Gravir un volcan pour toucher les étoiles

Dans 30 jours, si tout va bien, je suis là-haut. Je me suis inscrit au Tenerife Bluetrail, tenté par la perspective de découvrir des paysages grandioses et de vivre une aventure qui s’annonce excitante. La course traverse cette île de l’archipel des Canaries sur un axe sud-nord avec comme cerise sur le gâteau, un passage par le sommet du volcan Teide, sa plus haute éminence, qui culmine à 3718 mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer.

Il faudrait être blasé pour ne pas être emballé à l’idée de gravir un volcan, qui plus est sur une île. Pour moi qui ai lu et relu Voyage au centre de la terre, de Jules Verne, qui ai vu tous les documentaires de Haroun Tazieff – enfant je me rappelle d’ailleurs avoir voulu faire le même métier, volcanologue ! -, ces montagnes qui crachent (potentiellement) du feu font rêver.

Pour revenir à des considérations plus terre à terre, le format ultra de l’épreuve à laquelle je vais participer est de 102 kilomètres pour un dénivelé positif de 6784 mètres et autant en négatif, soit plus de 13 500 mètres de dénivelé cumulé. Je l’avoue, au moment de m’inscrire, j’avais regardé ces chiffres d’un oeil distrait. Jusqu’à ce post qui m’a amené à les examiner de plus près, je pensais que les montées ne dépassaient pas les 3500 mètres… Mais bon, quand on aime on ne compte pas, dit l’adage.

Le départ de la course sera donné à 23 h 30. Sur l’archipel des Canaries, le ciel est d’une limpidité inouïe. En l’absence de pollution lumineuse, la nuit prend vie, devient tridimensionnelle. Quand on la regarde couché sur le dos, on a l’impression d’être dans un cinéma imax. Les étoiles donnent le vertige. Les astronomes assurent que depuis Tenerife, on peut observer 83 des 88 constellations répertoriées. C’est peu dire que je me réjouis.

Pour profiter du spectacle et pouvoir regarder autre chose que mes baskets, il faudra être en forme. Il ne me reste donc plus que quatre semaines pour peaufiner l’entraînement réalisé tout au long de l’hiver, en diminuant la charge sur les derniers jours. Le challenge va être d’accumuler un maximum d’heures de course et de dénivelé, sans trop en faire non plus pour éviter de se blesser. C’est exaltant de sentir une telle échéance se rapprocher.

Sur nos montagnes, la neige a enfin commencé à fondre, ce qui permet de commencer à envisager, selon les secteurs, des sorties à 2000 mètres d’altitude. Il y a quelques jours, j’ai fait un repérage à Chamonix, où je n’avais pas couru depuis l’automne dernier. Quel bonheur de cavaler au coeur de cette carte postale, la chaîne du Mont-Blanc devant soi. Sur les sentiers, personne. Ce sentiment formidable d’être complètement seul, dans un entre-saison où le monde d’en haut semble tout neuf.

13 km de philosophie au pied du Mont-Blanc

Samedi 2 mars, 17 h 56. Vite, vite, vite! Plus que 4 minutes ou je vais louper le départ de la Courmayeur Winter Eco Trail by Night!

Ce serait tellement affreux d’arriver trop tard et d’être condamné à regarder les autres coureurs attaquer sans moi cette course de 13 km pour 1300 mètres de dénivelé, qui se déroule chaque hiver sur les pistes de la station valdôtaine…

Je sprinte à travers les rues du hameau de Dolonne. Tic tac, tic tac, plus que deux minutes. J’enfile à la hâte les crampons qui me permettront de ne pas glisser sur la neige et la glace.

Zut, ils sont à l’envers. Je les remets aussi vite que possible et fonce vers la ligne du start, pour me glisser parmi les premiers. Le speaker égrène le compte à rebours. 10, 9, 8… décidément, je suis vraiment mal organisé aujourd’hui… 3, 2 – j’avale un gel au miel -, 1… c’est parti!

Je m’élance avec le peloton de tête. La neige est profonde, et surtout plus meuble que prévu, ce qui me coûte une énergie folle.

Heureusement, on est tous logés à la même enseigne. Hormis les trois coureurs de tête, qui ont survolé le premier plat rébarbatif et s’élancent déjà à l’attaque de la première pente qui mène au plan Checrouit, 500 mètres plus haut.

La compétition me sort totalement de ma zone de confort. Pas de place pour la contemplation. A chaque instant, mon corps me rappelle ses limites, alors que mon cerveau tente de les contourner en me poussant à aller plus vite. J’oscille entre l’envie d’abandonner et celle d’être le premier.

Je me positionne dans le top 15. La pente est impitoyable, je suis à fond, mon coeur va éclater. Je lutte avec un autre coureur pour ne pas me faire distancer. Au sommet de la première bosse, j’ai gagné 50 centimètres.

Cette mini victoire ne dure pas. Je n’arrive pas à repousser l’assaut d’un trio de coureurs qui me double. Tant pis. Je suis toujours dans les vingt premiers, il faut que je m’accroche. La pente est moins raide, je récupère sur le faux plat qui mène à Plan Chécrouit.

Je passe sans m’arrêter devant le ravitaillement de peur de perdre de précieuses secondes. Un DJ passe un remix de “It’s my life”. Les basses résonnent, c’est bateau mais je me fais emporter par le rythme et j’arrive à accélérer un peu.

Deux autres coureurs me talonnent. Je reste à leur hauteur quelques minutes, puis les laisse partir, en me disant qu’il faut que je garde des forces pour la fin. J’apprécie la vue sur la chaine du Mont Blanc, et en particulier sur l’Aiguille noire de Peuterey, qui se drape de lueurs bleutées. Le ciel est sans nuages, des étoiles s’allument dans le ciel. Magique!

La dernière montée est bientôt finie. En fait, cette année, à cause des chutes de neige abondantes et du froid, le parcours a été modifié à la dernière minute. On ne montera donc pas au col Chécrouit comme c’était prévu.

Je me brûle la gorge avec le thé chaud qu’on me tend au ravito, recrache le biscuit sec qui menaçait de m’étouffer et m’élance dans la descente abrupte de 1000 mètres vers Courmayeur.

Dérapant, glissant, je cours le plus vite que je peux pour ne pas me faire rattraper. Personne derrière pour le moment. Quelques spectateurs m’encouragent, je commence à voir le bout du tunnel.

Plus que 500 mètres de dénivelé et je serai en bas. Mes chevilles commencent à souffrir de toutes les torsions que la texture changeante de la neige leur fait subir. Pas grave. Je débouche sur le plat qui précède l’arrivée.

J’ai enfin réussi à rattraper le coureur qui était devant moi, mais il y en a un autre qui me talonne à présent. Je vois la lumière de sa frontale qui lèche la neige autour de moi.

Je ne serai pas sa proie. Je rassemble mes dernières forces et passe l’arrivée le premier en poussant un cri inattendu venu du fond de mes tripes. Sur les derniers mètres, j’ai vraiment tout donné.

A bout de souffle, je m’écroule sur une chaise. Je suis dix-neuvième. Et vraiment content de cette fin de course.

En buvant un vin chaud qui m’enveloppe dans une douce torpeur, je me prends à rêver d’être plus rapide, plus endurant, plus déterminé. Finalement, c’est peut-être bien de participer de temps en temps à une compétition si c’est pour rentrer chez soi motivé à faire mieux la prochaine fois?