Les asperges de la colère

Février : ses journées qui se rallongent paisiblement, ses vacances de ski et ses… étals de supermarchés remplis de fraises et d’asperges !

Il est en effet depuis des années usuel de trouver des ces fruits et légumes printaniers en vente dès le milieu de l’hiver, au mépris de toute saisonnalité. On pourrait de prime abord se réjouir de trouver ces primeurs en vente à une période de l’année où le froid et la grisaille donnent des envies de vitamines et de couleurs aux consommatrices et consommateurs. Les raisons d’éviter à tout prix la vente et l’achat de ces denrées sont pourtant fort nombreuses…

Le bilan carbone tout d’abord : d’après une étude mandatée par le WWF, le bilan carbone d’un kilo d’asperges importé du Pérou en avion au mois de février est quinze fois supérieur à celui d’un kilo des mêmes légumes cultivés en pleine terre en Suisse au mois de mai. Même topo pour les fraises, avec celles cultivées dans les champs suisses dès la fin du printemps qui ont un bilan écologique bien meilleur que celles importées d’Espagne ou d’autres pays d’Europe en camion. Si on s’en tient aux seules émissions de CO2, les fraises importées des pays méditerranéens au début du printemps on un meilleur bilan que celles produites sous serre en Suisse. Morale de l’histoire :  un peu de patience fait du bien au climat…

Les conditions de travail et l’épuisement des ressources ensuite : on a toutes et tous déjà vu ces images hallucinantes de serres couvrant des dizaines de kilomètres carrés dans la région espagnole d’Almeria, donnant l’impression presque poétique d’un paysage enneigé. La réalité est bien moins bucolique, avec des fruits et légumes produits dans des conditions de travail proches de l’esclavage par des clandestin-e-s corvéables à merci. “C’est à ce prix là que vous mangez des fraises en février” aurait pu écrire Voltaire dans “Candide” s’il l’avait écrit au XXIème siècle.
Si on ajoute à cela l’épuisement hydrique et la pollution des sols de régions aux ressources en eau limitées, on obtient un cocktail explosif et fort peu ragoûtant.

La concurrence déloyale vis à vis des producteurs et productrices suisses enfin : En Suisse, la saison des fraises ou des asperges commence au mois de mai, et se prolonge pour ce qui est des petits fruits rouges jusqu’à la fin de l’été. Inonder les étals de supermarchés de ces mêmes denrées cultivées à l’autre bout du monde plusieurs mois avant, c’est faire perdre toute notion de saisonnalité aux consommatrices et consommateurs, et créer une concurrence pour le moins déloyale vis à vis de nos producteurs.
Au moment où les produits suisses arrivent dans les supermarchés, de nombreuses personnes se sont déjà lassées de ce qu’elles ont pu consommer les mois précédents, et tournent déjà leur regard vers les melons, abricots et autres fruits tout aussi importés…

Les grands groupes de distribution jouent de plus en plus – en tout cas dans leur markéting – de la durabilité. Ils proclament leur volonté de soutenir l’agriculture suisse et de réduire l’impact de leurs activités sur le climat. Si leurs propos sont sincères, il est grand temps qu’ils arrêtent d’inonder le marché de ces produits nuisibles pour le climat, l’environnement et les paysan-ne-s d’ici comme d’ailleurs. Nous avons certes toutes et tous une responsabilité en la matière, car nous pouvons boycotter ces produits et privilégier les alternatives locales et de saison. Mais Coop, Migros et les autres supermarchés pourraient s’abstenir de faire des actions sur les myrtilles, les asperges ou les fraises en plein hiver…

Un peu de patience en somme : encore une dizaine de semaines à tenir, et nous pourrons à nouveau nous régaler de bonnes fraises suisses, au bilan environnemental et social réjouissant.

 

Alberto Mocchi

Alberto Mocchi est député vert au Grand Conseil vaudois et Syndic de la commune de Daillens, dans le Gros de Vaud. À travers son blog, il souhaite participer au débat sur les inévitables évolutions de notre société à l'heure de l'urgence écologique.

11 réponses à “Les asperges de la colère

  1. Je recommande à chacun l’auberge de Kerzers (Chiètres) dans le Seeland (canton de Fribourg, district du Lac). C’est une région de cultures maraîchères. On y sert des asperges du village…. Je ne vous dit que ça.

  2. Vous omettez de prendre en considération les familles au revenu limité qui désirent goûter aux asperges sur leur table, à 25 F le kg on peut déjà mettre dans son assiette de la viande suisse en se réjouissant qu’elle est la meilleure du monde (puisque nous ne connaissions que peu celle d’ailleurs). Hormis les asperges, vous pourrez étudier les productions de cardon, goûter à l’aveugle ceux de Genève baignant dans leur jus garanti en provenance du lac Léman, et le cardon français cultivé à deux pas de la frontière, disponible aussi à la Migros. Vous ne parviendrez pas à découvrir lequel des deux produits vaut 30 Fr le kg contre 3,5 fois moins pour l’autre. L’écologie prend soin de la nature, mais n’est pas trop sensible au fait que la main-d’œuvre outre Suisse des entreprises exportatrice a besoin de compter sur son maigre salaire pour vivre. Par solidarité avec ces personnes, je mange les délicieuses asperges de l’étranger, mais soutiens quand même les producteurs de bons œufs suisses grâce à la mayonnaise en accompagnement.

    1. Pensez-vous sincèrement que les personnes travaillants dans les exploitations de fruits et légumes en Espagne, sud de l’Italie, Pérou….. ont un salaire correcte? Malheureusement ils sont en général exploités, ont un salaire de misère et aucune sécurité sociale. En achetant ces produits, vous contribuez à soutenir cette économie mal saine.

  3. Le grand soucis avec le que local, c’est que les pays vivent de l’exportation. Par exemple, les bananes, vous voulez encore plus fragiliser certains pays?

    En conclusion, la radicalité écologique appauvrie des pays, il faut donc faire un compromis.
    Théoriquement vous avez raison, il faut favoriser le local, mais en même temps il ne faut pas diaboliser l’importation qui est source de revenu à l’autre bout du monde.

    1. On est bien d’accord. Je consomme du café, parfois des bananes ou des agrumes, qui sont importés. Mon propos n’est pas de demander une autarcie complète de la Suisse, juste de dénoncer l’importation de denrées qui sont cultivées chez nous ( ce qui n’est pas le cas des bananes ou du café) avec des mois d’avance et dans des conditions inacceptables.

    2. L’importation est source de revenu mais aussi source de destruction et d’esclavagisme à l’autre bout du monde.

  4. On dirait que plus personne ne désire se pencher sérieusement sur la question de l’huile de Palme, depuis que sa culture serait maintenant adaptée pour ne pas perturber l’écosystème. Après le beurre qui avait été déclaré défavorable à la santé, nous trouvions dans les rayons une quantité de déclinaisons de margarines pour deux ou trois beurres de types différents. Puis cela a été l’inverse, on s’était trompé sur les bienfaits de la margarine, et le beurre est revenu avec maintenant un très grand choix, il est de nouveau très demandé, disponible sans problème chez les producteurs suisses, et pendant ce temps la graisse de Palme est employée dans toutes les préparations possibles, inclut la pâte à gâteau où sur le rayon dix versions sont à l’huile de Palme contre deux au beurre… C’est quelque chose qui nous a quasiment été imposé, nous sous sommes habitués, et pour les personnes qui ont peu de temps libre pour cuisiner, ou un budget trop serré, les grandes surfaces les gavent de ce produit permettant d’augmenter leur marge bénéficiaire, ou vendre plus à un prix attractif (M-Budget en particulier : si un article de cette catégorie rencontre trop de succès vis-à-vis de la version standard, il est supprimé, le bilan bénéficiaire étant alors négatif).

    1. Bonjour Dominic, merci. Votre réponse démontre parfaitement que les enseignes nous tournent en bourriques ! L’huile de palme n’a jamais fait partie de mes acquisitions (contrôle systématique avant achats). Perso, j’ai toujours préféré le vrai beurre, très différent d’une contrée à l’autre, la vraie crème des régions que je visite et je viens de découvrir une graisse de riz pas trop toxique pour cuisiner ….. (OraSi). Sinon, préparer soi-même de délicieuses pâtisseries, avec ingrédients sélectionnés, est beaucoup plus amusant que d’acheter des “trucs” à la composition suspecte.
      Hélas, il est devenu très difficile de bien s’alimenter sans systématiquement se faire arnaquer sur la qualité des produits. Quel dommage ! eab

      1. Il y a autre chose que je déplore. Autrefois la Migros ou la Coop proposaient un choix limité d’aliments simples de bonne ou moyenne qualité, puis sont arrivés, dans l’ordre chronologique, les plats préparés, et les aliments coûteux ou exotiques que l’on ne trouvait que chez les traiteurs ou épiceries de luxe, tels que le foie gras ou même le caviar proposé en période de fêtes. Et enfin M-Budget en parallèle à la ligne dorée. À cela s’ajoutent encore le vrai et le faux bio… À l’époque chacun pouvait faire ses choix en se déplaçant d’un magasin à l’autre, selon ses envies et la capacité de son porte-monnaie. À la Migros qui a tout pris pour tout vendre, on en a plein les yeux devant les étiquettes vertes et blanches, dorées ou neutres, on nous informe de ce qui est le meilleur, le normal, l’économique, le véritable ou le favorable à la santé… Est-ce qu’on était en moins bonne santé quand l’épouse et maman préparait les plats avec des aliments de bases en suivant les recettes du fameux livre reçu à ses seize ans ? Du beurre, du sucre, des œufs, du lait, tout ce que j’aimais sans devenir jamais gros, et je ne me privais pas de caramels mous à la crème, de pains de sucre et d’éclairs au chocolat. J’ai connu et aimé dans mon enfance tout cela dans les familles d’amis de mes parents où j’étais régulièrement invité, et plus encore : l’alimentation du futur que ma mère préparait en un clin d’œil dans sa cuisine remplie de machines dernier cri : les premières frites surgelées, steaks et fruits lyophilisés, poudres de protéines à la vanille, ces délices importés des USA déjà en vente à l’Innovation dans les années soixante. J’avais même le sucre coloré et la machine pour me fabriquer des Barbapapa. C’est à vingt ans que je me suis procuré le livre de cuisine de la ménagère modèle afin de faire tout le contraire de ma mère. Je suis resté fidèle à la cuisine de l’ancien temps et me porte aujourd’hui encore très bien…

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