Nucléaire au Japon (4): Quel avenir pour la politique énergétique du Japon ?

Avant 2011, le Japon produisait 30% de son énergie grâce au nucléaire et le gouvernement prévoyait d’augmenter progressivement la part de du nucléaire dans le mix énergétique japonais jusqu’à 40% ou plus d’ici 2017. Evidemment, ces plans ont été radicalement remis en question. A la suite de la catastrophe de Fukushima, le gouvernement du Parti Démocrate du Japon (DPJ) a proposé une refonte complète de la politique énergétique du Japon, qui prévoyait une sortie complète du nucléaire d’ici 2040 et une forte promotion des énergies renouvelables, avec notamment les tarifs les plus élevés du monde garantis aux producteurs d’énergie solaire et éolienne.

Une politique de soutien forte mais problématique

Cette politique de soutien reste en place jusqu’à aujourd’hui, et a effectivement attiré un nombre considérable de candidatures pour la construction d’installations, surtout solaires et souvent par des petits producteurs indépendants.

Cependant, le Japon a ici rencontré plusieurs problèmes qui seront familiers aux observateurs de l’Energiewende allemande : de nombreux projets douteux, dépendants d’un prix d’énergie très élevé et insoutenable à long terme, des services publiques d’électricité réticents à accueillir les nouveaux venus, un réseau de transmission électrique vieillissant et incapable de s’adapter à la transition vers les énergies renouvelables…

Le pétrole et le gaz naturel  à la rescousse

En réalité, ce ne sont pas ces énergies nouvelles mais plutôt une hausse très importante des importations de pétrole et de gaz naturel qui a dû combler le trou laissé par l’arrêt des réacteurs nucléaires. En plus de contrarier les plans de réduction des émissions de CO2 du Japon, ces importations ont coûté cher au pays, et creusé un trou dans sa balance des paiements jusqu’alors très solide.

Le LDP, retourné au pouvoir en décembre 2012, a invoqué le coût du carburant importé pour justifier son soutien à l’énergie nucléaire. La nouvelle administration a fait machine arrière sur le projet d’abandon progressif du nucléaire du DPJ. Le nouveau plan énergétique stratégique prévoit, à la place, de maintenir le rôle de l’énergie atomique comme socle du bouquet énergétique japonais, tout en réduisant autant que possible la dépendance du pays envers ce moyen de production.

Absence de consensus

Cependant, le débat autour de cette stratégie continue. D’abord, l’argument du coût des importations de combustibles fossiles semble beaucoup moins convaincant, maintenant que le prix du pétrole a fortement chuté. Ensuite, le LDP lui-même n’est en fait pas aussi uni autour du soutien à l’énergie atomique qu’il n’y parait, et nombre de membres proéminents, dont Koizumi Junichiro, le leader le plus populaire de ces dernières années, ont affirmé leur soutien à une sortie du nucléaire.

D’autre part, même si leur influence reste limitée face à la domination du LDP pour le moment, les partis d’opposition, unis dans leur rejet de l’énergie atomique, pourraient profiter grandement d’une alliance autour d’une stratégie alternative à celle du gouvernement. De nouveaux amendements à la politique énergétique du pays sont donc encore tout à fait possibles.

Quelles alternatives ?

Toute évolution de cette politique devra faire face à un dilemme qui reste inchangé. Certes, les centrales nucléaires japonaises sont vulnérables aux tremblements de terre, mais leur bilan de sécurité pré-Fukushima était presque irréprochable, et il faut se garder de  sur-interpréter la catastrophe de mars 2011:  le tremblement de terre lui-même, bien que d’une puissance unique et extrêmement rare, n’a fait que peu de dégâts et le désastre entrainé par le tsunami qui a suivi aurait pu être évité par une mesure aussi simple que l’installation des générateurs de secours en hauteur et non en sous-sol. On peut espérer qu’avec un système de régulation devenu bien plus strict et indépendant, de telles erreurs élémentaires ne seront pas répétées.

De l’autre côté de la balance, aucune source d’énergie n’est un candidat parfait. Les énergies renouvelables sont difficiles à porter à grande échelle, et leur capacité de production reste très variable, surtout dans un pays comme le Japon qui n’est ni particulièrement venteux (en-dehors de la saison des tempêtes bien sûr) ni particulièrement ensoleillé. Il sera également difficile au Japon d’augmenter sa capacité de production hydroélectrique, tant ses rivières sont déjà bétonnées. L’énergie thermique est plus prometteuse, mais l’amour des Japonais pour leurs divines sources chaudes et la crainte d’affecter celles-ci rend tout développement dans ce domaine politiquement difficile.

Un dilemme sans solution idéale

Restent les combustibles fossiles, mais, outre leur impact désastreux sur le climat, ceux-ci doivent obligatoirement être importés, le Japon ne possédant peu ou pas de ressources naturelles propres. Or, cette dépendance est l’objet d’un profond malaise dans un pays insulaire qui s’est historiquement toujours beaucoup inquiété de sa vulnérabilité envers l’étranger (n’oublions pas que le prétexte invoqué par l’Empire japonais pour attaquer Pearl Harbor était un embargo pétrolier imposé par les Etats-Unis).

Le Japon doit donc choisir entre deux types de dépendance : envers une technologie que l’homme ne maîtrisera jamais totalement, ou envers des sources d’énergie venues de l’étranger et polluantes. Le choix est peu réjouissant. En fin de compte, même les nombreux Japonais que l’énergie nucléaire met mal à l’aise concluront peut-être que la fission de l’atome continue d’être le moindre mal.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.