Nucléaire au Japon (5) : Quid des économies d’énergie ?

Lorsque je demandai à une amie japonaise fortement convaincue de la nécessité de fermer au plus vite les centrales atomiques du pays comment remplacer les 30% de l’énergie du pays fournis par le nucléaire, elle répondit sans aucune hésitation : «  On fait sans. » L’expression qu’elle employa, gaman suru (littéralement “endurer“), est typiquement japonaise et suggère qu’effectivement la population parviendrait, si nécessaire, à rapidement et radicalement réduire sa consommation d’énergie.

 

Capacité d’adaptation

En effet, les Japonais, faisant face à une nature hostile et aux chamboulements de l’histoire, ont depuis très longtemps appris l’importance de l’endurance face à l’adversité. Cette résilience était visible par exemple dans la dignité et le calme avec lesquels les survivants du tsunami de mars 2011 ont affronté les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles se sont retrouvées les communautés côtières dévastées.

Le Japon a donc la capacité d’agir de façon déterminée pour réduire sa consommation en électricité si le besoin urgent s’en fait sentir – comme cela avait été le cas durant l’été 2011, lorsque plusieurs black-out potentiels furent évités de justesse à Tokyo (qui recevait une grande part de son énergie de la centrale de Fukushima) par une action collective résolue.

 

Incitations à la conservation

On peut encore citer deux raisons qui renforcent l’attrait d’un effort important en faveur des économies d’électricité. D’abord, comme l’explique par exemple un récent reportage du magazine britannique The Economist, les technologies facilitant la conservation d’énergie n’ont jamais été aussi nombreuses et abordables. Ensuite, le prix de l’électricité au Japon est très élevé, ce qui semble offrir une incitation importante à l’économiser.

 

Nouvelles régulations

Qu’en est-il en pratique ? Ces trois dernières années, le gouvernement japonais a adopté plusieurs mesures d’encouragement à la conservation d’énergie. La plus importante est une réforme adoptée en mai dernier de la Loi sur la Conservation d’Energie de 1979.

Cette réforme vise à promouvoir la diminution de la demande en électricité aux heures de pointe – ce qui permettrait de réduire la capacité de production totale du pays, puisque c’est uniquement à ces heures qu’elle est utilisée à son maximum – et de la consommation en énergie plus généralement grâce à une meilleure efficacité énergétique des machines et appareils électriques et à une meilleure isolation des bâtiments.

Ce dernier point en particulier est important puisque les bâtiments du pays sont de manière générale bien moins isolés que ceux d’Europe (une faiblesse en partie due aux strictes mesures de résistance aux séismes), laissant donc une grande marge d’amélioration.

 

Changements d’habitudes ?

Quels que soient les efforts du gouvernement, il reste à déterminer si les habitudes de la population ont changé depuis 2011. On peut observer certains signes positifs. Par exemple, la campagne annuelle (et universellement respectée) du “cool biz“, visant à réduire l’usage de l’air climatisé en été dans les bureaux et permettant en échange aux salaryman japonais, toujours très à cheval sur l’étiquette, de se vêtir plus légèrement, a été renforcée et prolongée.

Cependant, plusieurs appareils énergivores typiquement japonais, tels que les toilettes électroniques et chauffantes et les innombrables distributeurs automatiques de boissons restent omniprésents. Plus généralement, il ne me semble pas avoir observé de changements majeurs dans l’attitude des Japonais. Certes, ils font attention à leur consommation d’énergie – plus qu’auparavant sans doute – mais ils ont toujours été parcimonieux dans leurs habitudes quotidiennes – contrairement à ce que pourrait laisser penser leur amour des gadgets électroniques en tous genres.

Les mesures mises en place par le gouvernement vont certainement porter leurs fruits, et la consommation d’électricité est vouée à diminuer progressivement, mais la vitesse de cette diminution reste à observer. Je ne pense pas qu’on assistera à une chute dramatique tant que la population ne se sentira pas dans une situation de crise similaire à celle de l’été 2011 – situation qui, espérons-le, ne se reproduira pas de sitôt. 

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.