Un p’tit col en rêve pour dire au revoir à l’hiver

C’est le printemps. Enfin.

Les températures sont plus douces, les jours s’allongent, l’air sent autre chose que le froid. Bientôt, il y aura des fleurs et des insectes à la place de la neige même sur les plus hauts pâturages.

Cette nuit, avant que le réveil ne me tire de mon sommeil, j’ai rêvé de la sortie la plus épique de cet hiver. Il serait plus juste de dire que c’était la pire de toutes, et de loin.

En plein trip “Un p’tit col pour la route”, Marco (il faut que je fasse son portrait ces prochains jours, histoire de faire enfin les présentations comme il faut) et moi avons mis le cap sur les Voirons, pour monter en courant le col de Saxel.

Un soir après le travail, on s’est donc mis en route vers ce massif à l’est du canton de Genève, connu pour son monastère Notre-Dame de la Gloire-Dieu, où sont accueillies des jeunes sœurs pour leurs premières années de vie monastique.

De la foi, on en avait nous aussi à revendre, au moment d’attaquer le début de la montée sous une de ces pluies battantes qui ne vous laissent aucune chance. Sans parler des bourrasques de vent (on était, je crois, dans la queue de comète de la tempête Evi)!

C’est simple, au bout de la première ligne droite, on était trempés. Jusqu’à l’os. Et le gore-tex, direz-vous? Eh bien oui, c’est une matière qui protège plutôt bien de la pluie. Mais pour que ça marche, il ne faut pas laisser la veste imperméable à la maison.

Seuls, on aurait probablement jeté l’éponge. Mais là, mutuellement encouragés par quelques plaisanteries stupides sur ce temps magnifique, on a surmonté l’absurdité de la situation et continué d’enchaîner les lacets, virage après virage.

A mi-parcours, nous avons rencontré sur la route une neige à la texture de soupe, qui a achevé de tremper nos pieds. Pour qu’ils le soient davantage, il aurait fallu sauter dans l’eau.

En hiver, quand on a les pieds, la tête et les mains mouillés, on a vite froid. Ajoutez à cela une bise décapante et une deuxième tournée d’averses de pluie mêlées de neige, et vous avez réuni les conditions pour tomber rapidement en hypothermie.

Aujourd’hui, on en rigole, mais sur le moment, c’était vraiment limite. On s’est encore une fois posé la sempiternelle question “On continue ou pas?”, mais comme il ne restait plus que deux kilomètres sur les huit de la montée, on a serré les dents et accéléré la cadence.

En haut, personne pour nous tendre une tasse de thé, évidemment. Le col de Saxel est à 943 mètres, mais on se serait crus sur l’Everest.

On a tenté de faire une photo-souvenir avant de filer. Pour changer, le compact n’a même pas daigné s’allumer. Le smartphone était mieux protégé du froid, et a bien voulu faire deux clichés flous. Craignant vraiment pour mes doigts, je n’ai pas insisté, j’ai remis mes gants mouillés et on est repartis ventre à terre.

On a été le plus vite possible, mais dans les premières centaines de mètres, on commençait presque à se demander si le froid n’allait pas avoir raison de nous. Petit à petit mais pas assez vite, les lumières de Bons-en-Chablais ont fini par se rapprocher.

Arrivés dans le village, on a été envahis par un sentiment de jubilation vraiment intense, de ceux qu’on ne ressent pas tous les jours. On est repartis vers Genève le sourire jusqu’aux oreilles et le chauffage à fond dans la voiture. Pour avoir à nouveau si froid, il faudra aller taquiner en courant les sommets, pour le moment encore bien enneigés.

Mais patience. Tout vient à point à qui sait attendre!

Alexander Zelenka

La nuit, Alexander Zelenka enfile ses baskets et allume sa lampe frontale pour voir autrement les montagnes suisses ou plus lointaines. L'obscurité amène le coureur dans un univers onirique où le paysage est transformé, propice aux plus belles aventures. Le jour, Alexander Zelenka est rédacteur en chef du magazine Terre&Nature.