Autour de l’énergie nucléaire au Japon

Bienvenue sur le blog “Autour du Japon“, où seront discutés différents sujets sociaux et politiques qui occupent le Japon aujourd’hui, avec des digressions vers des questions touchant plus largement l’Asie de l’Est. Inaugurons donc ce blog, avec un sujet qui a causé de nombreuses controverses au Japon comme en Suisse: l’énergie nucléaire.

Avant la catastrophe de Fukushima en mars 2011, le Japon produisait 30% de son énergie dans 48 réacteurs, mais cette part est ensuite petit à petit tombée à zéro avec la mise à l’arrêt progressive de ces réacteurs pour inspection de routine. Aucun n’a encore été réactivé, mais le gouvernement du Premier Ministre Shinzo Abe espère que l’année 2015 marquera le grand retour de l’énergie atomique au Japon. Dans ce post et les suivants, j’aborderai une série de questions liées aux centrales japonaises et leur place dans la politique énergétique du pays.

Les positions des partis et des médias

Le Premier Ministre a souligné à maintes reprises  l’importance qu’il attache cette année à la réactivation des réacteurs japonais. Il considère en effet leur mise à l’arrêt, et les risques que cela pose à la stabilité de la production d’électricité du pays, comme un obstacle à la croissance économique qu’il cherche à stimuler. Or ce souhait de faire revivre l’industrie nucléaire japonaise est controversé. Politiquement, le parti conservateur de M. Abe, le Parti Libéral Démocratique (LDP selon son acronyme anglais) qui a dominé la politique japonaise d’après-guerre est pro-nucléaire et son partenaire de coalition, le Komeito, le soutient avec une certaine réticence, mais les partis d’opposition sont unis dans leur critique de la remise en marche des centrales.

Quant aux principaux journaux du pays, leur opinion sur la question fait l’objet d’un clivage traditionnel gauche/droite. Le Sankei Shinbun (Shinbun signifie journal en Japonais) ainsi que le Yomiuri Shinbun, considéré comme la voix de l’establishment conservateur, soutiennent le gouvernement, invoquant des arguments tels que la nécessité de maintenir la stabilité de l’approvisionnement en énergie, le coût élevé des autres sources d’électricité ou encore le manque de fiabilité des énergies renouvelables. Le Mainichi Shinbun et le Asahi Shinbun, le grand journal du centre-gauche, critiquent au contraire la politique énergétique du gouvernement, et soulignent le danger inacceptable d’un nouvel accident après Fukushima, et le fait que ces dernières années ont démontré que le Japon pouvait très bien se passer de ses centrales.

Le Nikkei Shinbun enfin, le journal des milieux économiques, se veut pragmatique et adopte une position intermédiaire: la remise en marche des réacteurs est peut-être nécessaire, mais le gouvernement doit avant toute chose évaluer avec le plus grand soin les nouvelles mesures de sécurité imposée aux producteurs d’énergie nucléaire et soigneusement expliquer les enjeux à la population.

La question du redémarrage des centrales atomiques est donc sujette aux dynamiques politiques ordinaires: les partis d’oppositions rejettent la politique du gouvernement, et les journaux sont divisés comme pour nombre d’autres sujets entre ceux qui sont traditionnellement favorables au LDP et ceux qui en sont généralement critiques. Du point de vue de M. Abe, cette situation n’a rien d’inquiétant. En effet, son parti domine le Parlement et l’opposition a peu de moyens d’entraver sa politique concernant le nucléaire. De plus, la division des médias entre les deux camps habituels – journaux de droite partisans et journaux de gauche opposés – lui permet d’ignorer ses détracteurs. En effet, seule une position critique du Yomiuri Shinbun, qui avec 10 millions de copies distribuées chaque jour a le plus haut tirage du monde, est d’habitude assez significative pour faire réfléchir le gouvernement à deux fois, comme cela avait notamment été le cas lors du débat autour d’une loi sur les secrets d’Etats en 2013. A cette occasion, M. Abe avait dû garantir que le droit à l’information des journalistes serait protégé.

Dans le cas qui nous intéresse, le Premier Ministre n’a donc pas grand chose à craindre du côté des médias. Plus problématique pour lui est le fait que le public japonais s’est nettement retourné contre l’énergie nucléaire et n’a pas hésité à manifester cette opposition de façon très visible. Dans mon prochain post, je discuterai cette opposition populaire et expliquerai pourquoi elle n’a pas poussé le gouvernement à revoir sa politique concernant le nucléaire.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

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