On peut se passer de policiers chinois en suisse (bis)

La nouvelle a fait la une des médias. Des hordes de policiers chinois, invités par Berne, se seraient abattues sur la Suisse pour soumettre à la question des malheureux chinois que la Confédération s’apprête à expulser. Le TJ romand en a fait état. Des parlementaires se sont saisis de l’information. Ces fonctionnaires chinois qui viennent en Suisse pour identifier l’identité de demandeurs d’asile déboutés en instance de rapatriement, qui sont-ils ? Des ‘espions’ selon un Conseiller National. Des ‘agents étrangers’ selon un autre. Un éditorialiste s’indigne. Les expulsés, dont aucun ne remplit les conditions pour être reconnu comme réfugié politique, sont décrits comme des ‘demandeurs d’asile’.Et sa conclusion est sans appel; on peut se passer de policiers chinois en Suisse.

Des policiers chinois opérant sur sol suisse.

Que le nombre des rapatriés…deux par an au cours des derniers 5 ans soit statistiquement insignifiant n’est pas contesté. En revanche, le principe de ‘policiers chinois opérant sur sol suisse’ donne lieu à polémique, et plus encore si pris hors contexte. Un contexte qui lui en revanche, est incontournable.

140 millions de touristes chinois.

Si la Chine de Mao imposait de sévères restriction aux voyages à l’étranger de ses citoyens, ces jours sont révolus. Aujourd’hui pratiquement chaque chinois qui en fait la demande reçoit un passeport lui permettant soit d’émigrer, soit de faire des études à l’étranger, soit de se rendre à l’étranger comme touriste. L’émergence d’une nouvelle classe moyenne chinoise aidant, ce ne sont pas moins de 140 millions de touristes chinois qui se sont rendus à l’étranger en 2018 avant que le Covid 19 ne frappe.

Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur le régime chinois c’est donc un fait incontestable que, à un moment ou à un autre, 140 millions de chinois se sont trouvés dans un environnement ou ils n’étaient plus sous le contrôle de Pékin.  Or sur ce chiffre combien en ont profité pour se déclarer ‘persécutés’ et demander l’asile en tant que refugiés politiques ? 25,455 correspondant au 0.017 % du nombre total de touristes.

Tout demandeur d’asile n’est pas un réfugié.

Or pour ce faire le ‘demandeur d’asile’ doit prouver  qu’il a été personnellement l’objet d’une persécution pour des motifs religieux, politiques ou ethniques.

La plupart des états ont des procédures de détermination de statut afin d’évaluer si une demande d’asile est effectivement motivée par la nécessité de fuir une persécution et n’est pas un subterfuge pour chercher à émigrer.

Il est évident que selon le pays  les demandes d’asile tout comme les  procédures ne font pas abstraction de facteurs politiques. Ainsi au Japon qui a reçut 31.2 millions de touristes chinois, les demandes d’asile se chiffraient à 308 et le taux de reconnaissance à zéro. En revanche en Malaisie, avec 2.9 millions de touristes chinois, le taux de reconnaissance était de 100 % avec un bémol ; le nombre de demandeurs était de 11 et ils étaient tous Musulmans. Quant à la Thaïlande, sur les 10 millions de touristes chinois qui visitèrent le pays en 2018, 38 demandèrent l’asile et 21 furent reconnus comme réfugies.

Trois pays en tête de liste.

En fait la majorité des demandes d’asile des chinois se focalisent sur trois pays qui, accessoirement, sont aussi les destinations de choix de l’émigration chinoise, à savoir Etats Unis, Canada et Australie.

Confrontés á un total de quelques 16 000 demandes d’asile déposées par des chinois, le défi pour ces gouvernements est double ; d’une part il s’agit de gérer une procédure juste et efficace qui permet d’identifier les réfugiés par rapport aux demandeurs d’asile dont la demande est frauduleuse. Vu les complexités du pays d’origine ce n’est pas une mince affaire d’où des taux de reconnaissance avec de fortes variations ; 47 % pour les Etats Unis, 45 % pour le Canada et 3.4 % pour l’Australie. Or comme le profile du chinois qui demande l’asile dans un de ces trois pays est essentiellement le même on peut supposer que les variations sont dues à des facteurs politiques comme aussi probablement à une meilleure connaissance de la réalité chinoise de la part des fonctionnaires australiens par rapport à leurs collègues canadiens et américains.

Pas d’alternative au retour.

Le deuxième défi, et il vaut pour tous les pays ou des chinois déposent une demande d’asile est que faire avec les demandeurs déboutés? Les garder au même titre que les réfugiés serait vider de leur substance les procédures d’asile avec en plus le risque de créée un appel d’air incontrôlable. D’ou un consensus parmi les démocraties industrielle occidentales à savoir qu’il n’y a pas d’alternative au retour des déboutés.

Or c’est là que le problème se corse. Si le nombre de déboutés est à l’échelle mondiale pour le moins contenu – environs 17 500 – et beaucoup acceptent de se rapatrier volontairement, Pékin n’a jamais été particulièrement enthousiasmé par le retour de ses citoyens. En fait, ce sont les pays occidentaux qui sont demandeurs. Ainsi en 2016 les Etats Unis purent convaincre Pékin de reprendre 398 demandeurs d’asile déboutés, nombre que l’administration Trump réussit à porter à 525 pour 2017.

Identifier l’identité des rapatriés.

En l’absence d’une procédure globale en  la matière, on assiste à des accords de réadmission signés pays par pays et dont la mise en pratique est souvent laborieuse. Or si un nombre substantiel de demandeurs d’asile chinois déboutés acceptent leur rapatriement sans s’y opposer par la force, Pékin a une exigence qui n’est pas négociable, à savoir de vérifier l’identité de ceux dont les documents de voyage ne sont plus en ordre.

L’exemple du Vietnam

En fait c’est là une démarche standard. Ainsi en 1996 quand Hanoi accepta le rapatriement de quelques 98,000 boat people vietnamiens qui se trouvaient dans des camps dans les pays du Sud Est asiatique et qui s’étaient vu refuser le statut de réfugié, le Vietnam exigea de vérifier leur identité avant leur rapatriement. Cela ne posa aucun problème et c’est financé par le HCR que des équipes du ministère vietnamien de l’intérieur se rendirent dans les camps pour entreprendre ce travail.

La Suisse a survécu.

Dans le cas de la Chine ce travail d’identification et généralement entrepris par les services consulaires chinois dans les pays concernés, services qui peuvent si nécessaire être épaulés par des experts envoyés par Pékin. C’est ce qui advint en Suisse en juin 2016 quand, pour la première et à ce jour la dernière fois, une équipe vint de Pékin passer une semaine à Berne pour épauler le consulat. Manifestement la Suisse et ses institutions ont survécu à cette incursion…

 

 

Alexandre Casella

Diplômé de la Sorbonne, docteur en Sciences Politiques, ancien correspondant de guerre au Vietnam, Alexandre Casella a écrit pour les plus grands quotidiens et a passé 20 au HCR toujours en première ligne de Hanoi a Beirut et de Bangkok à Tirana.

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