Quand coureur rime avec cueilleur

Au moment où j’ai aperçu le premier, je me suis vraiment demandé si ce n’était pas une hallucination. Un bolet ici, sur les hauts du Salève, fin mai?

Je me suis accroupi, transpirant, le regard légèrement brouillé par l’effort, pour le toucher. C’était un de ces spécimens qu’on rêve tous de cueillir un jour: magnifique chapeau brun foncé, pied rebondi, dur comme du béton.

J’ai balayé l’herbe du regard… un deuxième! Une réplique du premier en miniature, pareil aux champignons en massepain qu’on voit dans les vitrines des chocolatiers. J’ai tourné la tête: un troisième, puis un quatrième. En moins d’une minute, j’en avais trouvé six.

J’ai transformé mon t-shirt en baluchon, enfilé avec précaution les bolets dedans et au galop direction la maison. Le sentier était boueux, les pierres glissantes, et j’ai plusieurs fois craint de m’étaler avec mon précieux chargement mais je suis finalement arrivé en un morceau – et les champignons aussi – au pied du Salève.

C’est votre droit de ne pas me croire si je vous dis que juste avant le parking où les randonneurs garent leurs voitures j’ai dû faire un bond d’antilope pour esquiver une couleuvre que j’ai vu un dixième de seconde avant de lui marcher dessus. Deux cent mètres plus loin, dans une zone villas, c’est un lapin qui a sauté hors d’une haie de tuyas juste devant moi, un garçon à ses trousses…

A ce point, je peux bien vous raconter encore ceci: cinq minutes plus tard, en passant devant une station service, j’ai vu briller deux pièces de deux euros par terre, juste à côté du trottoir. C’était vraiment trop. J’avais l’impression d’être François d’Assise, doublé du type qui pourrait bien gagner 100 millions au loto.

Je suis rentré en courant aussi vite que je pouvais, tenant à bout de bras le t-shirt dissimulant tous mes trésors. Avant même de prendre une douche, j’ai jeté une noix de beurre dans une poële et fait revenir quelques secondes à feu vif deux bolets coupés en lamelles d’un demi-centimètre. Ce fut bien sûr délicieux. Cette cueillette est un souvenir que je ne suis pas prêt d’oublier. Quelle chance! Peut-être que je devrais vraiment aller jouer une grille?

Alexander Zelenka

La nuit, Alexander Zelenka enfile ses baskets et allume sa lampe frontale pour voir autrement les montagnes suisses ou plus lointaines. L'obscurité amène le coureur dans un univers onirique où le paysage est transformé, propice aux plus belles aventures. Le jour, Alexander Zelenka est rédacteur en chef du magazine Terre&Nature.

2 réponses à “Quand coureur rime avec cueilleur

  1. Je lis volontiers et avec plaisir vos blogs.
    Ce soir aussi.
    Mais là, la cueillette des bolets, tintin.
    On est en fin (ou presque) de la saison des morilles et M. Alexander trouve des bolets !
    Je veux bien que le monde et la nature soient de plus en plus à l’envers mais des bolets, fin mai, au Salève ! Fake new ! Vous nous autorisez d’ailleurs à ne pas vous croire. Même si cette autorisation est liée à la couleuvre. Mais là je vous crois parce que l’ai vécu.
    Bonnes futures cueillettes ! Et dussiez-vous un jour ne pas avoir assez de place dans votre Tshirt, voire votre short, pour entasser les bolets saléviens, vous pourrez toujours m’appeler à la rescousse !
    Meilleurs messages

    1. Bonjour, merci pour votre sympathique message. Je vous assure que le fait est véridique. Ces bolets ont bien existé, c’est précisément sous le sommet du Petit Salève, dans une zone herbeuse dégagée, que je les ai vus. Je respecte trop le lecteur pour lui raconter des balivernes, vous pouvez me faire confiance. Meilleures salutations, Alexander

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