Le Japon face à la menace nord-coréenne

Le récent test d’une bombe atomique par la Corée du Nord préoccupe l’ensemble de la communauté internationale, mais peu de pays sont aussi directement concernés que le Japon. En tant que voisin proche, bourreau de la Corée avant et durant la Seconde Guerre Mondiale, et allié des « impérialistes américains » tant haïs, le Japon est en effet une cible privilégiée de la propagande émanant de Pyongyang. Particulièrement vulnérables face à la menace nucléaire nord-coréenne, comment réagissent donc les Japonais à la dernière provocation du Royaume ermite ?

 

L’ombre de la question des citoyens kidnappés

Le gouvernement japonais a réagi comme on pouvait s’y attendre au test atomique : forte condamnation, examen de nouvelles sanctions et promesse de coordination étroite avec Washington. En réalité la position du Premier Ministre Shinzo Abe est quelque peu délicate, parce qu’il avait passé en mai 2013 un accord avec Pyongyang promettant l’assouplissement de certaines sanctions économiques en échange d’une enquête sur la question des citoyens japonais kidnappés dans les années 1970 et 1980 sur les plages du pays par des commandos nord-coréens, et dont le sort reste à ce jour inconnu.

L’accord en question était déjà moribond puisque le gouvernement nord-coréen n’a encore présenté aucune des informations qu’il s’était engagé à rassembler, malgré le passage de plusieurs dates butoirs. Avec le test atomique, l’espoir de progrès sur la question est probablement définitivement enterré, mais le Japon se trouverait en position délicate si Pyongyang présentait soudainement les informations promises

 

Constat d’impuissance

Pour le moment, la question des citoyens kidnappés semble cependant bien lointaine face à la menace nucléaire bien plus immédiate. Même si personne ne s’attend à ce que la Corée du Nord décide soudainement de bombarder l’archipel, le Japon, à portée des missiles que Pyongyang possède, se sent tout de même très vulnérable. Lorsqu’un missile d’essai nord-coréen avait survolé le pays avant de tomber dans le Pacifique en 1998, cela avait suffit à convaincre le gouvernement de se joindre aux Etats-Unis pour développer un système de défense antimissile balistique très coûteux.

Cette fois, les éditoriaux des grands journaux du pays proposent des solutions bien connues pour contrer la menace. Il s’agit de coopérer étroitement avec les Etats-Unis et avec la Corée du Sud pour faire pression sur le Nord, de demander à la Chine d’accroître la pression sur Pyongyang, et éventuellement de relancer les « Pourparlers à six » qui incluent également la Russie.

 

Les Japonais avec qui j’ai pu discuter, ainsi que les internautes sur les forums que j’ai visités, sont tout à fait conscients de l’inefficacité de toutes les politiques suivies jusqu’à présent. La pression du Japon et de ses alliés ne fait qu’accroître la détermination et l’agressivité de la Corée du Nord, la Chine n’est pas prête d’abandonner son voisin de peur d’un effondrement extrêmement déstabilisant du régime des Kims, et les « Pourparlers à six » sont simplement devenus une occasion supplémentaire pour Pyongyang de tenter de faire du chantage à la communauté internationale.

Ce qui règne donc est un sentiment d’impuissance face à un régime qui semble se comporter de façon irrationnelle et tout faire pour garder son statut de paria. Face à ses provocations répétées, les Japonais ne peuvent que lever les yeux au ciel et se lamenter sur l’impossibilité de traiter raisonnablement avec Pyongyang.

 

A quelque chose malheur est bon

Il existe cependant une réponse à la menace nord-coréenne que le Japon peut lui-même adopter, à savoir renforcer sa politique de sécurité. En effet, j’ai vu plusieurs internautes appeler à une augmentation du budget des Forces japonaises d’autodéfense, à une plus grande intégration avec les forces armées américaines, et même au développement de l’arme atomique. On ne peut qu’espérer que cette dernière contre-mesure ne sera jamais sérieusement considérée, surtout qu’il est notoire que le Japon aurait les capacités technologiques pour développer une bombe nucléaire en environ six mois s’il le désirait.

Ce type d’appel à un renforcement des capacités d’auto-défense du Japon doit néanmoins réjouir M. Abe. En effet, le Premier Ministre s’était attiré les foudres d’une grande partie de la population l’été dernier lorsque son gouvernement avait poussé à légiférer sur le droit à l’autodéfense collective, pour permettre au Japon de mieux collaborer avec des pays alliés en cas de conflit. Cette mesure alors extrêmement controversée paraît sous une lumière plus favorable maintenant que la Corée du Nord a rappelé au monde la menace qu’elle peut poser.

Si tant est qu’il existe un « gagnant » de la nouvelle crise causée par la Corée du Nord, c’est donc probablement Shinzo Abe. Outre le fait que sa politique de sécurité semble désormais bien plus judicieuse, il dispose maintenant d’une raison toute trouvée pour préconiser une amélioration des relations avec la Corée du Sud. Les deux pays ont en effet convenu fin décembre de résoudre définitivement la question des « femmes de confort » sud-coréennes forcées de servir dans des bordels gérés par l’armée impériale japonaise durant la Seconde Guerre Mondiale, et les partisans nationalistes de M. Abe sont furieux des « concessions » faites par le Premier Ministre pour parvenir à cet accord. La nouvelle provocation de Pyongyang permet maintenant à celui-ci de balayer les critiques et d’invoquer la sécurité nationale comme motif du rapprochement avec la Corée du Sud. Le test nucléaire nord-coréen aura donc au moins eu une conséquence positive sur le plan diplomatique.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

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