La Suisse, la Suède et le juge étranger

La Suisse…

En avril 2016, le Temps rapportait cette affaire de Bâle Campagne dans laquelle une famille avait entamé une procédure de naturalisation alors que leurs garçons refusaient de serrer la main de leur professeure.

L’acte des deux garçons avait enflammé les réseaux sociaux et la classe politique avant que la démarche des parents pour la naturalisation ne ravive le feu, plus violent encore.

En 2017, c’est dans le Canton de Vaud que le scandale éclate lorsqu’un couple refuse de répondre aux questions posées par des interlocuteurs de sexe opposé puis de leur serrer la main dans le cadre de la commission appelée à statuer sur leur demande de naturalisation.

Là encore, les réactions numériques et politiques ont été extrêmement virulentes.

La décision, très attendue, est finalement tombée en ce mois d’août : refus de la naturalisation au motif que cette attitude ne respectait pas «un principe fondamental de notre Constitution et un pilier de notre société, soit l’égalité entre hommes et femmes».

Soulagement chez les internautes et réaffirmation des principes constitutionnels par une classe politique attentive.

…n’est pas la Suède.

Quasi simultanément à la décision vaudoise, la presse nous apprenait qu’en Suède, une entreprise avait été condamnée pour discrimination après avoir annulé l’entretien d’embauche d’une femme musulmane qui avait refusé de serrer la main de son recruteur, lequel avait annulé l’entretien sur le champs.

La justice suédoise a estimé que le refus de serrer la main pour des raisons religieuses était protégé par la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) – notamment l’article 9 relatif à la «liberté de pensée, de conscience et de religion» – et que la politique de l’entreprise concernant les salutations d’usage était préjudiciable aux musulmans.

En effet, la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) protège le refus de serrer la main pour motif religieux mais la mise en œuvre varie entre les Etats parties.

La Suède semble avoir une interprétation très large de cette disposition vu l’arrêt précité tandis que la France avait, comme la Suisse, refusé en avril 2018 d’octroyer la naturalisation à une personne ayant refusé de serrer la main de l’officier préfectoral.

Quoi qu’en dise Strasbourg.

Cette différence de traitement nous amène naturellement à cette question qui fâche :

Quelle décision prendrait la Cour Européenne des droits de l’homme si elle était saisi d’un recours du couple Vaudois au motif que la municipalité de Lausanne les aurait discriminés pour des motifs religieux ?

A quelques mois de la votation sur les juges étrangers, ces deux mains là pourraient bien contribuer à tordre le cou desdits juges !

En Valais, dettes et permis de séjour c’est terminé.

Il y a quelques mois, j’évoquais sur ce blog sous le titre « L’administration qui rend fou »  les anachronismes en matière de services administratifs et les doublons ubuesques entre administrations à l’heure du numérique.

Cet article a trouvé un écho inespéré auprès du PLR genevois qui l’a mentionné dans une interpellation parlementaire du 6 février 2018 par laquelle le parti invitait le Conseil d’Etat :

  • à présenter au Grand Conseil un rapport établissant le bilan de toutes les mesures prises par l’administration cantonale durant la législature 2013-2018 afin de réduire la charge administrative des particuliers et des entreprises,
  • à présenter au Grand Conseil un projet de loi ayant pour but de réduire la charge administrative des particuliers et des entreprises, en s’inspirant de la pratique zurichoise en la matière.

Affaire à suivre à Genève.

Pendant ce temps, en Valais…

Pendant ce temps, en Valais, l’administration cantonale vit une petite révolution qui pourrait bien faire tâche huile.

Sous l’impulsion de son énergique préposé à la protection des données, Sébastien Fanti, l’administration valaisanne se décloisonne et expérimente le croisement de bases de données.

Il était temps !

…les débiteurs iront à pied…

Ainsi, depuis quelques mois, l’Office des poursuites de Sion dispose d’un accès direct à la base de données du Service de la circulation routière et de la navigation lui permettant de déterminer instantanément si un débiteur possède un ou plusieurs véhicules à son nom.

Fini donc le temps où le débiteur paradait en grosse cylindrée, à la Place du Midi, devant ses créanciers ulcérés.

Fini également le temps où le créancier devait apporter lui-même la preuve obtenue auprès du Service de la circulation routière et de la navigation après avoir relevé la plaque, fait la queue et payé l’émolument.

Petite révolution également en matière de faillite frauduleuse avec la possibilité pour l’Office des poursuites de contrôler lors de l’introduction d’une poursuite ou d’une requête de faillite l’état du parc automobile et machines (immatriculées) d’une société à l’instant T.

Cela devrait permette à l’Office des poursuites de bloquer les changements opportunistes, et illégaux, de propriétaire en cours de procédure ou juste avant.

…de retour chez eux.

Révolution également du côté des permis de séjour.

Aussi bien la loi sur les étrangers (Letr) que l’Accord sur la libre circulation prévoient, notamment, que les étrangers qui demandent un permis de séjour doivent posséder des ressources financières suffisantes pour subvenir à leurs coûts de vie.

Cette vérification se fait lors de la délivrance du permis et devrait, en théorie, être répétée lors du renouvellement du permis.

Or, les offices compétents pour le renouvellement des permis de séjour n’exigent que rarement un extrait de l’Office des poursuites, de surcroit vierge, lors de cette procédure de renouvellement.

A Sion, il en ira désormais différemment.

Lors de la procédure de renouvellement, le fonctionnaire du Service de la population et des migrations verra s’afficher sur son écran un voyant vert en cas d’absence de poursuites et un voyant rouge en cas de poursuites en cours.

Ce procédé par voyant rouge/vert a été privilégié au détriment d’un accès direct à la base de données des poursuites car il permet d’une part au fonctionnaire de constater que l’une des conditions du renouvellement du permis n’est pas remplie et d’autre part, d’assurer la protection des données de la personne qui requiert le permis.

En cas de voyant rouge, c’est au demandeur de permis de régler ses dettes rapidement pour obtenir le voyant vert ou de venir au Service de la population et des migrations avec un extrait complet pour donner toute explication utile.

A n’en pas douter, de nombreux débiteurs fuyant devraient rapidement retrouver le chemin du guichet de l’Office des poursuites.

Si ces expériences sont concluantes, les synergies de ce type, qui tombent sous le sens, devraient se développer en Valais à mesure que l’administration opère sa mue vers le tout numérique.

Bon baiser de Suisse, et du Valais.

Non, le patient n’a pas besoin d’être responsabilisé !

Dans le cadre de la session d’été du parlement, deux initiatives parlementaires demandent à ce que les patients mettent dorénavant la main au porte-monnaie lors de chaque consultation médicale.

Dans le premier cas, le Vert libéral zürichois Thomas Weibel souhaite que chaque patient qui se rend aux urgences s’acquitte sur place d’une taxe de 50.-, remboursable en cas d’hospitalisation subséquente et qui ne s’appliquerait pas aux enfants, stratégie politique oblige…

Dans le deuxième cas, plus radical, l’UDC Thomas Burgherr souhaite que chaque patient qui se rend à l’hôpital ou chez le médecin paye une participation aux coûts, sur place et en espèces. Rien que ça.

Ces deux initiatives parlementaires visent, selon leur auteur, à responsabiliser le patient.

Faux problème mais vraie attaque contre le système social

A lire et écouter certains politiciens et organes représentants des caisses maladies, l’irresponsabilité  et la surconsommation inutile des patients suisses seraient la cause de tous les maux, et particulièrement de l’augmentation continue des coûts de la santé.

Ainsi, en pénalisant économiquement le patient, et particulièrement ceux à faibles revenus, car c’est bien connu que ce sont les pauvres qui coûtent au système de santé, ces technocrates sont persuadés que la raison – financière – l’emportera sur la maladie et les peurs, parfois irrationnelles.

Au diable l’adage qui veut qu’il faille mieux prévenir que guérir.

A se demander si ces attaques contre le droit à être soigné n’est en réalité pas une attaque contre le système de santé en lui-même.

Que se passera-t-il si les patients qui se présentent, déjà exsangues du paiement de leurs primes, ne sont pas en mesure de verser le cens* à leur médecin ?

Refusera-t-on de les soigner, les mettra-t-on à la porte des cabinets et des hôpitaux puis sur liste noire ?

Paradoxalement, moins un système de santé social soigne les plus vulnérables, moins il a de chance de survivre. En effet, dès lors que le système ne soigne plus ceux qui n’ont pas d’argent, il n’est pas nécessaire de le maintenir sous une forme obligatoire.

En claire, c’est la fin du système de santé dit social.

*Le cens: impôt personnel dû par les serfs à leur seigneur. D’un montant modéré, il était surtout destiné à affirmer la condition servile de la personne qui y était soumise.

Budget illimité contre budget fixe

Résumer en quelques phrases la problématique du système LAMAL et des primes est illusoire mais on peut au moins lancer quelques pistes de réflexion.

En effet, malgré les difficultés croissantes rencontrées par la population pour le paiement des primes, personne ne semble remettre en cause le principe même d’évolution des primes.

On subventionne, on tente de réduire l’augmentation, on incite, on augmente les franchises, on punit mais on ne change pas de paradigme.

D’un point de vue économique, pour l’entrepreneur que je suis, c’est comme investir dans un projet sans limite de budget et de temps, sans savoir si la facture pourra être payée, qui plus est par des tiers.

En premier lieu, ne faudrait-il pas briser le tabou des primes en commençant par mettre à l’étude un système de santé à budget fixe.

Quel système de santé peut-on offrir à la population pour une prime mensuelle de CHF 250.-/ 300.-, etc ?

A ma connaissance, aucune étude sérieuse et indépendante des caisses maladies n’a été faite sur le sujet.

L’épouvantail de l’hypocondrie

En second lieu, on pointe régulièrement le recours aux services d’urgence pour des cas bénins, érigeant l’hypocondrie en épidémie nationale.

Mais qu’en est-il de la question fondamentale suivante :

Pourquoi un individu se rend-il aux urgences et pas chez son médecin de famille ?

Pour voir un spécialiste de l’hôpital ? Pour être soigné dans un hôpital plutôt que chez son médecin ?

Non, très simplement parce qu’il ne sait pas où aller un dimanche soir !

Dès lors, ne doit-on pas battre en brèche le dogme libéral et couvrir le pays de centres médicaux d’urgence 7/24 avec des médecins payés par le Canton, au mois et non à l’acte ?

Le coût de chaque centre serait totalement maitrisé et c’est tout ce flux de patients qui serait canalisé immédiatement au lieu de s’éparpiller chez les spécialistes, dans les hôpitaux ou les cliniques privées.

C’est le modèle médecin de famille, si « cher » à nos caisses maladies mais à l’échelle nationale avec une libre circulation des patients entre les centres et des données centralisées.

Quelques pistes de réflexion plus agressives

Les médicaments par exemple représentent une part importante des coûts totaux de la santé, entre 10 et 15% selon les statistiques.

En plus du remboursement automatique du générique, ne devrait-on pas conditionner l’autorisation de mise sur le marché suisse d’un médicament à une clause de meilleur prix mondial ?

A savoir qu’un médicament de marque ne peut être vendu en Suisse au-dessus du prix le plus bas auquel le fabricant le vend à l’étranger.

Une différence de 300% d’un pays à l’autre est injustifiable.

Autre exemple, la multitude des positions Tarmed qui conduit à des additions d’épiciers et souvent élevées.

Dans la continuité des réflexions récentes sur la facturation à l’acte, n’est-il vraiment pas possible de considérer qu’un médecin puisse être rémunéré au temps, fournitures en sus ? (A lire: https://www.letemps.ch/suisse/portemonnaie-medecins)

Ne gagnerait-on pas en prévisibilité financière et en qualité pour le patient à fixer par exemple la consultation à 20 minutes, diagnostique et actes compris, fournitures et médicaments en plus.

Avec un plafond de 30 consultations par jour et par médecin.

Les médecins méritant une juste rémunération, le prix de la consultation pourrait être plus élevé, ce système libérant au passage le médecin de calculs auxquels il ne se prédestinait pas lorsqu’il prêtait serment.

On en parle ?

Bon baiser de Suisse.

 

Négocier sa vie au Tribunal : bienvenue dans la dérive judiciaire américaine

Peine négociée est peine imposée

Tout amateur de série policière américaine a déjà entendu parler du plea bargain ou guilty plea, soit la possibilité pour un prévenu aux prises avec le système judiciaire pénal américain de plaider coupable des charges retenues contre lui en échange d’une réduction de peine.

L’objectif avoué et revendiqué par les autorités est de permettre aux autorités de poursuites pénales d’obtenir rapidement des résultats tout en épargnant aux contribuables les frais, exorbitants, d’un procès.

Sur le principe, l’idée d’une peine négociée n’est pas fondamentalement mauvaise en tant qu’elle permet d’aboutir rapidement à une décision judiciaire, le procès étant souvent une épreuve très lourde pour les victimes.

Aux États-Unis, le système de la peine négociée s’est toutefois emballé à un point tel que la question du choix pour l’accusé a été réduite à néant.

En cause, la lourdeur des peines menaces, une accusation souvent victorieuse, et le prix d’une défense de qualité qui ôtent toute Justice, avec un grand J, au système judiciaire américain.

Imaginons que vous soyez pauvre, issu d’une minorité et accusé d’un double meurtre.

Sachant son dossier vide mais tenu à de bonnes statistiques en matière de condamnation, le procureur vous proposera de plaider coupable de meurtre avec à la clé une peine de 10 ans.

En cas de refus, il vous indique qu’il plaidera au procès une condamnation à deux peines cumulées de 50 ans, soit 100 ans derrière les barreaux sans possibilité de remise de peine.

Tenteriez-vous votre chance devant le jury ?

Plaidoyer Alford, le pas de plus vers l’injustice

Certaines peines négociées de cette manière ont donné lieu à des jurisprudences singulières qui défient les fondements même de la notion de justice.

L’exemple le plus frappant est le plaidoyer Alford, (Alford plea en anglais, aussi nommé plaidoyer Kennedy en Virginie-Occidentale).

Dans l’affaire North Carolina v. Alford (1970), Henry Alford, qui se disait innocent, était prévenu d’assassinat (first degree murder) et risquait la peine de mort.

Selon la loi de Caroline du Nord en vigueur en 1970, un prévenu qui plaidait non-coupable d’assassinat devant un jury et qui était finalement reconnu coupable était quasi-systématiquement condamné à la peine capitale.

Le procureur proposa donc à Henry Alford un accord dans lequel ce dernier ne déclare pas avoir commis le crime mais accepte une peine maximale de 30 ans de prison pour éviter un procès.

Pour une question de procédure, le juge ne pouvant ratifier qu’une convention de plaider coupable, Henry Alford doit également plaider coupable.

Ainsi de manière totalement schizophrénique, le prévenu plaide coupable afin de bénéficier d’un accord dans lequel il ne reconnait pas son crime mais qui le condamne tout de même à une peine de prison.

Henry Alford accepta premièrement cette peine puis fit appel de sa condamnation au motif qu’il avait accepté cette peine négociée sous la contrainte, celle d’être probablement condamnée à mort en cas de procès.

Heny Alford recouru successivement jusqu’à la Cour Suprême.

Dans son arrêt, et de manière synthétique, la Cour Suprême américaine retint deux choses :

  • que ce type de peine négociée (aujourd’hui appelée plaidoyer Alford, en anglais Alford plea) était valable à la condition que le prévenu ait été suffisamment informé par son avocat sur les conséquences d’une telle peine négociée ; et
  • qu’il était possible d’être condamné à la peine négociée tout en se disant innocent à la condition que les preuves à charge en main du procureur auraient raisonnablement pu conduire à un verdict de culpabilité lors d’un procès.

Dans le cas d’Henry Alford, la Cour Suprême retint que les deux éléments étaient réunis et valida la peine négociée tout en rejetant l’appel du prévenu.

Henry Alford mourut en prison sans qu’on sache vraiment s’il était ou non réellement coupable.

L’accusation a toujours raison

En 1994, dans l’affaire dite West Memphis Three, trois adolescents de Memphis âgés de 16, 17 et 18 ans étaient accusés d’un triple meurtre sataniste sur trois jeunes enfants de 8 ans.

Les trois adolescents étaient tous issus d’un milieu défavorisé et avaient déjà été condamnés pour des délits mineurs.

Lors de leur procès, le seul majeur fût condamné à la peine de mort tandis que les deux plus jeunes, mineurs, furent condamnés à la prison à perpétuité.

En 1996, alors que la chaîne télévisée HBO souhaitait réaliser un documentaire dans le but de comprendre pourquoi trois jeunes hommes avaient massacré des enfants, les membres de l’équipe de tournage, au fil des nombreuses discussions, commencèrent  à avoir des doutes concernant la culpabilité présumée des trois adolescents.

La production pris la décision de modifier le sujet de son enquête, et sorti Paradise Lost : The Child Murders at Robin Hood Hills, un reportage très critique envers les autorités et qui plaidait en faveur de l’innocence des trois accusés[1].

Au terme d’une incroyable campagne de mobilisation de la presse et de plusieurs artistes, les trois accusés furent à nouveau présentés devant un juge en 2011.

A cette occasion, le procureur leur propose un plaidoyer Alford par lequel ils peuvent se déclarer innocent tout en étant condamnés à la peine déjà effectuée. Ils doivent également reconnaitre explicitement que l’accusation possédait assez de preuves pour les faire condamner.

A défaut, en appel, le procureur plaidera à nouveau les peines maximales.

La proposition de plaidoyer Alford par le procureur dans ce cas est aussi inavouable que cynique. En acceptant ce plaidoyer, les accusés sont libres, ne reconnaissent aucun crime mais ne peuvent demander aucun dommage et intérêts  !

En effet, avec un abandon pur et simple des poursuites, les accusés auraient pu poursuivre l’Etat pour leur détention à tort durant 18 ans.

Aujourd’hui, le plaidoyer Alford est largement utilisé devant les cours étatique et fédérales américaines.

Du pays de la liberté au pays de l’arbitraire, il n’y a parfois qu’une signature.

Pour aller plus loin:

North Carolina v. Alford : https://supreme.justia.com/cases/federal/us/400/25/case.html

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/West_Memphis_Three

Paradise Lost : The Child Murders at Robin Hood Hills: https://www.youtube.com/watch?v=uEp9pWNxAl0

La montre connectée, reine des espionnes

Un cadeau de mon assurance, vraiment ?

Depuis quelques années, la montre connectée s’est imposée comme un gadget essentiel, tant pour les coureurs branchés que pour les moins actifs néanmoins soucieux de compter leurs pas ou leurs calories.

Plusieurs marques se disputent le marché avec des dispositifs plus ou moins complexes qui comportent au minimum un minuteur, un GPS et un podomètre, agrémentés parfois de calculateurs divers (graisse, calories, etc.) et d’un cardio-fréquencemètre.

Surfant sur la mode, plusieurs caisses maladies en Suisse proposent des réductions de prime à leurs assurés qui acceptent de porter une montre connectée.

En fonction du nombre de pas effectués quotidiennement, les avantages sont plus ou moins importants.

Encouragement à l’activité physique contre réduction de prime, cela semble faire sens, du moins à priori.

Mais alors, pourquoi les sportifs professionnels n’ont-ils pas droit à une réduction similaire, ou les membres de clubs sportifs ? Pourquoi faut-il porter la montre pour être éligible ?

Parce que la mesure de votre activité physique n’a fondamentalement aucune valeur dans le cadre de l’assurance de base.

Que vous courriez 10km par jour ou que vous buviez 10l de soda par jour sans activité physique, les obligations de l’assurance de base sont les mêmes.

La vraie valeur se trouve dans le GPS de votre montre, couplé ou non à d’autres mesures.

En effet, les données, ou plutôt les métadonnées de géolocalisation en continue sont une mine insoupçonnée d’informations très personnelles.

Concrètement

Cédant à une promotion de son assurance maladie, Monsieur Dupont, 45 ans, s’est offert une montre connectée toutes options qu’il porte continuellement depuis un mois.

Il apprécie de voir sur le compte qu’il a créé en ligne sa progression du mois en termes de pas effectués et de calories perdues.

De l’autre côté du miroir, durant ce mois écoulé, la société productrice de la montre a appris :

  • Que Monsieur Dupont est fumeur, en effet, son GPS indique qu’il sort chaque heure de son bureau et reste environ 10 minutes sur un trottoir adjacent ;
  • Que Monsieur Dupont est principalement sédentaire car il circule toujours en voiture,  le temps de trajet par rapport aux distances indique qu’il est en voiture ;
  • Que Monsieur Dupont n’a pas un régime équilibré car il mange midi et soir au restaurant ;
  • Que Monsieur Dupont a probablement une liaison car tous mercredi après-midi il se rend à l’hôtel durant 1h et sa montre enregistre une augmentation de son rythme cardiaque durant 15 à 20 minutes ;
  • Que Monsieur Dupont consomme probablement de la drogue car durant les soirées du week-end, sa montre indique une brusque augmentation du rythme cardiaque et parfois quelques arythmies lorsqu’il se trouve en boite de nuit ;
  • Que Monsieur Dupont est insomniaque car plusieurs fois par nuit, sa montre enregistre des courtes séries de pas dans la maison et une légère augmentation du rythme cardiaque, ce qui indique qu’il est en éveille.

Sachant cela, feriez-vous affaire à long terme avec Monsieur Dupont ?

L’armée et les services secrets aussi

Loin d’être une banale anecdote, on rappellera encore l’affaire Strava, du nom de cette application de course à pied (GPS) pour Smartphone qui fait frémir nombre de gouvernements car son utilisation intensive par du personnel militaire ou du renseignement a permis de localiser des bases militaires secrètes ou d’identifier du personnel militaire sur la base de leur tracé de course quotidien.

En Suisse aussi.

A lire pour aller plus loin : Des espions de la DGSE identifiés à cause de l’application sportive Strava.

Comme le disait déjà Virgile dans l’Énéide (II, 49) il y a 2000 ans au sujet du cheval de Troye : « Je crains les Grecs, même lorsqu’ils font des cadeaux ».

A bon entendeur.

Bon baiser de Suisse

Antispécisme: La pente glissante du radicalisme

De l’activisme à l’action

Les militants de la cause animale sont actifs depuis longtemps dans notre pays, que ce soit au travers des sociétés de protection des animaux, de la lutte contre la vivisection ou plus récemment avec l’essor du mouvement antispéciste.

Une définition glanée sur Internet mais qui semble faire consensus définit l’antispécisme comme un courant de pensée, qui a pris naissance dans les années 1970, et qui refuse la notion d’espèce. Les antispécistes combattent les critères prédéterminés qui seraient liés à l’appartenance à une espèce, et notamment à la domination de l’Homme sur l’animal.

En mai 2017, premier coup d’éclat antispéciste en Romandie avec l’association 269Life Libération Animale qui rependait du faux sang dans un Mac Donald de Lausanne avant d’être énergiquement évacuée par la police.

L’antispécisme faisait sa une et allait susciter des vocations.

De quelques dizaines d’individus isolés, le mouvement est passé à plusieurs centaines de militants actifs qui échangent avec leurs homologues étrangers et qui participent à des actions en Suisse et dans les pays voisins.

Premières cibles, les abattoirs, vaudois en particulier, régulièrement bloqués, dénoncés, ou encore infiltrés avec à la clé des vidéos chocs et du matériel de communication percutant.

En janvier 2018, c’est le  22e salon de l’agriculture à Lausanne qui était perturbé par des militants de la cause animale, provoquant quelques accrochages mineurs avec des agriculteurs fiers et travailleurs, peu réceptifs aux arguments de jeunes perçus comme urbains et totalement déconnectés de la terre.

Enfin, depuis quelques mois, c’est Genève qui fait l’expérience d’une vague de vandalisme contre des commerces, plus particulièrement des boucheries, attribuée à des antispécistes, heureusement minoritaires, qui prônent l’action violente pour réveiller les consciences.

Convictions, moqueries et sous-estimation : le cocktail explosif

Réduire les militants actifs de la cause animale à des bobos intello urbains en manque de combat ou à des doux rêveurs, c’est commettre une grave erreur d’appréciation.

Au Royaume-Uni, bastion et figure de proue de la cause animale, l’extrémisme animalier fait partie depuis près de 20 ans des menaces majeures contre la sécurité publique suite à des attentats répétés contre des laboratoires de vivisections.

De 2000 à 2010, la National Extremism Tactical Co-ordination Unit, groupe chargé de lutter contre l’extrémisme intérieur au Royaume-Uni, était même occupée quasi exclusivement par la lutte contre plusieurs groupes d’extrémistes de la cause animale qui avaient basculé dans l’action violente.

Les services de sécurité anglais soulignent que parmi les radicalismes étudiés en Europe, celui de la cause animale est celui qui permet le recrutement le plus facile et le basculement dans l’action violente le plus rapide.

La raison à cela est très simple, la grande majorité des humains développent une empathie naturelle pour l’animal, hors de tout discours ou doctrine.

Il n’y a rien à apprendre pour être touché par le sort de certains animaux et il est tout aussi naturel de vouloir faire quelque chose.

Dans une étude de la Northeastern University de Boston parue en novembre 2017, des chercheurs ont même mis en évidence le fait que l’être humain développe plus d’empathie envers la souffrance animale qu’humaine.

Ainsi, dès lors que l’on fait un amalgame entre violence faite aux animaux et violence faite à des humains, la suite logique veut que l’action violente soit légitimée comme étant une forme de légitime défense pour autrui, et ce d’autant plus que l’animal est muet et sans défense.

Ecoute et réponses

La lutte contre la maltraitance animale ou plus largement l’exploitation animale est une lutte louable et profondément morale, c’est d’ailleurs l’un de ses atouts envers le grand public et la communication de ces groupes de militants l’a bien intégré.

La Suisse a jusqu’ici été épargnée par des actions violentes (incendies, attentats) de l’intensité qu’a connu le Royaume-Uni mais découvre des signes précurseurs d’une intensification de la lutte.

Il est dès lors intéressant de se pencher sur la manière dont les autorités anglaises ont géré et gèrent encore le mouvement animalier.

L’approche anglaise est duale, répression contre les éléments violents et collaboration avec les éléments plus modérés.

C’est surtout cette deuxième composante qui mérite que  l’on s’y attarde.

Pionnière et très active depuis 1824,  l’association Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (RSPCA) possède une hotline ouverte 24h/7 qui permet de dénoncer tout abus envers les animaux.

L’association possède en outre ses propres enquêteurs qui récoltent des éléments et montent des dossiers qui sont ensuite transmis à la police.

Ces dénonciations et ces dossiers transmis à la police sont réellement pris en charge et débouchent régulièrement sur des condamnations.

D’un point de vue judiciaire, l’Animal Welfare Act 2006, prévoit des interdictions de détention d’animaux de durée limitée ou à vie ainsi que des amendes et des peines de prison fermes jusqu’à 1 an.

En 2016, un amendement à loi passé en Irlande du Nord a relevé le plafond des peines jusqu’à GBP 20’000.- pour les amendes et jusqu’ à 5 ans de prisons pour les cas les plus graves de maltraitance animale.

Bien entendu, ces peines ne sont pas systématiques mais la réponse policière effective aux abus conjuguée à la neutralisation des éléments les plus radicaux ont drastiquement réduit la problématique outre-manche.

Il ne faut pas perdre de vue que si elles sont motivées par de multiples facteurs, les actions violentes sont aussi une manière de communiquer (et revendiquée comme telle) pour des militants qui s’estiment inaudibles pendant que d’autres êtres souffrent.

Nous aurions ainsi tout à gagner à ce qu’un effort politique soit entrepris pour que ces associations puissent travailler de concert avec les pouvoirs publics pour, déjà, combattre efficacement des situations de maltraitance animale indiscutables.

D’un point de vue judiciaire, les peines anecdotiques infligées en Suisse aux détenteurs d’animaux qui commettent des abus devraient également faire l’objet d’une révision, visiblement souhaitée par une partie grandissante de la population.

Enfin, pour ce qui est des radicaux qui sabotent les outils de travail d’éleveurs respectueux de leurs bêtes ou qui jettent des cailloux dans des vitrines d’artisans bouchers, la fermeté reste la meilleure option.

Bon baiser de Suisse.

 

Surveillance des assurés : mensonges à gauche, pragmatisme partout ailleurs

L’épouvantable détective qui cache une méconnaissance totale du sujet

Depuis l’annonce début avril du lancement d’un référendum contre la modification de loi qui doit permettre aux assurances sociales d’engager des détectives privés, on voit fleurir les commentaires outragés d’une partie de la population et de la classe politique contre des dispositions qui ont pourtant facilement passé l’écueil du législateur.

Alors, ces nouvelles dispositions, pragmatisme ou outrage à l’État de droit ?

L’argument d’autorité, celui qui doit choquer le citoyen, est que des détectives privés seront autorisés à surveiller des assurés, et même à utiliser des GPS, sans l’autorisation d’un juge, au contraire de la  police ou des services de renseignements.

A défaut d’être totalement fallacieux, l’argument a au moins le mérite de mettre à nouveau en évidence l’absurdité de certaines procédures imposées aux services de l’Etat (voir La grogne monte aux services secrets suisses, «ligotés» par des règles strictes).

En premier lieu, les nouvelles dispositions ne feront que consacrer une pratique de longue date dans les assurances sociales, pratique confirmée par le Tribunal Fédéral, même sans bases légales topiques, et qui n’avait jusqu’ici pas déplacé les foules.

En second lieu, les détectives privées qui pratiquent aujourd’hui en Suisse, dans le cadre des assurances sociales ou dans le cadre d’autres mandats divers et variés, ne bénéficient d’aucunes prérogatives légales.

En clair, un détective privé n’a pas plus de droit qu’un citoyen lambda et est soumis aux mêmes règles et obligations que celui-ci dans ses recherches et observations.

La nouvelle loi ne changera rien à cela. Prétendre que les détectives pourront, avec cette loi, pratiquer des surveillances secrètes sans l’aval d’un juge est un mensonge !

La révision de la loi n’est en réalité qu’un correctif législatif rendu nécessaire par une décision de la Cour européenne des droits de l’homme afin que les assurances sociales, dont on rappelle qu’elles financent les rentes avec nos cotisations, puissent mandater des détectives privés en cas de soupçons de fraude grave.

Le droit ainsi octroyé aux assurances sociales d’utiliser les services d’un détective sera alors le même que celui de tout citoyen ou entreprise suisse.

Et le GPS alors ?

La seule vraie nouveauté de la loi est l’introduction d’une base légale explicite autorisant les détectives à utiliser un GPS, dans certains cas précis, et avec l’autorisation d’un juge.

En clair, la seule mesure vraiment nouvelle de la loi sera soumise à l’autorisation d’un juge, précisément ce que demande les référendaires…

Quel impact aurait vraiment ce référendum ?

En cas d’acceptation du référendum, seules les assurances sociales seront pénalisées, et par conséquent les fraudeurs avantagés, la modification de la loi n’ayant pour objet que le recours à des détectives privés dans le cadre restreint des assurances sociales.

En effet, hors assurances sociales, tout un chacun pourra continuer à mandater un détective privé dans le respect des lois en vigueur.

Bon baiser de Suisse.

 

 

 

Votation sur les avions de combat: échec et mat ?

Vendredi 9 mars 2018, la presse nous apprenait que le Souverain serait à nouveau appelé à voter sur l’achat de nouveaux avions de combats.

Monsieur le Conseiller fédéral Parmelin a ainsi opté en faveur du crédit extraordinaire, soumis à référendum, au lieu de lisser l’achat des avions sur plusieurs exercices du budget ordinaire de l’armée, ce dernier étant voté par les Chambres.

Pour rappel, l’achat du Gripen avait été refusé en 2014 par 53.8% des votants, échec que l’on attribua rapidement et globalement à Ueli Maurer et à sa campagne de communication, unanimement qualifiée de maladroite.

On parlait alors d’un crédit de seulement CHF 3.126 mia contre près de CHF 8 mia aujourd’hui.

Dans la foulée de l’annonce de la future votation, le chef de l’armée Philippe Rebord annonçait dans la Südostschweiz am Wochenende et la Schweiz am Wochenende que les pilotes feront campagne car « Le gros avantage des pilotes militaires est qu’ils sont immensément crédibles ».

A l’instar de l’Ordre des médecins pour les rémunérations de certains de ses membres ou des régies pour les loyers de l’arc lémanique ?

Attention aux pièges d’une campagne de l’armée qui s’adresserait à des convaincus ou au contraire, qui s’adresserait à des opposants avec l’argument émotionnel.

Quels votants…

Les commentaires d’ores et déjà publiés sur Internet sont de bons indicateurs des forces en présence, lesquelles peuvent être catégorisées en trois groupes, les soutiens à l’achat, les opposants de principe et ceux que j’appellerai les «  Alternativistes ».

Le premier groupe des soutiens de l’armée n’a pas changé d’avis et insistera à nouveau sur la nécessité de cet achat.

Dans le deuxième groupe, celui des opposants de principe, on retrouve le GSSA, une bonne partie de la gauche et tous ceux qui œuvrent à la réduction des moyens et des compétences de l’armée.

Ce groupe, comme celui des soutiens à l’armée, n’a certainement pas changé d’avis sur l’achat de nouveaux avions de combats et se prépare à une campagne féroce.

Enfin,  le groupe des Alternativistes regroupe, quant à lui, toutes celles et ceux qui estiment, tous bords politiques confondus, qu’il y a d’autres investissements plus urgents, plus utiles ou encore plus éthiques à faire avec un crédit extraordinaire de la Confédération.

Questions rhétoriques alternativistes :

  • Comment justifie-t-on un chèque en blanc de CHF 8 mia à l’armée alors que le peuple a refusé une hausse des rentes AVS de CHF 70.- par mois pour nos retraités ?
  • Comment justifie-t-on un crédit de CHF 8 mia pour l’armée alors que rien ne bouge à Berne pour les primes maladies ?
  • Dois-je accepter que l’on donne un crédit supplémentaire à l’armée, payé avec mes impôts, alors qu’il n’y a pas de crédits supplémentaires pour des places en crèche pour mes enfants ou pour un congé paternité ?

Si je suis un votant Alternativiste qui hésite, répondez-moi que ces problèmes n’ont aucun rapport ou ne me répondez pas et je voterai oui au référendum.

Si la campagne à venir en faveur de l’achat des nouveaux avions de combat s’articule à nouveau sur la nécessité stratégique, l’urgence de renouveler la flotte ou le charisme de nos pilotes alors la leçon n’aura pas été apprise et ce sera un nouvel échec devant le peuple.

…pour quelle campagne ?

Pour gagner, cette campagne devra être celle des Partis et non celle de l’armée.

Cette campagne doit viser un compromis rationnel et tout helvétique sur la répartition des ressources extraordinaires de l’Etat.

Il n’y aura certainement pas d’avions de combat sans une compensation décente en faveur des problématiques sociales ou des projets de sociétés soutenus par les Alternativistes.

Pour ma part j’estime que la Suisse a besoin de nouveaux avions de combats  car la défense aérienne est une composante inséparable et essentielle de la souveraineté territoriale et que, sans souveraineté territoriale, il n’y a pas de libertés qui puissent s’exercer.

Bon baiser de Suisse.

Espions privés : mythes, réalité, opportunités

Régulièrement, la presse a l’occasion de décrire l’intervention dans une affaire médiatique de ce qu’elle appelle volontiers, et qui constitue un abus de langage, un espion privé ou un barbouze.

Il convient de rappeler qu’un espion est par définition un individu engagé dans des activités d’espionnage, comportements typiques réprimés par le code pénal (Art. 272ss CP).

En dehors de ces activités illicites, s’exercent de manière tout à fait légale des activités de renseignement d’affaires ou d’intelligence économique.

Une industrie légale et compétitive

Bien loin des controverses, malheureusement parfois justifiées, qui continuent de coller à la peau de ces professionnels de l’information, Londres, Paris ou encore Moscou accueillent ouvertement de nombreuses sociétés d’intelligence économique qui ont sues se rendre indispensables à nombre de cabinets d’avocats et de sociétés qui ont un besoin d’informations stratégiques.

Ces sociétés opèrent tant pour le secteur privé que pour des entités publiques, comme par exemple la Banque Européenne d’Investissement (BEI), dont l’appel d’offre pour un contrat bisannuel de fourniture de renseignements fait à chaque fois l’objet d’une féroce bataille entre les poids lourds du secteur.

Parfois, ces sociétés sont également directement engagées par des États pour conduire des investigations complexes et transnationales.

C’est par exemple le cas de la Moldavie qui a engagé en 2012 un célèbre cabinet d’investigation américain pour déterminer ce qu’il était advenu de près d’un milliard d’euros qui avaient disparu des caisses de l’État.

Plus proche de nous, les nombreux arbitrages commerciaux tranchés en Suisse regorgent de rapports et d’éléments de preuves rapportés par des  « business intelligence firms » de Mayfair, du nom de ce quartier de Londres qui concentre la majorité des sociétés d’investigation et de renseignement qui comptent en Europe et dans le monde.

Et en Suisse ?

Très attachée à la protection des données et échaudée par son expérience avec les sociétés militaires privées, la Suisse est partagée entre méfiance et opportunité économique.

Pourtant, sans le savoir vraiment, la Suisse est discrètement devenue la deuxième place européenne en matière de renseignement d’affaires derrière Londres avec des sociétés d’intelligence économique, dont certaines suisses, sont reconnues bien au-delà de nos frontières.

Parallèlement, la plupart des importants acteurs étrangers de cette industrie ont au moins un bureau de représentation dans notre pays.

Plus fantasmé que connu, le renseignement privé à la sauce anglaise c’est avant tout un métier bien encadré, des procédures de compliance de plus en plus strictes et une majorité d’ employés choisis parmi les étudiants des meilleures universités européennes.

Au niveau Suisse, le Canton de Genève fait office de précurseur avec la création de l’Office de Promotion des Industries et des technologies (OPI) qui offre plusieurs services en matière d’intelligence économique et avec ses cursus et options à la Haute École de Gestion et à l’Université de Genève qui forment dans le domaine.

Enfin, au niveau économique, on est bien loin des clichés sur l’investigateur solitaire qui chasse le mandat d’adultère avec des chiffres d’affaires en Suisse qui peuvent atteindre plusieurs millions de francs voir plus de 100 millions de dollars à l’étranger pour la plus grosse société d’intelligence économique américaine cotée en bourse.

Dans la tradition de ses banques privées, de ses cabinets d’avocats prestigieux et de ses pépites industrielles, la Suisse a également une bonne carte à jouer comme lieu incontournable du renseignement d’affaires.

Bon baiser de Suisse.

Loi anti-corruption américaine : une arme de déstabilisation massive

Avez-vous déjà entendu parler du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) ?

Probablement pas, et c’est fort dommage.

Une loi extraterritoriale

Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) est une loi fédérale américaine de 1977 créée pour lutter contre la corruption d’agents publics à l’étranger.

Certes. Vous me dites qu’il existe une loi américaine destinée à sanctionner des pratiques de corruptions commises à l’étranger ?

Où est le problème ?

Et bien partout et pour tout le monde, et c’est bien là où le bât blesse.

Le FCPA, comme l’appelle les connaisseurs, est une loi extraterritoriale, à savoir qu’elle déploie certains de ses effets en dehors du territoire national américain.

A première vue, cela fait effectivement du sens pour une loi qui est censée lutter contre des pratiques de corruptions commises à l’étranger.

La plupart des gens s’accordent sur le fait qu’un citoyen suisse ou une entreprise suisse qui se rendent coupable de corruption à l’étranger puisse être poursuivis en Suisse. C’est d’ailleurs ce que prévoit notre code pénal aux Art. 102 et 322septies CP.

Et si je vous disais maintenant qu’une entreprise suisse qui commet un acte de corruption en Lituanie peut être poursuivie aux États-Unis et condamnée à verser aux autorités américaines une amende vertigineuse dont pas un centime n’ira au pays victime.

Nettement plus choquant n’est-ce pas ?

Le département de la justice américain (DOJ) fonde sa compétence à poursuivre des actes de corruptions commis à l’étranger sur la base de critères très ténus et de ce fait souvent ignorés, voire difficilement concevables pour nous Européens.

Par exemple, utiliser le dollar US pour payer un pot-de-vin ou le fait, pour un individu engagé dans un acte de corruption, de correspondre par l’intermédiaire d’un service de messagerie américain tel que Gmail ou Facebook permet de poursuivre n’importe quel individu ou entreprise aux États-Unis, quelle que soit sa nationalité ou le lieu de son siège.

Et cela même si aucun américain ou entreprise américaine n’est impliqué.

Une arme de guerre économique

Nos voisins français ont véritablement découvert le FCPA en 2014 avec l’amende colossale infligée à BNP Paribas (8,9 milliards de dollars) puis celle infligée à Alstom (772 millions de dollars) qui a permis au passage à General Electric de racheter à bon prix la division Energie du groupe français.

Depuis fin 2017, c’est le groupe Airbus, éternel rival de l’américain Boeing, qui est aux prises avec la justice américaine sur fond de FCPA.

La Suisse n’est pas en reste, la RTS dévoilait en effet le 3 janvier dernier que la justice américaine enquête sur Novartis au sujet de soupçons d’actes de corruption prétendument commis par l’entreprise suisse en Grèce.

Novartis avait déjà payé une amende de 25 millions de dollars aux Etats-Unis en 2016 pour mettre fin à une poursuite pour des actes de corruption commis en Chine.

Plus qu’une loi, le FCPA est un instrument de Smart Power assumé, fer de lance de la guerre économique que se livrent ennemis mais aussi alliés.

A l’heure des discussions sur le budget de l’armée, peut-être devrait-on également s’interroger sur notre arsenal de guerre économique et les contre-mesures à notre disposition.

Bon baiser de Suisse.