Début d’adieu à un homme admirable

Akihito, l’Empereur du Japon est très âgé (82 ans) et a plusieurs soucis de santé, qui l’ont empêché de remplir ses fonctions officielles autant qu’il le désire. Il n’est donc pas étonnant qu’Akihito ait annoncé son intention d’abdiquer et de céder le trône à son fils ainé, Naruhito. L’annonce a néanmoins pris le pays par surprise, d’autant plus qu’une telle décision ne s’est encore jamais produite depuis la restauration de la maison impériale au 19e siècle (et nécessitera donc l’adoption d’une nouvelle loi). Beaucoup seront tristes de lui dire au revoir.

 

L’empereur du petit peuple

Pour tout républicain, le système impérial japonais est un anachronisme, relique d’un passé tout sauf glorieux (vu le rôle qu’il jouait dans l’idéologie néfaste du Japon des années 30 et 40), qui a perdu son sens dans un pays moderne et démocratique.

Akihito serait probablement sensible à ce point de vue. Il a insisté sur le fait que le statut divin de l’empereur est une idée révolue, et dans toutes ses actions a montré une humilité toute japonaise, bien que peu en accord avec son statut supposément exalté. Il n’a jamais hésité à s’incliner devant ses interlocuteurs (une amie a pu en faire l’expérience de première main lors d’une cérémonie d’ouverture d’année universitaire présidée par l’Empereur), et à interagir avec les citoyens japonais d’égal à égal.

Il a aussi demandé à ne pas être enterré après sa mort, mais plutôt à être incinéré comme le commun des Japonais – un symbole fort dans un pays aux zones habitées extrêmement denses, où la terre est précieuse et où les enterrements font l’objet de règles très restrictives.

 

Un symbole moral pour le pays

 Au-delà de son humilité, Akihito a su tirer le meilleur de son statut exceptionnel et devenir un véritable guide moral pour son pays. Très vite après son ascension au trône, il avait exprimé son désir de travailler pour la réconciliation entre le Japon et ses voisins. Par ses visites à l’étranger et les discours qu’il a donnés au fil des années, l’Empereur est resté fidèle à cette mission, appelant à l’expiation et au respect de la mémoire des victimes des crimes passés du Japon, et offrant des gestes de réconciliation toujours très apprécié de ses hôtes.

Au Japon même, il a également tenté d’apporter du réconfort aux plus vulnérables. Après le terrible tremblement de terre et tsunami de mars 2011, il avait pour la première fois parlé en direct à la télévision nationale pour exprimer son respect aux victimes, appeler à la solidarité nationale, et assurer ses concitoyens que leur pays allait surmonter la catastrophe qu’il avait subie. Dans les années qui ont suivi, lui et sa femme ont régulièrement rendu visite et offert leur soutien aux personnes déplacées.

 

La frustration des nationalistes

L’humilité, la compassion et le désir de réconciliation d’Akihito sont une source de frustration pour les nationalistes japonais, qui sont censés être ses plus grands défenseurs. Ceux-ci appellent en effet au rétablissement du statut divin de l’Empereur et au renforcement de son rôle de symbole de la nation, trônant bien au-dessus du commun des mortels. Ils voient cela comme un moyen de redonner sa « fierté » au pays qu’ils considèrent comme déchu depuis la défaite face aux Etats-Unis et la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Malheureusement pour eux, l’Empereur actuel ne partage absolument pas leur opinion et ne le cache pas. Cela complique la tâche des nationalistes désireux de se présenter comme les champions d’un homme qui adopte une rhétorique radicalement opposée à la leur, et qui rejette le rôle qu’ils veulent lui attribuer. Leur réponse à ce problème : Akihito n’est qu’un seul homme, mortel, mais l’institution impériale est éternelle, et le prochain occupant du trône nous sera peut-être plus favorable.

Certains nationalistes se sont donc peut-être réjouis de l’annonce de l’abdication prochaine d’Akihito. Rien n’indique cependant que Naruhito est différent de son père, et ils risquent donc de continuer à être déçus du peu de soutien qu’ils obtiennent de la maison impériale. La plupart des Japonais espèrent au contraire que Naruhito continuera de suivre le chemin tracé par un Empereur qui a su obtenir l’affection et l’admiration de la grande majorité des Japonais.

 

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.