L’émotion l’emporte sur la raison : la réception au Japon du discours d’Obama à Hiroshima

Cela fait maintenant un peu plus de deux semaines que Barack Obama est devenu le premier président américain à visiter Hiroshima, site de l’un des deux bombardements atomiques durant la Seconde Guerre Mondiale. L’importance du moment n’a échappé à personne, et le discours prononcé par le président dans le Parc de la Paix a fait la Une de la presse mondiale. Mais comment les mots du président ont-ils été perçus par les premiers intéressés, les Japonais eux-mêmes ?

A première vue, ils étaient extatiques. En effet, les résultats d’un sondage publié la semaine dernière ont révélé que 98% de la population nippone était heureuse de la visite et du discours. Cette unanimité impressionnante peut être vue comme toute naturelle : la visite de M. Obama était effectivement sans précédent, et il était porteur d’un message de paix qui résonne très fort ici. D’autres pourraient cependant trouver cette approbation universelle étonnante : après tout c’est un avion américain qui a lâché la bombe, et les espoirs de beaucoup de Japonais d’abolir à tout jamais l’arme atomique restent très lointains (les Etats-Unis ont en réalité modernisé leur arsenal sous la présidence d’Obama).

 

Une certaine frustration

Il faut donc creuser un peu mieux pour comprendre la réaction des Japonais à la visite de M. Obama. De par les conversations que j’ai pu avoir sur le sujet et ce que j’ai pu lire sur les forums internet, j’ai pu ressentir une certaine frustration. Celle-ci est certes en partie due au fait que le président n’a pas présenté d’excuse officielle pour l’horreur que son pays a infligée il y a 60 ans à la population d’Hiroshima – un nombre non négligeable mais de loin pas majoritaire d’internautes se sont plaint de ce fait – mais il me semble que la plupart des Japonais sont tout à fait conscients et de la responsabilité du Japon dans le déclanchement de la guerre et des contraintes politiques auxquelles M. Obama faisait face. Une excuse officielle aurait en effet suscité la colère de beaucoup d’Américains ainsi que de vives protestations de la Chine et de la Corée du Sud, qui voient le Japon comme un bourreau et non comme une victime.

 

Non, la source principale de la frustration de certains Japonais est à trouver ailleurs, dans une impression de décalage entre les mots du président et la réalité d’une part, et dans un manque de promesses concrètes d’autre part. Concernant le premier point, la condamnation par M. Obama de l’arme atomique et de la barbarie humaine qu’elle symbolise pouvait sembler quelque peu hypocrite compte tenu du fait que ni les Etats-Unis, ni aucune autre grande puissante ne semble être prête à faire quoi que ce soit pour y renoncer. La « leçon » que la souffrance d’Hiroshima offre au monde, évoquée par le président, a été tristement ignorée, et rien dans le discours du président n’indiquait une reconnaissance de cet échec.

Une seconde source de frustration, liée à la première, est le manque de vision claire sur la façon d’aller de l’avant sur le chemin du désarmement nucléaire. Nombre de Japonais regrettent le fait que le rejet rhétorique de l’arme atomique par M. Obama n’a été suivi d’aucune promesse d’action concrète, ou même d’appel à une intensification du dialogue entre puissances nucléaires. Venant d’un président en fin de mandat et conscient plus que quiconque de la difficulté de faire progresser les négociations sur le sujet avec la Chine ou la Russie, cela n’a rien de surprenant. Mais si une occasion aussi importante et symbolique qu’une visite à Hiroshima n’a pas été utilisée pour lancer un clair appel à l’action, quel espoir y a-t-il, s’interrogent beaucoup, quant à la lutte contre l’arme nucléaire ?

 

Un moment très fort malgré tout

Vu ce genre de critiques du discours de M. Obama, on finit par se demander pourquoi les Japonais ont tout de même unanimement déclaré leur approbation après sa visite. Une première réponse simple est le pouvoir oratoire du président et la qualité générale du texte préparé par lui et ses aides. Malgré les failles relevées plus haut, il reste indubitable que M. Obama a fait un beau discours faisant honneur à la circonstance, exprimant sa sympathie pour les victimes des horreurs du passé ainsi que son espoir quant à la capacité du genre humain à avancer sur le chemin de la paix et à combattre la barbarie.

Plus que le discours lui-même, c'est je pense la tenue du président et sa gestuelle devant les caméras qui ont séduit et ému le public nippon. Sa dignité lorsqu'il est venu poser une couronne de fleurs et s'incliner devant le monument aux victimes, et surtout la chaleur humaine qu'il a ensuite manifesté à l’égard des hibakusha, les survivants de la bombe encore parmi nous, ont su convaincre. Qu’importe la déception face à l’absence d’excuse ou de promesse de réduction de l’arsenal atomique américain lorsque les Japonais ont pu voir en direct M. Obama embrasser longuement les derniers survivants de la bombe et échanger avec eux des mots d’amitié (instant saisi par la photo ci-dessus). Durant ce moment émouvant, les habitants de l’archipel n’ont pu ressentir que de la gratitude pour le président qui a su leur offrir un tel geste de compassion. 

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.