Une année d’espionnage en Suisse, revue 2018

Selon l’astrologie chinoise, 2018 était l’année du Chien de terre.

Pour les autorités helvétiques, cette année fût surtout celle des espions économiques, adeptes ou non de l’astrologie chinoise.

Chers amis et voisins

Ouverture des feux en janvier 2018 avec plusieurs articles faisant état de tentatives, réfutées, de recrutement de sources et de chercheurs suisses par des agents chinois via LinkedIn. Comme disait déjà Simon de Bignicourt dans Les pensées et réflexions philosophiques (1755); “Plus on a d’amis, et plus on a d’ennemis“. 

En mars 2018, reprise du conflit de voisinage Germano-Suisse avec le Ministère public zurichois et l’inculpation de trois Allemands pour espionnage économique et violation du secret bancaire.

Les trois inculpés sont soupçonnés d’avoir fourni aux autorités allemandes, en violation du droit suisse, des documents concernant l’affaire opposant Franz Müller à la banque privée J. Safra Sarasin.

Et dire que fin 2017, l’Allemagne nous faisait encore la leçon de morale suite à l’arrestation de l’agent suisse Daniel M…

Les espions venus du froid

Après un été relativement calme, c’est la Russie qui se distingue en septembre avec l’arrestation aux Pays-Bas de deux espions russes soupçonnés notamment d’avoir tenté d’espionner le laboratoire de Spiez, dans le Canton de Bern, dans la foulée de l’affaire Skripal, du nom de cet ancien espion russe mystérieusement empoisonné à Londres.

Au même moment, la presse relie la même équipe russe à une tentative de hacking contre l’EPFL et l’agence mondiale antidopage à Lausanne survenue quelques mois plus tôt.

Nous apprenons au passage que plus d’un quart des diplomates russes accrédités en Suisse sont des espions, et ce d’après une évaluation confidentielle (?) réalisée pour le Conseil fédéral. Dont acte.

En octobre, la Suisse réagit avec l’autorisation donnée au MPC par le Conseil fédéral d’ouvrir une procédure pénale contre les deux ressortissants russes soupçonnés de service de renseignements politique en lien avec l’affaire du laboratoire de Spiez.

Octobre rouge

Octobre rouge aux Etats-Unis avec l’inculpation de dix Chinois soupçonnés d’espionnage économique. La troisième prise du genre en trois mois outre-atlantique.

En novembre, c’est le Temps qui nous apprend que parmi ces chinois indiscrets, certains avaient pris pour cible une filiale de Roche basée en Californie.

A noter que dans son rapport 2018, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) constate «une activité accrue des groupes de hackers chinois à l’encontre d’intérêts suisses».

De là à penser que des espions chinois qui agissent de manière offensive aux Etats-Unis pourraient aussi agir en Suisse, il n’y a qu’un (très) petit pas.

Un opérateur qui vous veut du bien

L’année se termine avec la controverse Huawei, du nom du premier fournisseur mondial d’équipements de réseaux de télécommunications et deuxième fabricant de smartphones, qui travaille en Suisse avec Sunrise et Swisscom et qui entend se développer à Lausanne et Zurich.

Pour rappel, Huawei est confronté depuis plusieurs mois à des soupçons d’espionnage pour le compte du gouvernement chinois.

A l’étranger, le groupe a dû faire à des interdictions, notamment aux Etats-Unis, en Australie, en Nouvelle Zélande, en France ou encore en Allemagne.

A noter que Swisscom utilise déjà certaines technologies de Huawei pour son réseau fixe et que l’opérateur chinois a publiquement déclaré souhaiter investir massivement en Suisse et se rapprocher de l’EPFL. Tiens donc.

Le Conseil fédéral veille, nous dit-on.

La bonne approche mais un manque de moyen

Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) est en première ligne sur ces sujets et connaît bien les problématiques.

Depuis 2004, le SRC, dans le cadre du programme de prévention et de sensibilisation Prophylax, sensibilise les entreprises, hautes écoles et instituts de recherche suisses aux menaces et risques liés à l’espionnage ainsi qu’à la prolifération.

Couplée à des moyens d’investigation adéquats, notamment fourni par la nouvelle Loi sur le renseignement, cette approche est la bonne mais elle manque toujours de moyens financiers.

La prospérité de la Suisse étant corrélée à sa capacité d’innovation, la lutte contre l’espionnage économique et la prévention au sein des milieux visés devraient être des priorités politiques et budgétaires.

Contacté, le SRC explique qu’il souhaite augmenter la visibilité de Prophylax et améliorer la sensibilisation des entreprises suisses.

« Le travail de sensibilisation sous forme de discussions bilatérales et confidentielles avec les entreprises, les hautes écoles et les instituts de recherches se poursuit.

Afin d’atteindre un public plus large, les experts du SRC ont présenté leur travail aux membres des chambres de commerce et d’industrie de plusieurs cantons en 2018. Cette collaboration a été un succès et le SRC souhaite poursuivre cette démarche dans d’autres cantons, ainsi qu’avec d’autres associations économiques. »

De confidentiel à grand public

Notons également que l’Université de Berne conduit actuellement une étude sur l’espionnage économique en Suisse, en collaboration avec le SRC. Le but de cette étude consiste en un relevé détaillé de la situation, une estimation des impacts financiers et autres dommages, ainsi qu’une évaluation de la qualité de la collaboration entre les entreprises et les autorités.

La publication de l’étude est prévue pour fin 2019.

Espérons que les résultats de cette étude provoqueront un électrochoc sous la coupole afin que chaque étudiant et chaque chef d’entreprise, de la start-up à la multinationale, puisse bénéficier au minimum d’une présentation des enjeux et des risques dans le cadre de ce programme Prophylax qui gagne à être connu de tous.

Bon baiser de Suisse et bonne année 2019.

Alexis Pfefferlé

Alexis Pfefferlé est associé fondateur d’Heptagone Digital Risk Management & Security Sàrl à Genève. Juriste de formation, titulaire du brevet d'avocat, il change d'orientation en 2011 pour intégrer le monde du renseignement d'affaires dans lequel il est actif depuis. Engagé sur les questions politiques relatives au renseignement et à la sécurité, conférencier occasionnel, il enseigne également le cadre légal des activités de renseignement à Genève.