Nucléaire au Japon (addendum) : Le nucléaire en Asie de l’Est

Malgré la très probable remise en marche de ses centrales atomiques cette année, l’avenir de l’énergie nucléaire au Japon reste incertain. En Asie de l’Est plus largement, en revanche, le nucléaire semble encore avoir de beaux jours devant lui. En effet, une rapide revue de la situation en Corée du Sud, en Asie du Sud Est et en Chine révèle une industrie en pleine croissance.

 

Corée du Sud : un grand producteur

Près d’un tiers de l’électricité sud coréenne provient du nucléaire. Hors d’Europe, c’est donc le pays au monde le plus dépendant de cette source d’énergie. La catastrophe de Fukushima ne semble pas avoir causé de grandes remises en question, et le gouvernement actuel prévoit d’accroître progressivement la capacité de production du pays, pour maintenir à un tiers la proportion du nucléaire dans le mix énergétique du pays. 

Cet enthousiasme pour l’énergie nucléaire est peut-être surprenant lorsqu’on sait à quel point le sujet est contentieux sur la péninsule coréenne en raison du programme de développement d’armes atomiques de la Corée du Nord. Le régime de ce pays semble de surcroît s’efforcer de devenir expert dans l’art sombre du piratage informatique, ce qui menace directement l’industrie du nucléaire sud coréenne.

En effet, en décembre dernier, la Compagnie d’Energie Hydraulique et Nucléaire coréenne, qui opère un grand nombre des réacteurs du pays, a fait l’objet d’une attaque informatique qui a été attribuée au Nord. Si le dommage était cette fois limité (seules les informations personnelles d’un grand nombre d’employés ont été dévoilées), l’incident a souligné la vulnérabilité des infrastructures du Sud face aux manœuvres malicieuses d’un voisin imprévisible.

 

Asie du Sud-Est : la sécurité énergétique avant tout

Pour soutenir les taux de croissance économique rapides auxquels ils aspirent, les pays membres de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est semblent, après des années d’hésitation, désormais fermement résolus à promouvoir l’expansion rapide de leur capacité de production d’énergie nucléaire. Presque tous les grands pays de la région prévoient de construire des réacteurs ces prochaines années, et bénéficient du soutien notamment de la Corée du Sud et du Japon, tous deux grands exportateurs de technologie atomique.

Ces projets d’expansion du nucléaire font toutefois face à plusieurs obstacles. On pourra citer par exemple la difficulté de mettre en place le cadre de réglementation nécessaire pour assurer la sécurité des centrales ; le défi de trouver les sites adéquats et les technologies appropriées aux conditions locales ; et le besoin de “vendre“ l’énergie nucléaire à une société civile active et souvent très méfiante à l’égard des grands projets gouvernementaux.

 

Chine : Des projets ambitieux

La Chine a elle aussi de grands projets d’expansion de l’énergie nucléaire. En plus des 23 réacteurs en activité aujourd’hui, 26 sont en construction et encore plus sont prévus à l’avenir. Le gouvernement espère tripler la capacité nucléaire du pays d’ici à 2020. Comme ailleurs dans la région, la catastrophe de Fukushima n’a donc été qu’un frein temporaire aux ambitions de la Chine.

Les deux difficultés principales rencontrées par tout pays cherchant à développer son industrie nucléaire – les coûts élevés de construction des centrales et les soucis de sécurité – sont également présentes dans l’Empire du Milieu, mais elles sont moins importantes qu’ailleurs.

 

Concernant les coûts d’abord, le gouvernement chinois a à maintes reprises prouvé sa volonté d’investir des sommes gigantesques dans des projets d’infrastructure pas nécessairement rentables mais jugés vitaux pour l’avenir du pays – et a les moyens financiers de soutenir ses projets nucléaires.

Cependant, avec un taux de croissance économique en diminution et des masses de dettes se cachant dans les comptes des autorités locales, la marge de manœuvre du gouvernement n’est plus aussi large que par le passé. De plus, la Chine semble déterminée à développer ses propres modèles de réacteurs et refuse de simplement acheter les modèles déjà disponibles ailleurs, ce qui augmente encore les coûts déjà élevés de construction.

 

Quant aux soucis concernant la sécurité de l’énergie atomique, le Parti Communiste Chinois (PCC), avec son monopole du pouvoir, n’a pas besoin de se soucier d’une quelconque opposition politique organisée à ses projets nucléaires. La population du pays est par ailleurs bien plus inquiète des risques clairs et présents que pose la terrible qualité de l’air dans les grandes villes que des dangers potentiels posés par les centrales atomiques.

Néanmoins, le PCC ne peut pas sous-estimer la capacité des Chinois à se mobiliser localement contre un projet qu’ils considèrent comme dangereux. De tels mouvements de protestation visent par exemple désormais fréquemment dans tout le pays la présence d’usines chimiques polluantes.

 

Reste enfin la question de l’infrastructure de supervision de l’industrie nucléaire. Avant Fukushima, le régulateur japonais avait été critiqué pour son opacité et sa collusion avec les producteurs d’électricité. En comparaison avec l’appareil administratif chinois, il était un modèle de transparence.

Le manque de supervision externe et le secret dans lequel sont établies les régulations industrielles chinoises sont de mauvais augure pour la sûreté des centrales que le gouvernement se dépêche de construire. Or un accident nucléaire sur sol chinois pourrait causer ce que le PCC craint par dessus tout, un grand mouvement de protestation populaire à son encontre.

Dans le domaine du nucléaire, les deux plus grandes priorités du parti – croissance économique et stabilité sociale – sont donc potentiellement en contradiction. Il serait probablement dans son interet de s'assurer qu'un cadre reglementaire solide soit en place, et que les leçons de Fukusima soient bien prises en compte, avant de construire le plus grand réseau de centrales au monde.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.