Un nouveau cycle de disputes historiques

Un nouveau cycle de disputes historiques

L’échange est tristement familier. Le Ministère de l’éducation japonais a récemment annoncé l’approbation des nouvelles éditions des manuels d’histoire et géographie qui seront utilisés ces prochaines années dans les écoles secondaires du pays. Certains manuels ont rapidement été l’objet de vives critiques pour leur traitement des crimes commis par le Japon durant la Seconde Guerre Mondiale. Les gouvernements de la Chine et de la Corée du Sud, en particulier, ont accusé le gouvernement japonais de minimiser ces crimes et de vouloir nier la responsabilité du pays envers ses voisins.

 

Du sel dans la plaie des disputes territoriales

Une dispute qui s’était déjà enflammée à plusieurs reprises depuis les années 80 a donc été ravivée. Certains diront même qu’elle s’est encore aggravée. En effet, un nouveau point de discorde est cette année le fait que, pour la première fois, tous les manuels approuvés par le Ministère décrivent les îles qui font l’objet de disputes territoriales entre le Japon et ses voisins comme des “territoires inhérents“ du pays. Un nombre grandissant condamne également “l’occupation illégale“ des îles Takeshima par la Corée du Sud (qui les nomme Dokdo).

Le gouvernement japonais a donc ordonné aux éditeurs de manuel de soutenir plus activement la position officielle du pays dans ces disputes. Malgré leur déplaisir, la Corée du Sud et la Chine ne sont pas en position de critiquer le Japon sur ce point, puisque les écoliers de l’archipel ne font que rejoindre leurs camarades des pays voisins, auxquels ont a longtemps tenté d’inculquer une version des faits justifiant la position de leurs gouvernements. Le Japon ne fait donc ici que rejoindre une inquiétante tendance régionale vers un système éducatif plus nationaliste.

 

Une population peu intéressée

En réalité, la nouvelle politique du gouvernement japonais me semble quelque peu désespérée. En effet, s’il a ressenti le besoin de souligner auprès du public la justesse de sa cause, c’est avant tout parce que la majorité de la population du pays n’est que peu intéressée par les disputes territoriales. Dans toutes les conversations que j’ai pu avoir sur le sujet, la réaction la plus courante était un haussement d’épaules accompagné d’une remarque comme “pourquoi tant d’agitation pour quelques rochers ?“ ou “ces disputes entre gouvernement ne nous concernent pas“.

Certes, la population japonaise approuve la défense vigoureuse que pratique le gouvernement face aux incursions chinoises autour des îles Senkaku (Diaoyu pour la Chine), mais ce soutien est inspiré par le comportement de la Chine, jugé agressif et expansionniste, et non par un quelconque attachement aux îles elles-mêmes. Le Premier Ministre Shinzo Abe et son cercle désireraient donc probablement que les Japonais soient un peu plus engagés dans les disputes territoriales.

 

La perversion de l’enseignement de l’histoire

Même si le traitement dans les manuels scolaires des questions territoriales est un sujet de discorde, il pâlît en comparaison de la controverse autour des questions historiques. La Chine s’indigne en particulier de la minimisation du massacre commis à Nanjing durant la guerre (symbolisé par le remplacement dans certains manuels du mot “massacre“ par “incident“), et se joint à la Corée du Sud dans la condamnation du traitement accordé à la question des “femmes de confort“, des femmes enlevées en Corée notamment, mais également en Chine et en Asie du Sud-Est pour servir de force dans les bordels gérés par l’armée japonaise. Un manuel, en particulier, semble mettre en doute que ces femmes aient été forcées à se prostituer par le gouvernement de l’époque et maintient qu’une enquête officielle n’a pu trouver de preuves définitives.

Ces propos sont bien sûr trompeurs et affligeants. On peut cependant espérer que, comme cela a été le cas jusqu’à maintenant, les manuels d’histoire les plus fallacieux – qui continuent de ne former qu’une minorité des manuels approuvés – ne seront adoptés que par un très petit nombre d’écoles japonaises (moins de 1% des écoles avaient  choisi les livres d’histoire au centre d’une controverse similaire il y a plus de dix ans), et que les instituteurs du pays, qui sont en général connus pour leur progressisme, sauront remplir les trous laissés par les manuels.

 

Le mauvais visage d’Abe

Quel que soit l’impact concret des nouveaux manuels scolaires, la tendance générale de la politique de l’éducation japonaise reste inquiétante. En effet, les modifications apportées aux dernières éditions des manuels – notamment en rapport avec les disputes territoriales – reflètent les nouveaux principes pédagogiques, promulgués l’année dernière, qui exigent des livres d’école qu’ils soient en accord avec la position du gouvernement sur les sujets sensibles. Pour le Premier Ministre, c’est là un moyen de renforcer le patriotisme de la population, dont il a souvent publiquement déploré le déclin. Lors d’un premier (et très bref) mandat en 2006-07, M. Abe avait déjà signalé des intentions similaires, et avait fait amender la politique de l’éducation japonaise en conséquence.

M. Abe montre ici son mauvais visage, celui d’un politicien obsédé par le passé, aux vues révisionnistes, convaincu que son devoir est de rétablir l’honneur du Japon et d’inculquer à la population un amour aveugle de la patrie. C’est cette version du Premier Ministre qui rend visite au sanctuaire Yasukuni (où sont consacrées les âmes de tous les soldats morts pour le Japon depuis le 19e siècle, mais également celles des criminels de guerre de la Seconde Guerre Mondiale), qui laisse échapper des remarques mettant en doute la responsabilité du Japon pour la guerre, et qui montre une désir dangereux de faire pression sur les médias comme sur le corps éducatif pour qu’ils reflètent ses vues de l’histoire.

Heureusement, M. Abe possède également un autre visage, celui d’un homme d’état prêt à mettre les intérêts de son pays avant ses vues personnelles, à réformer l’économie et certaines pratiques sociales dépassées et à faire du Japon un promoteur actif d’un ordre mondial pacifique et fondé sur le droit international. C’est cette version du Premier Ministre qui continue de bénéficier du soutien de la population, et qui est accueilli chaleureusement dans la plupart des capitales de la planète. Il est donc affligeant de le voir ternir cette image positive par des actes et paroles aussi malavisés en ce qui concernent les questions historiques. 

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

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