Parmi les sujets soumis au vote populaire le 13 février prochain, il y en a un qui semble particulièrement important en ces temps de fake news et de remise en question perpétuelle des informations dont nous sommes bombardés via un nombre sans cesse croissant de canaux : le train de mesures de soutien à la presse, voté par le Parlement mais attaqué par un référendum.
La numérisation croissante de notre société a eu des effets importants sur beaucoup de secteurs, et les médias en font assurément partie. Les sites internet ont pris le pas sur une partie de la presse papier, sans pour autant que les journaux trouvent un modèle de financement leur permettant de remédier à la baisse des abonnements, des ventes papier, et surtout de la publicité. Les chiffres sont à cet égard extrêmement parlants : au cours des vingt dernières années, les recettes publicitaires dans les médias papier ont diminué d’environ deux tiers, et cette dégringolade s’est accélérée récemment, puisqu’entre 2019 et 2020 ces rentrées ont été réduites de 200 millions de francs, pour un total de 730 millions environ. Parallèlement à cela, la publicité en ligne a explosé,en profitant cependant surtout aux géants du web que sont Google ou Facebook, et seulement très marginalement aux éditeurs exerçant également une activité en ligne.
Cela a eu un effet sur l’offre de médias, et c’est une septantaine de titres qui a mis la clef sous le paillasson dans notre pays ces 20 dernières années, ce qui est considérable. Ce sont avant tout les titres de la presse locale et régionale qui souffrent, et qui ont de la peine à se réinventer dans la frénésie de modernité et de perpétuels changements qui mène nos sociétés au pas de charge.
Or ces titres ont une importance capitale, notamment dans le façonnement de la vie associative et politique des régions rurales de notre pays. Ils effectuent un travail remarquable d’information, de suivi des projets menés par les autorités communales, des manifestations organisées par les sociétés locales, et sont en cela de véritables créateurs de lien social. Un-e habitant-e d’un village de 2000 habitant-e-s pourrait-il avoir accès de manière simple, vulgarisée et commentée aux décisions qui sont prises au Conseil communal, ou par l’exécutif de sa commune ? Les organisateurs d’événements de portée régionale, voire micro-locale ( soirées de sociétés locales, concerts, foires et marchés etc.) arriveraient-ils à les faire connaître au plus grand nombre ? Il est fort probable que non, ce qui est regrettable.
Il semble ainsi normal, voire souhaitable que l’Etat vienne en aide à ce secteur d’activité, comme il le fait pour de très nombreux autres. La main invisible du marché est sans doute très performante lorsqu’il s’agit de faire supplanter des activités non rentables par d’autres qui le sont davantage, en un darwinisme économique redoutablement efficace, elle l’est moins lorsqu’il s’agit de réfléchir aux conséquences sociales de tout cela.
Les 150 millions prévus dans ce paquet d’aides vont concernent profiter surtout aux petits journaux régionaux. On est donc loin des millions tombés dans les poches des magnats zurichois de la presse, dépeints en un élan de schizophrénie par les opposant-e-s. Cet argent servira surtout à augmenter les aides pour la distribution postale des journaux, celle matinale des journaux en abonnement, ainsi qu’à des aides ciblées aux radios et télévisions locales. Pas vraiment le core business de la NZZ, vous en conviendrez.
Pour garantir une information riche, variée et s’intéressant aux petits quant aux grands faits qui sont ceux de notre société, il est indispensable de donner un coup de main financier à ce secteur si particulier et important. Si en plus cela peut se faire avec le budget courant de la Confédération, sans toucher à d’autres dépenses ni au taux d’imposition, on aurait franchement tort de s’en priver…
Ce n’est pas l’argent qui va garantir la qualité de l’information ! Cet argument ne tient pas la route ! Les subventions pourraient juste soutenir un journal en difficultés financières , mais le problème , c’est d’arroser tous les media sans distinction et on sait que la plupart des subventions ne tombent pas où il faudrait !
Seuls les titres indépendants , si ça existe encore, mériteraient du soutient , mais la presse en général s’est très mal organisée à l’avènement d’internet et des réseaux sociaux , elle s’est crue indispensable comme tous ceux qui finissent au cimetière ! Certains se croient malins en se dévoilant sur F…book , ils ne font qu’accélérer leur déchéance …
Je vois encore des journaux imprimant les valeurs boursières, qu’on trouve en temps réel sur internet, comme si les acteurs attendaient ces informations déjà obsolètes au moment d’être imprimées …
Les journalistes croient encore qu’ils fabriquent l’information , mais ils ne font que la transmettre et comme d’un autre côté la technologie permet de la diffuser sans intermédiaire , leur rôle devient plus difficile , leur rôle est plus tourné vers l’analyse de l’information. Encore faudrait-il qu’ils soient formés dans ce sens ! Et demain encore plus qu’aujourd’hui , l’intelligence artificielle pourra vérifier et recouper toutes les sources pour délivrer une information crédible , il ne suffira pas de recopier mille fois le même texte ! Et on a bien constaté pendant cette pandémie que beaucoup de sources étaient suspectes …
Entre diffuser les images de Biden-Poutine traversant les rues de Genève ou comprendre les dessous de cette rencontre qui reste assez secrète , on trouve toutes les spéculations possibles dont les journalistes noircissent leurs titres ! Voir cent ou mille journalistes suivre ce défilé n’ajoute aucune plus value … et par conséquent , les titres ont été regroupés autour de services financiers qui ne regardent que la marge bénéficiaire qu’ils dégagent !
Ce n’est pas à l’Etat d’arrondir leurs fins de mois !!!
Les séances des conseils communaux sont publiques, qui le souhaite peut s’y rendre et obtenir des informations de première main.
La vie associative florissante des petits villages que vous mentionnez n’a pas attendu les journaux (et encore moins qu’on les biberonne d’argent public) pour se faire connaitre et partager. En outre, quand on a roupillé plus d’une génération durant sans réussir à s’adapter, se croyant intouchable, on mérite de disparaître, la clause d’utilité ou d’indispensabilité devenant de facto caduque. Rien ne poussera moins les médias à se réinventer qu’une subvention palliative qui les maintiendrait dans leur modèle actuel, suranné.
Ajoutons enfin que si le contribuable devait être assommé de taxes à chaque fois qu’il s’agit de soutenir des activités prétendument indispensables qui périclitent faute de toucher juste, l’entier de ses revenus y passerait sans plus de résultat. La réponse à la question est donc sans équivoque : non.
Je trouve les deux commentaires précédents pertinent et comme argument supplémentaire pour voter non il y a le fait que ces subventions sont en partie pour le transport des journaux: pourquoi continuer à mettre l’information (et le reste) sur du papier? Plus de 95% de la population a accès à internet, le papier c’est le passé et ceux qui le veulent toujours n’ont qu’à payer un peu plus (comme les factures sur papier).
Je pense qu’un écologiste devrait approuver que l’on arrête de couper des arbres pour en faire des journaux, non?
La presse – mot anachronique puisque les imprimeries ferment les unes après les autres avec l’avènement d’Internet – n’existe comme depuis toujours que dans la mesure où les politiciens ont besoin d’elle pour garder le lien avec leur électorat et les journalistes ont besoin des politiciens pour obtenir leurs informations. Le fameux “quatrième pouvoir” est un mythe. Aux Etats-Unis, paradis (et plus encore enfer) de la presse de masse, on parle d’ailleurs de “Quart Etat (Fourth Estate” et non de quatrième pouvoir; or, à la révolution française, le quart Etat désignait, en écho au tiers Etat”, le prolétariat, soit la classe sociale sans reconnaissance officielle. C’est toujours le cas aujourd’hui. La profession de journaliste n’a aucune reconnaissance à Berne, au même titre que celle de médecin, d’ingénieur, d’enseignant ou d’avocat, par exemple.
Le problème de la presse n’est donc pas lié aux seules ressources financières, mais bien à la formation. Comme le précise le Centre romand de Formation au Journalisme et aux Medias (CFJM), aucune formation n’est requise pour prétendre au titre de journaliste. La seule condition d’admission au CFJM (en vue d’une inscription au Registre Professionnel (RP) ou non) est d’avoir un poste dans un organe de presse. Depuis toujours, le journalisme s’apprend sur le tas.
L’un de mes rédacteurs-en-chef (le journalisme a été mon premier métier) avait pour toute formation son CFC de cuisinier – ce qui ne l’empêchait d’ailleurs pas d’être un excellent professionnel. La cuisine n’est-elle pas l’analogue de la rhétorique au moins depuis Platon, père du journalisme qui affirme dans son “Banquet”, manuel culinaire digne de trois coqs d’or au Gault et Millau, que celui qui ne sait pas découper un poulet selon les règles de l’art n’est pas digne d’être appelé philosophe – a fortiori, journaliste?
Tant que les journalistes ne seront pas au bénéfice d’un titre reconnu, leur métier restera ce qu’il est depuis toujours: réputé le plus instable, juste avant celui de comédien.
“Ecrire pour vivre ou vivre pour écrire, il faut savoir ce qu’on veut”, dit Jean Guénot, journaliste, enseignant, académicien et écrivain.
De mémoire, le 9 février 2014 restera une date déterminante dans ma manière de percevoir les médias et notre société. Une majorité des citoyens suisses exprimaient leur scepticisme face au phénomène de l’immigration de masse. Je n’ai pas souvenir d’une autre occasion où fut affiché un plus grand mépris de la part de l’ensemble de la profession journalistique pour cette décision populaire. Personnellement, j’ai été choqué du traitement de cet épisode par les médias suisses. Ceux-ci se font pourtant les chantres de la démocratie, affirmant que sans eux la démocratie ne serait pas possible – chose que je ne dénie totalement. Mais quand on confond journalisme et morale idéologique, et qu’au passage on dénigre ouvertement et pendant des semaines la majorité des citoyens suisses, il ne faut pas ensuite s’étonner d’être l’objet d’un rejet populaire.
Après l’initiative contre l’immigration de masse, les médias et l’ensemble des journalistes se sont gaussés à l’unisson du rejet de l’Union européenne par le peuple anglais. Là à nouveau, pendant des semaines on a eu droit dans la presse suisse à une surenchère d’éditoriaux rabâchant en boucle la même lecture idéologique et pleine de foi libérale des événements qui jetaient l’opprobre sur les classes populaires britanniques qui avaient osé souhaité quitter une Union européenne à laquelle nous autres Suisses nous n’appartenons même pas. Au vue de la quantité de commentaires et d’articles à ce sujet, je pense que seuls les journalistes ne se sont pas rendus compte du ridicule de leur position unique. Là aussi, le peuple suisse étant majoritairement sceptique face à l’Union européenne, il faudra attendre un retour de bâton lors des votations du 13 février.
Après le Brexit, il y a eu le mandat de Donald Trump pendant lequel j’ai eu une nouvelle fois l’occasion de constater le déni de démocratie et la lecture biaisée idéologiquement du monde de la presse. Je ne suis pas du tout un partisan de Donald Trump, mais je trouve que la presse n’aurait pas pu faire pire en matière de couverture médiatique de son mandat. Au lieu d’analyser le fond de l’affaire, de réfléchir à la situation et d’essayer de comprendre pourquoi le monde occidental en est arrivé là, on a eu droit à quatre ans de mauvaise foi et de dénonciations puritaines à chaque déclaration ou mouvement du président américain. La lecture des événements était la plus part du temps obsessionnelle et sélective. Là aussi, comme le bon peuple avait un petit faible pour le rouquin de New-York car il leur semblait se battre contre l’idée qu’ils se font d’une certaine mondialisation qui n’est jamais remise en cause dans la presse, les classes populaires se sont senties insultées et n’hésiteront pas à l’exprimer dans leurs bulletins de votes le 13 février prochain.
Pour moi, il y a donc clairement une sorte de rupture entre la majorité des citoyens et le monde journalistique qui peine à sortir de son esprit de clocher idéologique. Trop nombreux sont les journalistes qui ont quitté leur rôle d’enquêteur pour endosser celui du curé. La presse éditoriale est devenue une sorte de nouveau clergé au service d’un certain ordre idéologique libérale. Si on ajoute à ce sentiment, l’avènement d’internet que vous avez bien décrit et qui a permis à beaucoup – pour le meilleur et souvent pour le pire – de trouver un espace d’expression et de débat sur des sujets trop souvent absents des médias, il est évident que toute aide aux médias sera rejetée par le peuple suisse, et sans doute, avec quelques bonnes raisons.