale que le Premier Ministre japonais a réussi seul à maintenir avec M. Trump lui permet de se poser en homme indispensable de la situation. Le gouvernement japonais avait donc toutes les raisons d’encore dramatiser un test de missile déjà bien préoccupant.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.