Ne laissez pas vos baskets s’encrasser

Tous les coureurs connaissent des périodes où la motivation est moins grande. D’autres priorités prennent alors le dessus, qu’elles soient familiales ou professionnelles. Le monologue intérieur constant entre le moi aventureux de chacun et son pendant rangé tourne généralement au désavantage du premier, qui s’incline face à la raison. Si demain je dois me lever à 6 h pour aller travailler, est-ce que je peux vraiment m’en vouloir de ne pas avancer la sonnerie fatidique d’une heure trente ou de deux heures pour aller faire un long footing dans la nuit?

Plusieurs mois ont passé ainsi et je n’ai pas réussi à reprendre une routine d’entraînement continue. Concentré sur d’autres objectifs, j’ai laissé mes baskets dans l’armoire durant presque tout l’hiver. J’ai bien sûr fait plusieurs sorties, en montagne comme en plaine, avec une participation au dernier Marathon de Genève décidée à la dernière minute, mais globalement tout cela était plutôt décousu. Une tension persistante dans le muscle antérieur de la cuisse n’a pas arrangé les choses, il faut le dire.

La météo du weekend dernier, qu’on peut qualifier de catastrophique, m’a paradoxalement donné très envie d’aller courir au Salève. Certain d’avoir les sentiers pour moi, j’y suis monté en fin de journée le lundi de Pentecôte. Avec le murmure de la pluie comme bande-son, les cinq kilomètres de plat qui me séparent du village de Veyrier ont passé sans que je m’en aperçoive. L’air était humide, chaud, presque tropical. J’ai attaqué le début de la montée en douceur mais avec détermination, et moins d’une heure après être parti de chez moi, j’étais en haut du Petit Salève.

La dernière portion de la montée est raide et se fait en sous-bois. Dans le jour finissant, la brume paraissait encore plus blanche, absorbant quasi tout le paysage avec application. Enveloppé dans ce cocon, j’ai refait le chemin inverse en descente. Tout à coup, dans un amas de feuilles sur le côté du sentier, une tache noire et jaune vif a attiré mon attention. J’ai tout de suite su que c’était la salamandre que je croise régulièrement quand les conditions sont pluvieuses.

Je me suis arrêté pour l’admirer. Elle me semblait en forme. Un peu pataude, elle a quand même dû faire plusieurs tentatives pour venir à bout de la pente qu’elle s’acharnait à gravir. Après l’avoir observée sous toutes les coutures, je suis reparti, déjà comblé par cette sortie que j’ai savouré jusqu’au dernier kilomètre. Arrivé chez moi, j’ai éprouvé comme à chaque fois cette merveilleuse sensation combinée de bien-être physique et de délassement mental. En buvant une bière bien fraîche, je me suis promis que cette fois, je n’allais pas attendre deux semaines avant la prochaine sortie.

 

Alexander Zelenka

La nuit, Alexander Zelenka enfile ses baskets et allume sa lampe frontale pour voir autrement les montagnes suisses ou plus lointaines. L'obscurité amène le coureur dans un univers onirique où le paysage est transformé, propice aux plus belles aventures. Le jour, Alexander Zelenka est rédacteur en chef du magazine Terre&Nature.