Elections italiennes : 5 étoiles à un pas du pouvoir

Deuxième volet sur les élections italiennes du 4 mars prochain, avec cette fois un focus sur celui qui est devenu en quelques années le premier parti du pays : Le Mouvement 5 étoiles. Un parti qui à construit son succès sur une image de “pourfendeur du système” et de paladin de la légalité face à une classe politique corrompue jusqu’à la moelle, mais qui une fois confronté à la gestion du pouvoir illustre bien l’expression italienne “tra il dire ed il fare, c’è in mezzo il mare“*

À la base du Mouvement 5 étoiles, il y a deux hommes, Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio. Le premier est un comique connu depuis les années 1970 pour sa satire politique acérée, au point qu’il avait été éloigné des chaînes de télévision publiques à la fin des années 1980 après une blague nommant explicitement les problèmes de corruption du parti socialiste italien, alors parti majoritaire. Le deuxième était ( il est décédé à 62 ans en avril 2016) un informaticien de génie, qui a aidé Grillo a créer un blog au début des années 2000, le transformant au fil des années et des innovations stylistiques et technologiques en une machine de guerre politique, parmi les sites internet les plus visités au monde.

Fort du succès de son blog, Grillo pense à la fin des années 2000 à se lancer en politique, et organise de nombreuses actions de protestation contre le gouvernement Berlusconi, dont les célèbres “Vaffa'(n’culo) days”, manifestations publiques réunissant à chaque fois plusieurs dizaines de milliers de personnes. En 2009, il se porte avec une théâtralité dont il a le secret candidat au poste de premier secrétaire ( l’équivalent suisse de Président de parti) du Parti Démocrate (PD), première formation de gauche italienne. S’en suit une polémique stérile, et le refus du parti de le compter parmi les candidats officiels. Cela vaudra notamment au marie de Turin et figure historique du PD, Piero Fassino, une phrase peu heureuse et à l’ironie aussi forte qu’involontaire: Il dira en effet non sans un certain mépris ” Si Grillo veut faire de la politique, il n’a qu’à fonder son parti, et on verra combien de votes il recevra“.

Il ne croyait pas si bien dire, puisque c’est ce que Grillo fera le 4 octobre 2009. Le Mouvement 5 étoiles était né. Le parti se construit sur une opposition frontale à la classe politique italienne installée, soit-elle de droite ou de gauche, jugée corrompue, voire criminelle, et déconnectée des problèmes réels des italien-ne-s. Il se veut le porte parole des citoyen-ne-s, et tout particulièrement des lectrices et lecteurs du blog de Grillo. Les décisions se prennent lors de consultations organisées via internet, auxquelles peuvent participer tous les membres. Au programme du parti à ses débuts : écologie, lutte pour le maintien des réseaux de distribution de l’eau en mains publiques, lutte contre la corruption et soutien aux PME et aux commerçants, le tout enduit d’un peu de populisme et de “Y’a ka” typique des forces politiques naissantes.

Les premiers pas du Mouvement sont timides, et les résultats électoraux peinent à convaincre aux quelques scrutins régionaux auxquels il se présente. C’est en 2012 qu’a lieu le vrai décollage, avec l’élection de Federico Pizzarotti à la Mairie de Parme – ville marquée par d’importants problèmes de vol d’argent public par l’administration précédente – ainsi que par un score dépassant les 20% de voix aux élections régionales siciliennes, l’île devenant ainsi un des fiefs électoraux de celles et ceux qu’on appelle les “grillini”.

Aux élections générales de 2013, porté par un impressionnant tour d’Italie de Beppe Grillo,remplissant soir après soir les places publiques des bourgades et petites villes de la province italienne, le Mouvement 5 étoiles devient contre toute attente le premier parti du pays, avec 25% des suffrages.

Refusant toute logique d’alliance avec d’autres forces politiques, il passe cependant dans l’opposition, et se rend célèbre pour son refus de communication avec les médias traditionnels ( les choses ont changé depuis) et ses coups d’éclat, comme l’annonce de la création d’un fonds d’aide à fonds perdus pour les PME, financé par des contributions obligatoires des élu-e-s.

Après les élections générales, ce sera le tour de jolis succès municipaux, avec la conquêtes des mairies de Livourne (fief historique de la gauche), de Turin ou encore de Rome, mais aussi de quelques déconvenues, avec des résultats décevants dans d’autres communes ou lors de scrutins régionaux.

La ligne du parti a surtout quelque peu changé, et si la lutte contre la corruption et les dérives de la classe politique italienne restent les principaux chevaux de bataille, un durcissement au niveau des politiques migratoires s’est fait place dans le programme du parti, comme des thématiques plus étonnantes, comme une opposition plus ou moins frontale aux vaccins obligatoires, la volonté d’instaurer un revenu de base inconditionnel ou un euroscepticisme assumé.

Les expériences de gouvernement local du Mouvement, notamment à Rome, ont peiné à convaincre à ce jour, et s’il est indéniable que Virginia Raggi, la Maire de la capitale italienne, est victime d’attaques extrêmement violentes et  basses de la part de ses adversaires, on ne saurait nier un certain amateurisme de sa part et de celle de ses adjoint-e-s. C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches fait au Mouvement : le manque d’expérience d’élu-e-s n’ayant souvent jamais fait de politique, et se retrouvant sans les outils nécessaires pour faire face à un système complexe et impitoyable.

à dix jours des élections générales du 4 mars, les “5 étoiles” sont crédités de près de 30% des intentions de vote, et malgré les petits scandales qui les éclaboussent ( élus n’ayant pas rendu les indemnités parlementaires comme le veut la charte du Mouvement, propos complotistes de certains candidats etc.) ils font la course en tête, menés par un jeune Luigi di Maio qui a pris le relais d’un Beppe Grillo fatigué, qui s’est retiré des affaires au début de l’année.

Refusant toujours toute logique d’alliance et voulant “nettoyer” la classe politique italienne, il est cependant probable que le Mouvement 5 étoiles n’arrive pas à constituer une majorité parlementaire, et se retrouve à nouveau dans l’opposition. Au risque de lasser cette fois ses électrices et électeurs ?

 

* littéralement “Entre dire et faire il y a au milieu la mer”, que l’on traduirait en français par “il est difficile de passer de la parole aux actes”.

Alberto Mocchi

Alberto Mocchi est député vert au Grand Conseil vaudois et Syndic de la commune de Daillens, dans le Gros de Vaud. À travers son blog, il souhaite participer au débat sur les inévitables évolutions de notre société à l'heure de l'urgence écologique.

7 réponses à “Elections italiennes : 5 étoiles à un pas du pouvoir

  1. Vos articles sur la situation italienne sont très bons.
    Je comprends que 5 étoiles va faire un carton, mais ne pourra pas gouverner. Dans d’autres articles vous aviez prévu que la droite dure gagnerait ces élections. Évidement avec ces “migrations” ce n’est pas étonnant. Mais pouvez-vous faire un pronostic sur la nouvelle majorité? Si 5 étoiles fait 30%, que feront Berlusconi et la Lega? Et comment ces deux, ou plutôt ces trois mouvances “populistes” vont elles s’arranger entre elles? En çe moment cette situation est très confuse. L’Italie a souvent vu des personnages un peu bizarres arriver au pouvoir. Exemple Mussolini. Est-ce que ce di Maio, qui semble un arriviste, ou Salvini de la Lega, qui en est un aussi, ne vont pas essayer de gouverner avec Berlusconi? Qui va tirer les marrons du feu? Je trouve très bizarre que di Maio ne veuille plus sortir de l’Euro. Je ne vois qu’un seul commun dénominateur entre tous ces partis: la volonté populaire de stopper l’invasion migratoire à tout prix. Est-ce que les vainqueurs de l’élection seront capables de le faire? Comment tout cela va-t-il évoluer selon vous?

    1. Merci !
      Alors, tout l’enjeu de ces élections est de savoir si un parti ou une coalition – et le cas échéant lequel -arrivera à franchir la barre des 40%, qui dans le système électoral italien donne une “prime au gagnant” permettant d’avoir la majorité aux Chambres.
      Pour le moment, c’est l’alliance de droite, qui réunit la Lega ( 13-15% des voix d’après les sondages), Forza Italia ( entre 15 et 17%) et Fratelli d’Italia ( 5% environ) qui est en tête des sondages, mais sans parvenir à la majorité. Salvini a fait une alliance avec Berlusconi, mais il est possible, voire probable qu’ils s’entre-déchirent à la fin de la campagne.
      Le Mouvement 5 étoiles est le premier parti en termes d’intentions de vote, mais il a toujours refusé toute logique d’alliance, argumentant que les autres sont “tous pourris”. Il semble donc difficile qu’ils changent d’avis, surtout que cela serait considéré comme une trahison par leur base électorale. Il y a cependant eu des déclarations de M. Di Maio qui ont pu semer un petit peu le doute, lorsqu’il a par exemple dit que “si d’autres partis veulent soutenir le programme du Mouvement, il ne pourra pas les en empêcher”…
      Enfin la gauche semble en bien mauvaise posture, même si elle va faire le plein de voix dans ses fiefs historiques que sont la Toscane et l’Emilie-Romagne. En cumulant les intentions de vote pour le parti démocrate (22%) et d’autres petites formations de gauche, on n’arrive pas à 30%. Et il y a des cassures importantes au sein de la gauche, qui seront l’objet de mon prochain article sur ces élections… 😉
      Bref, deux scénarios semblent se dessiner : soit un gouvernement qu’on appelle “delle larghe intese”, ou des “larges ententes”, avec une coalition entre le Parti Démocrate et Forza Italia, un peu sur le modèle allemand, ou alors un retour aux urnes. Tout le monde crie aujourd’hui qu’aucun accord ne sera possible avec les autres, mais on verra s’ils seront toujours de cet avis une fois les élections passées…

  2. La grande coalition “delle larghe intese” serait une catastrophe car les Italiens ont besoin d’un vrai changement. Une telle coalition enverrait le signal désastreux que le vote ne sert à rien et que l’on ne peut rien attendre de la démocratie. C’est alors que les gens commenceraient à désirer un vrai retour du fascisme.

    Je me demande si le di Maio ne va pas se laisser tenter par une combinazione avec Berlusconi, pour devenir ministre. Je pense que c’est ce qui va se passer. La nature humaine est ainsi faite. L’attrait du pouvoir… Et je ne suis pas sur que l’électorat 5 étoiles sanctionnerait cette politique. A mon avis l’obsession unique des Italiens en ce moment c’est de stopper l’invasion. Le reste ils s’en foutent pas mal. Et de toute façon, d’après le portrait que vous nous faites de lui, c’est un arriviste ce di Maio. Et Salvini aussi. Alors…

    Pouvez-vous m’expliquer pour quelles raisons la Toscane et l’Emilie-Romagne sont les fiefs historiques de la gauche?

    1. Berlusconi a fait plusieurs déclarations très critiques ces dernières semaines vis à vis du Mouvement 5 étoiles, tout en se disant prêt à accueillir d’éventuels transfuges de ce parti ( ce qui a fait grincer des dents ses alliés de la Lega et de Fratelli d’Italia).
      Le Mouvement 5 étoiles sera vraisemblablement le premier parti du pays, c’est donc de ses rangs que devrait sortir un premier ministre d’un éventuel gouvernement de coalition. Berlusconi n’a pas intérêt à cela, et je doute donc qu’une alliance puisse se forger, ce d’autant plus qu’il y aurait probablement une scission au sein du M5 étoiles, avec le départ de ceux qu’on appelle les “orthodoxes”.

      Le scénario le plus plausible en cas d’absence d’un parti ou d’une coalition majoritaire, est la reconduite d’un gouvernement “des larges ententes”, avec une alliance inédite “PD” et “Forza Italia”. Mais cela est très hypothétique, et brouillerait les cartes au niveau national, car la Lega et Fratelli d’Italia feraient payer cela à Berlusconi, notamment au Nord, ou la Lega est plus forte électoralement que Forza Italia.

      Concernant l’ancrage à gauche de l’Emilie Romagne et de la Toscane, il faut aller chercher dans le développement d’un puissant mouvement d’ouvriers agricoles au XIXème siècle, qui surtout dans les grandes exploitations agricoles d’Emilie ont mené des luttes acharnées pour leurs droits, avec pas mal de succès à la clef. On peut ajouter à cela un certain anticléricalisme ( notamment en Toscane, région qui a vu naître le parti communiste italien, fondé en 1921 à Livourne) et l’engagement de très nombreux jeunes de ces deux régions dans la résistance contre le nazi-fascime dès 1943, qui a “marqué à gauche” une génération.

      1. Il me semble que si Berlusconi et sa Forza Italia s’allient avec le PD, ce serait le mariage de la carpe et du lapin. Ça ne peut pas marcher. Mais c’est peut-être ce qu’espère l’establishment et ça pourrait expliquer pourquoi Berlusconi a été reçu à Bruxelles avec les honneurs, comme l’homme qui pouvait “sauver l’Italie du populisme”, ce qui est quand même un comble.

        L’Italie va être ingouvernable, et s’enfoncer de plus en plus.

        1. Ils ont pourtant déjà collaboré, certes de manière limitée dans le temps et sectorielle, dans le cadre de ce qu’on appelle le “Pacte du Nazzareno” ( référence à Corso Nazzareno, la rue dans laquelle se trouve le siège du PD à Rome), sorte d’accord passé entre Renzi et Berlusconi en 2014 pour mener ensemble certaines réformes institutionnelles. On pourrait donc imaginer un nouvel accord de ce type, portant sur des points précis des deux programmes ( baisse de la fiscalité des ménages, réformes institutionnelles), puis un retour au vote. Mais c’est de la science fiction à ce stade… 😉

  3. Certains crient à l’euroscepticisme, à la sortie de l’euro, à la crise de l’Europe,à la peur…..etc.Ils sont simplement hors sujet et comprennent bien peu de choses aux réalités économiques et aux aspirations populaires.Tous les peuples européens sont attachés à l’Europe.En revanche un nombre grandissant de peuples pensent avec raison que les politiques néolibérales sont totalement inefficaces économiquement et très injustes socialement.Que faire ?Tourner le dos à des politiques austéritaires et mortifères qui ont fait la preuve de leur ineffiscience.Le cas portugais est intéressant également :les résultats économiques sont bons dans l’ensemble.Wait and see.Une chose est certaine :la camisole austéritaire craque de toutes parts avec son cortège de désolations sociales,d’injustices criantes et de responsables publics condamnés à dégager ou à prendre le chemin de la prison.La misère et l’injustice ont atteint un niveau juste insupportable en Europe. Bonne chance à nos amis italiens !

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