Elections italiennes : La Ligue perd le Nord

Le 4 mars prochain, alors qu’en Suisse nous croiserons les doigts en attendant les résultats scellant le sort de la SSR, de l’autre côté des Alpes 51 millions d’électrices et d’électeurs seront appelé-e-s aux urnes pour les élections générales.

À trois semaines d’un scrutin aux nombreuses inconnues j’inaugure une série d’articles traitant des partis en lice, des principaux enjeux et d’anecdotes plus ou moins croustillantes sur une campagne pour le moins animée.

On commence avec une analyse du spectaculaire processus de transformation qu’a vécu ces dernières années la Ligue jadis “Du Nord”, parti xénophobe et eurosceptique crédité de près de 15% des intentions de vote.

La Ligue du Nord a été fondée en 1989 par la fusion de deux partis régionalistes : le “Ligue lombarde” et la “Ligue de Vénétie”, et s’est structurée dès le départ sur une forte critique de la classe politique italienne, une volonté de sécession des régions du Nord de l’Italie et la personnalité de son leader charismatique, Umberto Bossi , le tout accompagné d’un discours outrancier et xénophobe à l’encontre des habitant-e-s du Sud du pays et des premiers immigrés d’Albanie ou d’Afrique du Nord.

Les succès électoraux ont été très vite au rendez-vous, puisqu’aux élections générales de 1992 le parti obtenait 8,6% des voix à l’échelle nationale, alors qu’il ne présentait des listes que dans les régions du Nord, où il devenait le deuxième parti en Lombardie et en Vénétie.

La parti a traversé la dernière décennie du XXème siècle et la première du XXIème avec des hauts et des bas, d’éclatantes victoires comme l’élection de Marco Formentini en tant que Maire de Milan en 1993, ou la participation à plusieurs gouvernements, mais aussi de débâcles et défaites plus ou moins cinglantes.

Bossi est resté aux commandes du parti durant toutes ces années, devenant ministre de plusieurs gouvernements successifs de Silvio Berlusconi et poussant son parti vers une stratégie dite “di lotta e di governo”, de lutte et de gouvernement, synthèse de la capacité qu’ont certains populistes quand ils arrivent au pouvoir à continuer à cracher sur l’élite politique tout en en faisant partie.

Les choses n’allaient donc pas si mal pour la Ligue jusqu’à 2012, quand le parti est secoué par un scandale sans précédents. Bossi et certains de ses proches collaborateurs sont accusés d’avoir détourné des centaines de milliers d’euros  à des fins personnelles, notamment pour acheter voitures, articles de luxe ou… un diplôme d’une fausse université albanaise pour le cadet de la famille : Renzo Bossi.

Suite à ce tremblement de terre, Umberto Bossi a démissionné de sa charge de premier secrétaire du parti, et a été remplacé fin 2013 par Matteo Salvini, jeune chef de groupe de la Ligue au Conseil communal de Milan, eurodéputé et tenant de l’aile dure du parti.

                                   Salvini en Une de l’hebdomadaire “Oggi” du 4 décembre 2014

En moins de quatre ans Salvini a transformé la Ligue d’un parti indépendantiste à un parti nationaliste, renforçant le discours xénophobe et anti-système qui était déjà le sien et gommant toute hostilité vis-à-vis des italiens du Sud.

L’ennemi pour la Ligue ce ne sont plus les méridionaux ou la bureaucratie romaine, mais les immigrés et l’Union Européenne.

Avec une admiration affichée pour Marine Le Pen et un certain goût pour la peopolisation ( voir ci-dessus)  Salvini a réussi l’exploit de garder sa base électorale lombarde, vénitienne ou piémontaise tout en élargissant son électorat aux régions du Centre et du Sud de la Péninsule, jusque là plutôt réfractaires à voter pour un parti qui les insultait et méprisait ouvertement.

 

Des sections de la Ligue ont été créées dans toutes les régions d’Italie, et des listes présentées sous la dénomination “Noi con Salvini” (nous avec Salvini) aux élections régionales en Sardeigne et dans les Pouilles.

Le thème de la lutte contre l’immigration a été développé à l’extrême, au point de s’allier à des mouvements ouvertement fascistes comme Casa Pound pour organiser des manifestations et marches anti-étrangers.

La Ligue est ainsi devenue une sorte de copie italienne du Front National, et le dernier pas de cette spectaculaire et inquiétante transformation a été franchi à la fin du mois d’octobre 2017, avec l’abandon du terme “Nord” dans le nom officiel du parti.

Alliée avec Forza Italia, le parti de Berlusconi, et les néo-fascistes de Fratelli d’Italia, la Ligue pourrait faire partie des grands gagnants des élections du 4 mars.

Si le succès n’est pas au rendez-vous il se peut cependant que celles et ceux qui ont mal digéré le changement de cap mené par Salvini ( Bossi en tête, lui qui ne perd pas une occasion pour dire tout le mal qu’il pense de son successeur dès qu’un média lui donne la parole) réclament sa tête et le retour à la Ligue du Nord d’antan.

 

P.S. Pour les italophones, cette courte vidéo des humoristes du “Terzo segreto di satira”, intitulée “good bye Bossi”, résume à merveille les changements de la Ligue du Nord et le désarroi de certains de ses militants historiques. 

 

Alberto Mocchi

Alberto Mocchi est député vert au Grand Conseil vaudois et Syndic de la commune de Daillens, dans le Gros de Vaud. À travers son blog, il souhaite participer au débat sur les inévitables évolutions de notre société à l'heure de l'urgence écologique.

3 réponses à “Elections italiennes : La Ligue perd le Nord

  1. Le clip vidéo est très drôle.
    Il est bien évident que confrontés à un véritable changement de continent, avec l’Afrique qui se déverse chez eux, les leghistes sont tentés de se transformer en parti simplement anti immigration et de s’allier à tous les autres groupes anti immigration de la péninsule. D’ailleurs ainsi, à mon avis, ils pourraient obtenir une majorité aux prochaines élections avec Berlusconi, et gouverner l’Italie.
    Puisque vous êtes un expert, pouvez vous nous expliquer ce que devient le mouvement proprement sécessionniste du Nord? Sans aucun doute il existe encore.
    Ce serait bien si la Lombardie, le Piémont, la Vénétie, etc., faisaient sécession, sortaient de cette stupide Union Européenne, et demandaient leur rattachement à la Suisse.
    Vous ne trouvez pas?
    Buona Padania!

    1. Sans entrer dans le débat quant à la ligne politique de la Ligue, dont je ne partage pas vraiment les idées, je peux répondre comme suit :

      – Un retour de la droite au pouvoir en Italie est probable, même si les derniers sondages donnent la coalition de droite certes en tête, mais sans le nombre de sièges nécessaire pour avoir une majorité parlementaire.

      – Il y a encore des sécessionistes au sein même de la Lega, et Umberto Bossi lui-même, qui a toujours une certaine influence dans le parti et ne l’a pas quitté, en est le principal représentant. C’est là toute la force de Salvini, avoir ouvert le parti à de nouveaux électeurs sans perdre les anciens.
      Il y a d’autres petits partis autonomistes ou secessionistes, surtout en Vénétie ( “Liga veneta repubblica” et d’autres), issus souvent de dissensions au sein de la Lega des années sécessionistes, mais sans réel poids électoral.
      Des mouvements indépendentistes existent ailleurs en Italie, en Sardeigne, au Sud Tyrol ou en Sicile, mais à part le cas de l’ancienne région autrichienne, ils n’ont là non plus pas de grand pouvoir politique.

      – Pour ma part, je suis plutôt fédéraliste, et souhaiterais voir un peu plus de pouvoir donné à toutes les régions italiennes, du Nord comme du Sud, mais sans une scission qui ne profiterait à personne…

  2. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les leaders de la Ligue et du parti 5 étoiles manquent de crédibilité. Oui mais le moins que l’on puisse dire, c’est que les leaders du centre gauche et du centre droit manquent de crédibilité; Les premiers parce que leur itinéraire n’inspire pas confiance. Les seconds parce que leur itinéraire n’inspire plus confiance.
    Les gens sérieux, modérés, conformistes soutiennent les seconds. Les gens sérieux, modérés, conformistes ont fait la preuve de leur impuissance et de leur duplicité.

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