Comment mieux défendre le Japon ? (2) Pourquoi autoriser l’auto-défense collective ?

Il est souvent dit que le Japon est pacifiste, mais le terme est quelque peu trompeur. Certes, les Japonais d’aujourd’hui ont une aversion particulièrement forte pour les horreurs de la guerre et sont fiers que leur pays ne se soit jamais engagé dans un conflit armé depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, mais la population est également consciente des menaces potentielles pour la sécurité de l’archipel (la Corée du Nord, la Chine montant en puissance) et du besoin pour le pays de maintenir des forces armées (celles-ci ont en réalité des capacités maritimes et aériennes parmi les plus développées et modernes au monde) capables d’assurer sa sécurité en cas d’attaque. Le Japon accepte donc que l’emploi de la force est parfois inévitable – ce qui va à l’encontre des idéaux du pacifisme – mais tient à limiter autant que possible le rôle et les missions de ses forces armées. Le terme “antimilitarisme“, souvent employé par les experts du pays, est donc plus approprié pour décrire la mentalité dominante dans l’archipel.

 

La centralité de l’Article 9 de la Constitution

L’aversion des Japonais pour la guerre est avant tout exprimée dans l’Article 9 de la Constitution japonaise. Celle-ci fut imposée à la fin des années 1940 par les forces d’occupation américaines mais a été pleinement embrassée et est désormais grandement respectée par la majorité de la population du pays. Le premier alinéa de cet article proclame que, “aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l’ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux“.

Comme dit plus haut, cette interdiction très explicite de l’usage de la force a été interprétée assez lâchement pour permettre au Japon de maintenir des forces armées suffisantes à la défense de son territoire, les Forces japonaises d’autodéfense (FJA).

 

Des missions toujours plus nombreuses

En réalité, le rôle et les missions des FJA se sont progressivement élargies au cours des années, souvent sous la pression des Etats-Unis, alliés du Japon qui ont très vite voulu plus de coopération dans le maintien de la paix internationale.

A la fin des années 1980, les FJA ont joué un rôle important dans la stratégie américaine de “confinement“ de l’Union Soviétique et se voyaient chargées si besoin était d’empêcher la flotte russe d’atteindre l’Océan Pacifique. Dans les années 1990, les Japonais ont fini par accepter l’idée de participer aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Puis, dans les années 2000, le Japon a apporté son soutien aux interventions américaines en Afghanistan et en Irak – sans prendre part aux combats eux-mêmes.

Aujourd’hui, le Premier Ministre Shinzo Abe veut donner plus de marge de manœuvre au FJA pour coopérer avec les Etats-Unis et d’autres alliés, en invoquant le “droit à l’auto-défense collective“. Ce droit est reconnu par l’Article 51 de la Charte des Nations Unies, mais la Constitution japonaise avait jusqu’à maintenant été interprétée comme interdisant au pays de l’invoquer. Le gouvernement désire changer cette situation.

 

Pourquoi l’auto-défense collective ?

M. Abe avance trois arguments principaux pour justifier l’adhésion à l’auto-défense collective. Le premier concerne la collaboration avec les Etats-Unis pour la défense du territoire japonais : les FJA seraient plus libres de venir à la défense des forces armées américaines en cas de crise avec la Corée du Nord ou avec la Chine, ce qui renforcerait la cohérence des deux armées et par conséquent, le gouvernement espère, l’effet dissuasif de la puissance militaire des deux pays envers un agresseur potentiel et la volonté des Etats-Unis de s’engager fortement pour la défense de l’archipel nippon.

Le second argument avancé par M. Abe est la facilitation de la participation du Japon aux opérations de maintien de la paix et autres opérations internationales supervisées par les Nations Unies. Jusqu’à maintenant, le rôle du Japon dans de telles missions a toujours été quelque peu incertain, compte tenu des limites importantes que l’interprétation traditionnelle de la Constitution impose. L’autorisation de l’auto-défense collective pourrait donc renforcer la crédibilité du Japon en tant que contributeur actif au maintien de la paix internationale.

 

Un pas de trop

Ces deux objectifs sont en réalité largement acceptés par les Japonais. Une meilleure coopération avec les Etats-Unis pour la défense du territoire et une participation plus active et appréciée aux opérations onusiennes ne vont pas fondamentalement à l’encontre de l’antimilitarisme traditionnel du pays et renforceraient la capacité des FJA de remplir leur rôle tel que l’envisage la majorité de la population. C’est plutôt le troisième argument de M. Abe et de ses alliés qui suscite la controverse.

En effet, ceux-ci évoquent le besoin pour le Japon d’être autorisé, le cas échéant, à venir au secours d’alliés objets eux-mêmes d’une agression armée. Malgré leurs promesses de maintenir des limites importantes à ce genre de mission, la population japonaise ainsi que nombre de politiciens s’inquiètent que le mandat des FJA reste trop large et trop vague, ouvrant la voie à des opérations de combat à l’étranger que la grande majorité des Japonais rejettent catégoriquement.

Même si plusieurs arguments du gouvernement sont raisonnables et pourraient être acceptés par les Japonais, M. Abe est donc prêt à aller trop loin pour beaucoup de ses compatriotes, et la législation autorisant l’auto-défense collective a fini par susciter la grande controverse détaillée dans mon précédent billet. La prochaine fois, j’exposerai plus en détail les arguments des opposants à la réforme proposée par M. Abe.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

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