Le prix du sac

 

 

Depuis le 1er janvier, l’Italie est en émoi, et dans les cafés, à la télé ou sur les réseaux sociaux on ne parle que d’une chose ou presque. Il ne s’agit ni de l’éclatante victoire de l’AC Milan sur l’Inter en quarts de finale de coupe quelques jours auparavant, ni d’un énième scandale sexuel impliquant Silvio Berlusconi, mais de… sacs compostables.

Une nouvelle loi entrée en vigueur en ce début d’année oblige en effet les commerces de toutes tailles à ne distribuer plus que des sacs en matières biodégradables pour les fruits et légumes. Pas de quoi fouetter un chat me direz-vous, mais c’est que le psychodrame national se joue ailleurs : car ce même texte précise également que ces sacs doivent être payants.

Il n’en a pas fallu plus pour mettre le feu aux poudres, et voir des milliers de personnes se plaindre de façon plus ou moins marquée sur les réseaux sociaux, et les médias donner un très large écho au mécontentement populaire.

Cela, même si le prix moyen de ces sachets se situe entre 2 et 5 centimes d’euro, et que la principale association environnementale italienne, Legambiente, a calculé que le surcout par ménage ne devrait pas dépasser les 5 euros par année.

On a immédiatement crié à la taxe cachée et au « complot gouvernemental », le tout sur fond de campagne électorale ( on vote le 4 mars pour renouveler le parlement et donc le gouvernement) et de fake news. On a ainsi pu lire sur facebook que chaque famille italienne devrait payer plusieurs centaines d’euros, ou que 80% (ou l’entier, selon le degré d’imagination des auteurs)  des sacs biodégradables fabriqués en Italie provenaient d’une entreprise propriété d’une proche de Matteo Renzi. En réalité, il s’agit de la directrice d’une des 130 entreprises italiennes qui produisent ce type de sachets, et qui a pour tout lien de proximité avec Renzi celui d’avoir participé à une rencontre organisée par l’aile réformiste du Parti Démocrate italien en 2011. Mais pas de quoi arrêter les partis d’opposition, qui ont participé avec un zèle déconcertant à la diffusion de ces informations erronées.

Ce qui est encore plus déconcertant, c’est que cette grogne populaire[1] se construit sur les mauvaises raisons. Il est indéniable que ce projet de loi est mal fichu, mais pas parce qu’il demande aux consommateurs d’appliquer le principe du pollueur payeur.

Non, le problème est que derrière une bonne intention environnementale, celle de limiter le nombre de sacs plastique qui finissent chaque année dans la Méditerranée et plus généralement de diminuer le volume de déchets produits, on a construit une usine à gaz qui ne résout qu’une petite partie de l’équation.

La loi interdit en effet aux consommatrices et consommateurs de réutiliser les sacs, ou d’apporter des récipients depuis chez eux, sous prétexte de « mesures visant à garantir l’hygiène ».  Après quatre jours de polémiques le ministre de la santé publique a fini par indiquer que ses services produiraient prochainement une directive autorisant à apporter des sachets depuis chez soi, mais uniquement neufs.

Si le but était de réduire la quantité de déchets, c’est râpé.

Il faut ajouter à cela des politiques très restrictives de la part de nombreux supermarchés, qui refusent que l’on pèse sans sachet certains fruits et légumes, ou que l’on mette des fruits et légumes différents dans un même sachet.

Bref, on se fixe un objectif, mais on ne se donne pas les moyens de l’atteindre, mettant des bâtons dans les roues de quiconque souhaiterait changer de comportement et réduire le nombre de déchets produits.

Le meilleur moyen pour éviter que des tonnes de sacs et d’autres déchets plastiques ne s’accumulent dans les fonds marins, aux bords des routes ou dans les décharges, c’est de donner la possibilité aux consommatrices et consommateurs de ne pas en avoir besoin, et d’utiliser les produits sans alternative « non jetable » le plus longtemps possible.

La nouvelle loi italienne en est malheureusement bien loin, et on en vient à espérer qu’un peu de désobéissance civile finira par faire ouvrir les yeux aux autorités, et à corriger le tir d’un texte pétri de bonnes intentions.

Pour conclure, nous aurions tort de regarder avec trop de condescendance cet exemple transalpin, car la situation n’est pas vraiment meilleure chez nous.

Le ou la client-e désirant faire ses courses en réduisant le nombre de déchets produits fait certes face à moins d’embuches qu’en Italie, mais chez nous le Parlement a refusé en septembre 2016 d’interdire les sacs en plastique, en contre-tendance totale avec ce qui se passe un peu partout dans le Monde. De nombreux fruits et légumes, et tout particulièrement les bio, sont par ailleurs très souvent déjà préemballés dans des quantités aussi fantaisistes qu’inutiles de plastique, au point qu’une pétition a été lancée pour tenter d’y remédier. 

Ne reste dès lors aux consommateurs qu’ à avoir le courage d’aller dans la direction boudée par une majorité politique restée figée dans un autre temps.

 

 

 

[1] À relativiser cela dit, puisqu’un sondage de l’association italienne des consommateurs, CODACONS, indique que 65% des sondés sont favorables à cette mesure.

Alberto Mocchi

Alberto Mocchi est député vert au Grand Conseil vaudois et Syndic de la commune de Daillens, dans le Gros de Vaud. À travers son blog, il souhaite participer au débat sur les inévitables évolutions de notre société à l'heure de l'urgence écologique.