Loi anti-corruption américaine : une arme de déstabilisation massive

Avez-vous déjà entendu parler du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) ?

Probablement pas, et c’est fort dommage.

Une loi extraterritoriale

Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) est une loi fédérale américaine de 1977 créée pour lutter contre la corruption d’agents publics à l’étranger.

Certes. Vous me dites qu’il existe une loi américaine destinée à sanctionner des pratiques de corruptions commises à l’étranger ?

Où est le problème ?

Et bien partout et pour tout le monde, et c’est bien là où le bât blesse.

Le FCPA, comme l’appelle les connaisseurs, est une loi extraterritoriale, à savoir qu’elle déploie certains de ses effets en dehors du territoire national américain.

A première vue, cela fait effectivement du sens pour une loi qui est censée lutter contre des pratiques de corruptions commises à l’étranger.

La plupart des gens s’accordent sur le fait qu’un citoyen suisse ou une entreprise suisse qui se rendent coupable de corruption à l’étranger puisse être poursuivis en Suisse. C’est d’ailleurs ce que prévoit notre code pénal aux Art. 102 et 322septies CP.

Et si je vous disais maintenant qu’une entreprise suisse qui commet un acte de corruption en Lituanie peut être poursuivie aux États-Unis et condamnée à verser aux autorités américaines une amende vertigineuse dont pas un centime n’ira au pays victime.

Nettement plus choquant n’est-ce pas ?

Le département de la justice américain (DOJ) fonde sa compétence à poursuivre des actes de corruptions commis à l’étranger sur la base de critères très ténus et de ce fait souvent ignorés, voire difficilement concevables pour nous Européens.

Par exemple, utiliser le dollar US pour payer un pot-de-vin ou le fait, pour un individu engagé dans un acte de corruption, de correspondre par l’intermédiaire d’un service de messagerie américain tel que Gmail ou Facebook permet de poursuivre n’importe quel individu ou entreprise aux États-Unis, quelle que soit sa nationalité ou le lieu de son siège.

Et cela même si aucun américain ou entreprise américaine n’est impliqué.

Une arme de guerre économique

Nos voisins français ont véritablement découvert le FCPA en 2014 avec l’amende colossale infligée à BNP Paribas (8,9 milliards de dollars) puis celle infligée à Alstom (772 millions de dollars) qui a permis au passage à General Electric de racheter à bon prix la division Energie du groupe français.

Depuis fin 2017, c’est le groupe Airbus, éternel rival de l’américain Boeing, qui est aux prises avec la justice américaine sur fond de FCPA.

La Suisse n’est pas en reste, la RTS dévoilait en effet le 3 janvier dernier que la justice américaine enquête sur Novartis au sujet de soupçons d’actes de corruption prétendument commis par l’entreprise suisse en Grèce.

Novartis avait déjà payé une amende de 25 millions de dollars aux Etats-Unis en 2016 pour mettre fin à une poursuite pour des actes de corruption commis en Chine.

Plus qu’une loi, le FCPA est un instrument de Smart Power assumé, fer de lance de la guerre économique que se livrent ennemis mais aussi alliés.

A l’heure des discussions sur le budget de l’armée, peut-être devrait-on également s’interroger sur notre arsenal de guerre économique et les contre-mesures à notre disposition.

Bon baiser de Suisse.

Alexis Pfefferlé

Alexis Pfefferlé est associé fondateur d’Heptagone Digital Risk Management & Security Sàrl à Genève. Juriste de formation, titulaire du brevet d'avocat, il change d'orientation en 2011 pour intégrer le monde du renseignement d'affaires dans lequel il est actif depuis. Engagé sur les questions politiques relatives au renseignement et à la sécurité, conférencier occasionnel, il enseigne également le cadre légal des activités de renseignement à Genève.

5 réponses à “Loi anti-corruption américaine : une arme de déstabilisation massive

  1. Vous pointez là une série d’affaires emblématiques de la soumission totale des gouvernements européens à la domination Yankee.

    Vous auriez pu parler aussi de FATCA et de la guerre de 30 ans que la puissance américaine a livré aux banques suisses et à la place financière suisse. Cette guerre s’est soldée par la defaite totale de la Suisse et le résultat est la perte du secret bancaire et toutes ces règles de “compliance” dont le but est de rendre impossible aux banques suisses d’être profitables.

    Aujourd’hui l’UBS et le Crédit Suisse ne sont plus des banques suisses. Ce sont des banques américaines, utilisées par les USA comme chevaux de Troie pour mieux soumettre la Suisse.

    Que proposez vous pour nous libérer de cette oppression?

    C’est très difficile. Les élites françaises, allemandes, etc., ont dejà capitulé depuis longtemps. C’est pourquoi ces pays subissent des rackets scandaleux comme le cas de BNP dont vous parlez. J’ajoute que les différents “Abgasskandale” en Allemagne ne sont rien d’autre que des actes de guerre de l’Amérique contre l’Allemagne, pour mettre à genoux l’industrie allemande au profit de ses concurrents américains. C’est dégueulasse et l’Allemagne ne peut rien faire pour se défendre.

    En Suisse on a été trahi par l’intelligentsia et les médias qui ont clairement pris le parti de l’ennemi alors que nous étions en guerre. Il faut bien voir que le livre de Jean Ziegler Enquête sur une Suisse au dessus de tout soupçon, écrit sans les années 1970, qui a été salué par l’intelligentsia de gauche comme une noble contestation morale des banques suisses et de leur pouvoir, n’a eu en réalité qu’un seul effet pratique: servir les intérêts américains dans leur guerre contre notre pays. Aujourd’hui les fraudeurs du fisc du monde entier et les blanchisseurs d’argent se dirigent vers le nouvel Eldorado bancaire: les États Unis, qui nous ont tout simplement volé le marché, en partie à cause de Jean Ziegler. Mais globalement il n’y a eu AUCUNE moralisation.

    Tout ceci à été facilité aussi par la tendance des professionels comme vous à vouloir à tout prix faciliter la circulation de l’information. La raison d’être de la place financière suisse résidait précisément dans son opacité. Il ne fallait pas accepter des systèmes informatiques et de communication ouverts, rendant transparentes les transactions bancaires faites en Suisse. Il fallait aussi refuser de se soumettre aux injonctions du Gafi, etc.

    Vous avez raison de critiquer aujourd’hui cette arme de déstabilisation massive qu’est la nouvelle loi américaine combattant hypocritement la corruption et visant en réalité la destruction des souverainetés dans les colonies US comme les pays d’Europe occidentale. Mais étant donné tout ce que dans d’autres articles vous acceptez de gaîté de cœur au point de vue rationalisation des procédures etc., et surtout tout ce que d’autres que vous ont accepté depuis 30 ans de contraire aux intérêts de la Suisse, votre protestation vient trop tard et elle ne servira à rien.

    On ne pourra rien faire là contre. Ou alors je me trompe? Dans ce cas merci de nous indiquer les mesures à prendre si la Suisse refuse de se soumettre à ce nouveau diktat.

    Malheureusement je suis sceptique. Nou sommes gouvernés par des gens qui sont à plat ventre devant le pouvoir étranger.

  2. un suisse privé de ses droits en matiere pénale peut-il s’adresser a un tribunal américain,?puisque la suisse a signé un accord avec le gouvernement américain.
    Merci de repondre

    1. C’est une question très large. La compétence juridictionnelle dépend de plusieurs conditions alternatives ou cumulatives telles que la matière, la nationalité, le lieu de résidence des parties, les infractions visées.

      Sans autres détails, il est impossible de répondre à votre question.

    1. Cher Monsieur,
      L’affaire ALSTOM nous révèle plusieurs moyens de contraintes: L’interdiction d’accès au marché américain et la mise en détention de cadres dirigeants de passage aux USA pour non-respect d’une décision de la cour. En clair, l’entreprise et ses dirigeants ne peuvent plus mettre le pied aux USA ni faire affaires avec des sociétés américaines…

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