Bon baiser de Suisse

L’IA en Général d’armée

Le 22 janvier 2019, une Intelligence Artificielle développé par Google et baptisée DeepMind battait sèchement sur Starcraft II, 10 victoires pour une défaite, l’équipe professionnelle d’E-Sport Liquid TLO.

Moins médiatisée que les exploits d’Alpha Go au jeu éponyme ou que celles de l’IA Deep Blue d’IBM aux échecs, cette récente victoire d’une intelligence artificielle dans un jeu de stratégie grand public marque un nouveau tournant de l’évolution technologique et laisse entrevoir le futur de l’IA en matière de stratégie militaire.

A vos ordres DeepMind !

Dans la stratégie conventionnelle, on distingue généralement trois phases : La reconnaissance, la planification et l’action.

Dans le cadre des échecs et du jeu de Go, sans rien enlever à la noblesse et à la complexité des stratégies mises en œuvre, l’IA opère dans l’action, en adaptant sa stratégie à la stratégie adverse. Il n’y a pas de phase de reconnaissance ou de planification.

A l’inverse, le jeu de stratégie en temps réel Starcraft II intègre ces trois dimensions.

Dans le cadre de l’affrontement entre DeepMind, sous le pseudo d’AlphaStar, et ces joueurs professionnels, nous avons pu constater, et cet élément a été repris par les critiques, que la vitesse d’exécution de l’IA était bien supérieure à celle d’un joueur humain, et que cette vitesse lui a permis en partie de prévaloir.

A cet argument, les concepteurs rétorquent que la vitesse d’exécution était de facto supérieure car expurgée de tout mouvement parasite, par exemple des sélections hésitantes ou des clics inutiles.

Pour le reste, l’IA aurait été calibrée pour ne pas pouvoir effectuer ses tâches plus rapidement qu’un joueur humain.

Nous ne trancherons pas la controverse ici.

Un élément qui fait par contre l’unanimité, c’est la qualité et la vitesse du micro-management de l’IA, dans sa gestion des ressources, de la production et de l’utilisation de ses troupes. Sur ce dernier point, il est intéressant de constater que l’IA a un style de jeu tout à fait particulier lorsque elle fait effectuer à ses troupes des avancées puis un retrait tactique et ainsi de suite pour déjouer la distance maximale et la visée des armes ennemies.

L’unique partie perdue par AlphaStar contre le joueur star Mana est aussi riche d’enseignement. En effet, le joueur professionnel découvre en premier la base adverse ce qui lui donne un avantage, sachant distinctement où envoyer ses troupes pour perturber l’ennemi. L’avantage ainsi acquis, et habilement exploité, permet la victoire de l’humain.

Il faut toutefois faire le constat redoutable que l’humain prévaut ici une seule fois sur onze parties, dans un mode un contre un (1 vs 1). Il est quasiment certain, sur la base de ce qui a été montré, que deux humains jouant en 2 vs 2 contre l’IA n’auraient probablement eu aucune chance.

Et c’est là l’enseignement le plus important de cet événement, la capacité de coordination et de micro management de l’IA dans un contexte stratégique.

Sur le champ de bataille de demain

Transposé dans le monde réel, cette partie de jeux vidéo met en évidence que l’efficience militaire dépend fondamentalement de la capacité à planifier et coordonner différents acteurs.

En cela, l’IA, avec sa capacité d’exécuter des actions stratégiques sans hésitations ou sans actions parasites, dévoile un potentiel incomparable dans la conduite stratégique avec pour corolaire un avantage indéniable à l’entité qui la contrôle.

Dans l’exercice d’anticipation technologique, force est de constater que la pensée commune se borne à imaginer l’IA en pilote d’armes autonomes, et en particulier de robots tueurs que l’on imagine volontiers anthropomorphes.

Notons pour l’exercice intellectuel qu’en terrain réel, un robot, même doté d’une excellente IA, sera encore pour longtemps exposé à des aléas techniques et environnementaux, et sa performance dépendante d’un facteur chance ou relative à l’intelligence et aux capacités d’un adversaire humain.

Or, ce que montre AlphaStar en joueur de jeux vidéo, c’est que l’avantage stratégique de l’IA est encore plus marqué dans le rôle du commandant que dans celui du combattant.

Groupes de combat dirigés par une IA

De ce constat, qui est certainement partagé par ceux qui inventent les armes de demain, il faut déduire que la projection d’entités contrôlées par l’IA sur un théâtre d’opérations ne sera probablement pas aussi visible qu’actuellement anticipé.

En effet, sur la base de notre réflexion précédente, il ne ferait aucun sens d’exposer à des risques divers des machines hautement technologiques alors que la plus-value de l’IA se trouve dans sa capacité à coordonner et commander des troupes.

Nous pouvons ainsi prédire que le futur de l’IA dans un cadre militaire se matérialisera sous la forme d’une IA centrale, par exemple dans un poste de commandement avancé, qui aura à sa disposition diverses sortes de robots et de drones, pas forcément d’une technologie très avancée pour autant que l’IA de contrôle et de commande puisse s’y connecter pour les coordonner et leur faire exécuter des tâches déterminées.

Dans sa partie de StarCraft II, l’IA a montré sa capacité à sacrifier des éléments pour obtenir un avantage stratégique.

Dans un scénario pas si improbable, on pourrait  imaginer que la pacification d’une province afghane soit par exemple confiée à un ordinateur dotée d’une IA comparable à celle de DeepMind, installé dans un container à Kaboul, et qui coordonnerait et commanderait des entités robotisées dans le but d’accomplir la mission confiée par ses programmateurs.

Les questions de l’indépendance de la machine et des biais dans les algorithmes étant réservées, le futur de la guerre dépend dès aujourd’hui, pour ne pas dire hier, de la capacité des états et des belligérants à maitriser et  mettre en œuvre des intelligences artificielles.

Bon baiser de Suisse.

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