Je me permets de rebondir un peu plus à froid sur la polémique qui s’est développée autour de l’instauration en Ville de Genève d’une nouvelle signalétique comportant des images diversifiées des individu-e-s composant la société dans laquelle nous vivons ; une opération qui aura coûté finalement beaucoup moins cher que ce que certains partis investissent en budget communication pour envoyer leurs champions à l’exécutif de la Ville !
Nous parlons bien ici d’une représentation diversifiée de profils ; des personnages à caractéristiques féminines de corpulences différentes se déplaçant avec une canne, seules ou à deux. Rappelons également que cette action fait partie d’un plan d’action développé sur trois ans et visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans les espaces publics. Ce plan a été validé par une majorité des partis du délibératif de la Ville moins les traditionnels partis sexistes, la sainte trinité du statu quo PLR en tête, MCG et une partie de l’UDC. Ce plan présente une liste d’actions allant de la formation des agent-e-s de la police municipale, à des campagnes de sensibilisation et des outils d’action dans les lieux voués au Sport, ainsi qu’à la Culture et au débit de boissons.
Si on s’intéresse un tout petit peu à la thématique ou si l’on veut bien écouter les expertes dont c’est le sujet de doctorat*, ou vos amies, voisines, collègues…les violences sexistes se déclinent sous la forme, peu subtile, d’un continuum de violences : dans la rue, au travail, à l’école, dans les lieux publics, les transports et au domicile. Ces violences nourrissent une stratégie d’exclusion, une non-légitimation des femmes dans l’espace public et son corollaire un manque de liberté de mouvement. Elle se traduit par des réflexions sur les chemins à emprunter, notamment le soir, des trajectoires à contourner, des changements de trottoir ; une panoplie de stratégie d’évitement de conflits ou de situations qui vont nous affliger de manière plus ou moins forte selon leur degré et selon l’énergie que nous avons à disposition pour les contrer ou les contourner.
*je citerais les travaux de Marylène Lieber, professeure en étude genre à L’UNIGE, sur les violences de genre dans les espaces publics.
Les hommes qui agissent de manière sexiste que ce soit à par l’usage de mots, de sifflements, d’attouchements, de contraintes ou d’agressions physiques et verbales se sentent légitimes de la faire car, de manière consciente ou non, durant des siècles, ils ont pensé, et à juste titre puisque les fondements de la société allaient dans leur sens, qu’ils en avaient le droit. On entend aujourd’hui pléthore d’idées reçues autour du harcèlement sexiste et sexuel « les femmes l’aiment secrètement » c’est faux- les femmes ne l’apprécient guère et si elles ne disent souvent rien, c’est pour ne pas envenimer la situation ou parce que -réflexe de survie- elles les ignorent.
Ces panneaux détrônent cette suprématie du masculin dans l’espace public.
En Ville de Genève, sur la moitié des emplacements dévolus à de la signalétique, ce n’est pas le masculin qui l’emporte, comme dans le langage d’ailleurs, mais la diversité des modèles et des représentations. Ces panneaux changent notre manière collective de penser l’usage de l’espace public et achemine à cet endroit un peu d’égalité.
Je ne peux pas croire en toute honnêteté que les personnes qui critiquent ces panneaux n’aient pas saisi l’enjeu et le message sous-jacent qu’ils contiennent ou alors c’est qu’elles n’en souffrent pas et appartiennent donc à la catégorie des privilégiés qui déambulent partout librement ; ou encore, qu’elles ne désirent pas le voir.
Pourtant la logique même de la pose de signalétique est de délivrer un message « sens interdit », « attention travaux » ces messages simples sont faciles à comprendre ; celui des « panneaux de la discorde » l’est aussi ; il requiert juste de réfléchir un poil plus, de s’extraire de ses propres réalités pour saisir l’enjeu sociétal.
Une consultation rapide du nombre de femmes ayant déjà été agressées sexuellement en Suisse- 1 sur 5- aide à comprendre l’objectif de ces panneaux. Si les femmes sont mieux représentées dans l’espace public, elles deviennent légitimes et le rapport de pouvoir s’estompe. Vous savez cette fameuse liberté d’importuner, de siffler, de déranger.
Mais la véritable question est bien là. Sous prétexte d’argent mal dépensé, d’action qui ne sert à rien et j’en passe, ces personnes là ne souhaitent en réalité pas que cet état de fait change.
En fixant ces panneaux aujourd’hui, nous regardons tomber les masques ; les masques des illustrations du sexisme parmi nos concitoyens et concitoyennes, collègues, politiques.
D’ailleurs si vous êtes un parti conservateur, la meilleure des stratégies est encore d’envoyer une femme, certes convaincue par la bien fondé de vos propos, défendre le bout de gras. Comme cela vous comptez les points et vous pouvez affirmer haut et fort « regardez ces femmes elles n’arrivent pas à se mettre d’accord ». Félicitations vous venez de comprendre que toutes les femmes ne sont pas féministes, d’ailleurs tous les hommes n’harcèlent pas sexuellement les femmes, ça fait du bien aussi de le rappeler, j’y penserai en passant à côté du Monsieur à chapeau au rond-point de Plainpalais.
La semaine prochaine je reviendrai avec les noms des places et des rues, quoi que pour m’épargner du temps et de l’énergie je pourrais copier-coller le précédent texte, la logique, les objectifs recherchés et les cibles sont les mêmes, à celles-ci s’ajoutent toutefois le geste délectable de rendre honneur à des femmes artistes, scientifiques, politiciennes, révolutionnaires.
Ayant déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ce projet que je trouve autant sympa qu’innovant, il est regrettable que chaque projet/thème ne soit plus examiné, en tant que tel, mais d’un strict point de vue de politique partisane.
Il faudrait redonner un peu de pep à la démocratie suisse, sans doute, mais comment?
Merci pour votre commentaire; le plan a été pensé et construit avec un groupe de travail d’une dizaine d’associations actives sur les questions féministes, sociales et éducatives. Le public peut aussi réagir lors des actions dans l’espace public, il y a souvent des carnets, des affiches pour exprimer des idées ou donner des retours sur les actions proposées.