Le Japon face à l’immigration

Pour faire suite à mon billet du mois de décembre sur la réponse du Japon à la crise des réfugiés syriens, il me semble judicieux d’évoquer l’attitude des habitants de l’archipel envers les immigrants de manière plus générale. En effet, à l’heure où le faible taux de natalité entraine une diminution continue de la main-d’œuvre japonaise, la question d’une augmentation éventuelle du nombre de migrants acceptés se pose avec une urgence croissante.

 

Tolérance envers une très faible minorité

Il faut d’abord noter que le pourcentage d’étrangers dans la population du pays reste à ce jour extrêmement bas (moins de 2%). De plus, une grande majorité de ces étrangers sont d’origine chinoise ou coréenne, et donc culturellement très proches de la population locale. La plupart des Japonais n’ont donc pas encore fait l’expérience de vivre dans une société multiculturelle.

C’est pourquoi, en raison de la grande importance accordée ici au respect de la sphère privée, et également parce qu’il est difficile de rejeter ce que l’on ne connaît pas, les habitants de l’archipel sont en majorité très tolérants à l’égard des immigrants d’autres cultures qui habitent déjà au Japon et de leurs différents usages culturels. Une amie musulmane m’a par exemple dit qu’elle se sentait bien plus libre de porter le voile ici qu’elle ne l’aurait été en Europe ou aux Etats-Unis, sans avoir à craindre des remarques ou des regards désapprobateurs.

 

Ces étrangers sans manières

L’attitude des habitants de l’archipel envers les résidents étrangers n’en est pas pour autant totalement positive. En effet, outre une certaine appréhension, déjà mentionnée dans le mon billet de décembre, des troubles de l’ordre public que pourraient causer des immigrés moins allergiques aux conflits que la population locale, nombre de Japonais se plaignent du manque de manière des étrangers dans la vie de tous les jours.

Non-respect des règles de débarras des déchets ou des parkings de vélos, bruits nocturnes, ivresse publique, ces plaintes ne sont ni dramatiques ni particulièrement originales. Dans une société qui attache une grande importance à la bonne conduite et au respect des règles de vie, cependant, ces impairs sont de nature à donner une mauvaise réputation aux résidents étrangers.

Il faut ajouter à cela une certaine propension des Japonais à vouloir éviter les situations inconfortables pouvant être causées par l’impossibilité de communiquer efficacement de par la barrière de la langue. Cela peut entrainer certains restaurants peu habitués aux touristes à prétendre être pleins, ou certaines crèches à refuser des enfants d’immigrants. Ces gestes ne se veulent pas discriminatoires, l’intention étant plutôt d’éviter aux deux parties des situations difficiles ou embarrassantes. Le résultat est cependant que la vie des résidents étrangers s’en trouve compliquée.

 

Quel avenir pour l’immigration ?

Prise dans son ensemble, l’attitude japonaise face à l’immigration est donc ambiguë. Si nombre de citoyens sont heureux de voir le pays s’internationaliser petit à petit, et de profiter des échanges culturels que cela permet, d’autres craignent l’impact que cette même internationalisation pourrait avoir sur la société japonaise si bien organisée, et les impairs commis par les résidents étrangers dans la vie de tous le jours ne font que confirmer leurs appréhensions. Cette division d’opinions est en partie générationnelle, les jeunes Japonais étant, selon mon expérience, plus habitués à côtoyer des étrangers à l’université ou dans le centre des grandes villes, et plus décontractés face à l’ouverture du pays.

Les jeunes n’ont cependant qu’une très faible influence politique – notamment en raison de leur faible taux de participation aux élections – et le gouvernement japonais a toujours été très conservateur en la matière. Beaucoup de politiciens et de bureaucrates placent leurs espoirs dans une revitalisation de la société japonaise et dans l’avance de la robotique pour parer au manque de main d’œuvre et sont très réticents à envisager une augmentation de l’immigration.

Il faut dire que l’expérience des vagues d’immigration autorisées par le passé n’a pas été particulièrement positive. Les descendants des nombreux Japonais ayant émigré au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique latine au début du siècle dernier, encouragés à revenir sur la terre de leurs ancêtres au début des années 1990 dans l’espoir qu’ils s’assimileraient plus facilement que d’autres migrants, ont en réalité eu de la peine à s’intégrer. Les nombreux Coréens et Chinois arrivés au Japon comme main d’œuvre forcée durant la Seconde Guerre Mondiale ont également longtemps été victimes de discrimination.

Si le Japon s’internationalise véritablement, cela se fera donc lentement et non sans frictions. Je suis cependant optimiste quant à l’avenir, grâce à la plus grande ouverture d’esprit de ma génération et à l’expérience que des amis d’origines très diverses et moi-même avons pu faire de la tolérance générale des Japonais envers d’autres pratiques culturelles tant qu’elles ne portent pas préjudice à autrui. On peut espérer que le Japon s’ouvrira au monde à son rythme certes, mais de façon en fin de compte plus harmonieuse que certains le craignent.

 

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.