Un p’tit col en Sibérie

“Avis de froid polaire sur la Suisse!”

C’est excité comme un enfant avant Noël que j’ai accueilli les derniers bulletins météo. Des températures sibériennes? Du jamais vu depuis la vague de froid de 2012, qui avait recouvert de glace les voitures, les arbres et les bords de lacs ?

Chic! Il n’en fallait pas plus pour me décider à entreprendre, dimanche soir, une petite expédition nocturne du côté des Glières avec mon fidèle acolyte Marco.

Situé à une cinquantaine de kilomètres de Genève, ce plateau montagneux du massif des Bornes est associé à l’histoire de la résistance française, qui a vu un demi millier de maquisards tenir couragement tête à la milice et à l’armée allemandes, au printemps 1944.

C’est resté un lieu de mémoire, mais aussi un site de loisirs prisé, qui accueille l’hiver venu des promeneurs et des fondeurs de toute la région.

Si plusieurs panneaux résument différents faits héroïques survenus à l’époque autour du village de Thorens-Glières – d’où on accède au Plateau des Glières via le col du même nom -, nous n’avons pas pris le temps de les lire pour cette fois.

A peine sortis de la voiture, on a été littéralement happés par le froid. Un froid enveloppant, mordant, fantastique… bref, total!

Sans traîner, on a attaqué les 10 kilomètres de montée menant au col dans le silence et l’obscurité. Au-dessus de nous, un ciel étoilé malgré le passage de quelques bancs de brume. Et à notre gauche, semblant presque vivante, la falaise du Pas du Roc, gardien de pierre massif et immobile.

Aucune voiture n’est venu perturber ce moment de grâce. Dans la forêt, le faisceau de nos frontales faisait scintiller les cristaux de givre comme des diamants. Des ruisselets gelés et des stalactites accrochés aux falaises achevaient de donner à ce décor irréel une touche de conte de fée.

Une heure dix plus tard, nous avons débouché sur le plateau dégagé conduisant au col, signalé par un panneau à demi mangé par la neige. Le vent s’est levé. Des nuées de brouillard sont descendues sur nous, légères et gracieuses. On a essayé de faire des photos mais il faisait trop froid. Même les barbes et les sourcils avaient commencé à geler!

Le compact s’est éteint. Le smartphone a été plus coopératif mais trente secondes plus tard, ce sont les doigts qui se sont mis en grève.

Les poings recroquevillés au fond des gants pour récupérer un peu de chaleur, on est repartis au pas de course, presque haletants à cause du froid. Il devait faire – 15 degrés là haut.

Dans la descente, nous n’avons pas traîné non plus. Monter puis descendre un col en courant est un peu comme détricoter une pelote de laine. Cela se fait presque machinalement, sans avoir besoin de réfléchir.

On a retrouvé la voiture, échouée en bordure de route comme un navire d’expédition polaire. On s’est engouffrés dedans avec reconnaissance, enfin au chaud après ces vingt kilomètres dehors.

Mercredi et jeudi, des températures encore plus glaciales sont annoncées. Avec un peu de chance, on pourra encore récidiver avant la fin de ce bref mais exceptionnel épisode de froid…

Alexander Zelenka

La nuit, Alexander Zelenka enfile ses baskets et allume sa lampe frontale pour voir autrement les montagnes suisses ou plus lointaines. L'obscurité amène le coureur dans un univers onirique où le paysage est transformé, propice aux plus belles aventures. Le jour, Alexander Zelenka est rédacteur en chef du magazine Terre&Nature.