Circular Economy Switzerland : un mouvement pour l’économie de demain

Le mouvement Circular Economy Switzerland (https://www.circular-economy-switzerland.ch) a été lancé le 5 février à Bâle. Son but est de promouvoir l’économie circulaire en Suisse, afin de gérer plus durablement nos ressources. Le défi est de taille, car notre économie fonctionne aujourd’hui de manière très linéaire : on extrait les matières premières, on en fait des produits de masse, le plus souvent conçus pour être vendus à bon marché et remplacés rapidement, puis on les jette. Ce processus génère un gigantesque gaspillage de matières premières et d’énergie, de la pollution et des montagnes de déchets. L’économie circulaire vise au contraire un fonctionnement cyclique : un maximum de matériaux doit être économisé ou revalorisé dans de nouveaux cycles d’utilisation. On cherche d’abord à réduire l’utilisation de ressources, puis à optimiser la durée de vie et d’usage des produits, avant d’envisager enfin le recyclage de leurs composants.

Des petits pas pour l’économie circulaire au niveau fédéral

La Suisse est l’un des plus gros producteurs de déchets par habitant d’Europe, même si nous fûmes des pionniers du recyclage. Il y a donc à faire ! Au niveau politique, une première discussion a eu lieu grâce à l’initiative pour une économie verte, qui voulait inscrire les principes de l’économie circulaire dans la Constitution. Depuis, des progrès ont été faits au niveau de certaines matières premières, comme le phosphore, que l’on peut extraire des eaux usées pour répondre aux besoins de l’agriculture. Le Conseil fédéral a aussi répondu positivement à plusieurs demandes issues du parlement : il prépare une étude sur les incitations fiscales qui pourraient favoriser l’économie circulaire, sur demande de mon collègue Beat Vonlanthen, et a accepté un postulat de ma part pour une stratégie de gestion durable des plastiques. Celle-ci impliquerait évidemment d’adopter une perspective circulaire pour ces matériaux.

Les villes et les cantons innovent

Dans les villes et les cantons, les collectivités publiques vont aussi de l’avant. A Genève, l’Etat organise une coordination entre les entreprises et industries, pour qu’elles bénéficient de services partagés et que les déchets des unes puissent devenir les ressources des autres. La plateforme www.genie.ch leur permet de connaître leurs besoins réciproques. Zurich s’est lancée dans l’«urban mining» et récupère, pour les revaloriser, les métaux restés dans les scories de son usine d’incinération. Ou encore, Yverdon met à disposition des consommateurs et des take-away de la ville des récipients réutilisables, pour éviter le gaspillage et le littering.

L’économie amorce la transition

L’économie ne reste pas inactive. Dans le domaine de la construction, par exemple, des entreprises comme Losinger Marazzi cherchent à concevoir en amont les bâtiments de manière à ménager les ressources et à favoriser la revalorisation des matériaux. Les magasins en vrac fleurissent un peu partout et la grande distribution se met à tester des solutions pour réduire les emballages. Dernier exemple, l’économie de fonctionnalité, qui propose aux consommateurs de payer pour l’usage des biens plutôt que de les posséder, devient un modèle d’affaire de plus en plus apprécié. Il ne s’agit plus seulement de partager des véhicules, mais aussi toutes sortes d’objets de la vie courante, des vêtements aux outils les plus spécialisés.

Un mouvement pour catalyser notre engagement

Il manquait en Suisse une plateforme pour permettre à tous ceux qui s’engagent pour l’économie circulaire d’échanger leurs idées et leurs pratiques. Circular Economy Switzerland répond à cette lacune. Le mouvement, financé par la MAVA et Migros Engagement, réunit des organisations fondatrices comme Impact Hub, PUSH ou sanu durabilitas, avec qui je collabore. Il met en relation les entreprises, les collectivités publiques et les organisations de la société civile. Il leur fournit les données dont elles ont besoin pour avancer, en travaillant avec les milieux de la recherche. Tous ensemble, nous construisons ainsi l’économie responsable, innovante et durable de demain.

Accord institutionnel : participons au projet européen

Lentement mais sûrement, la Suisse se dirige vers une impasse dans le dossier européen. Après cinq ans de négociations, un projet d’accord est désormais sur la table, qui devrait permettre de prolonger la voie bilatérale, au bénéfice jusqu’ici d’un large consensus dans notre pays. Or ce projet ne dispose visiblement que d’un soutien de façade de la part du Conseil fédéral, qui l’a jeté sans conviction en pâture aux partis et aux acteurs économiques. Les premières réactions des syndicats, du PS et de l’UDC font craindre un blocage. Le président de la Confédération lui-même prétend qu’il faudrait renégocier, alors que les européens ont clairement fait savoir que cela n’était pas envisageable.

Un débat constructif doit être mené

Ce projet d’accord n’est évidemment pas idéal. Il mérite un large débat. Cependant, ce débat doit être mené sur des bases constructives et en toute connaissance de cause de la marge de manœuvre qui est la nôtre, des alternatives face auxquelles nous nous trouvons, ainsi que des conséquences des décisions que nous pouvons prendre. En particulier, l’alternative n’existe pas, entre ce projet d’accord et un texte idéal qui nous conviendrait parfaitement, indépendamment de la position des Européens. Notre marge de manœuvre se situe probablement plutôt du côté de mesures nationales, qui devraient permettre de préserver les salaires suisses, dont les montants ne sont pas un luxe, mais répondent à des coûts de la vie plus élevés chez nous qu’ailleurs. Il faut également considérer ce qui adviendrait en cas d’échec de l’accord. La voie bilatérale, qui s’est déjà avérée complexe et délicate à mener jusqu’ici, s’enlisera. Les conséquences pour notre économie, mais aussi pour notre formation et notre recherche, se feront rapidement sentir. Il ne s’agit pas d’une option viable. En l’absence d’accord pour prolonger les bilatérales, c’est à une adhésion à l’EEE ou tout simplement à l’Union européenne qu’il faudra songer.

L’Union européenne est un projet, qui doit être soutenu

Certes, pour de nombreux écologistes, la prudence est de mise face à une Union européenne souvent perçue comme centralisatrice, bureaucratique et peu équitable. Mais l’Union européenne est un projet. Un projet dont les objectifs premiers de paix et de solidarité sont toujours d’actualité, un projet qui offre un cadre démocratique et institutionnel indispensable à la gestion d’une multitude d’enjeux dépassant nos frontières, un projet qui permet de fixer des règles du jeu claires pour les échanges économiques, mais aussi de toute autre nature, entre les pays, un projet qui est en constante évolution. Ce projet doit être soutenu. Et il est dans notre intérêt d’y participer, d’une manière ou d’une autre. L’Europe des régions que nous appelons de nos voeux, plus décentralisée, plus collaborative, plus ouverte sur le monde et plus respectueuse des diversités, naîtra de l’Europe actuelle et non de son rejet. Nous devons prendre nos responsabilités et y contribuer, dans un monde où les mouvements de repli nationalistes et les atteintes à la démocratie sont de plus en plus violents et nombreux. Ne faisons pas le jeu de ceux qui veulent détruire le projet européen et les valeurs démocratiques, libérales et humanistes dont il est porteur !

Défendons une Europe de la durabilité

Contrairement à ce que craignaient ou craignent encore certains écologistes, l’Union européenne peut par ailleurs aussi constituer un moteur de durabilité. Elle est aujourd’hui, au niveau mondial, l’acteur le plus ambitieux en matière de lutte contre le réchauffement climatique, elle légifère pour favoriser des investissements plus durables, elle met sur pied une stratégie pour mieux gérer les matières plastiques, elle interdit des pesticides tueurs d’abeilles, elle affronte l’obsolescence programmée, elle développe des mesures pour promouvoir l’économie circulaire… La Suisse n’est plus une pionnière de la protection de l’environnement. Aujourd’hui, dans ce domaine comme en matière de protection des consommateurs, l’Europe peut être plus visionnaire que la Suisse, même si elle pourrait bien sûr faire mieux encore, aux yeux des Verts.

Je souhaite dès lors qu’en 2019, une discussion constructive et sans tabou, au-delà des peurs et des dogmatismes, soit menée dans notre pays, en faveur d’une Suisse qui participe au projet européen et aux valeurs dont il est porteur, selon des modalités qui lui conviendront. Le repli n’est jamais une solution. Ne l’oublions pas: nous avons besoin de relations fortes et claires avec l’Europe, pour défendre nos propres intérêts.

Mon discours tenu au parlement sur l’entrée en matière de la loi sur le CO2 (devant une salle à moitié vide)

Chers collègues,

La responsabilité qui pèse sur nos épaules aujourd’hui est aussi immense qu’inédite. Ce dont nous allons décider aujourd’hui et dans les jours qui viennent va au-delà de la technicité de cette loi. C’est certes du pourcentage de réduction de CO2 en Suisse ou à l’étranger, des avantages des prescriptions sur les taxes, ou des risques des compensations carbone que nous allons débattre. Mais il en va de bien plus que cela. Aujourd’hui, je suis en pensées avec ma fille de huit ans, et avec tous les enfants de sa génération. Car ce dont nous allons décider, dans le cadre de cette loi, c’est du monde que nous allons leur laisser.

La situation à laquelle nous faisons face est unique dans l’histoire de l’humanité. Les concentrations de CO2 dans l’atmosphère n’ont jamais été aussi élevées depuis 3,5 millions d’années. Les conséquences sont déjà dramatiques à l’échelle planétaire, mais nous sommes aussi touchés en Suisse. Dans notre pays, les températures moyennes ont déjà augmenté d’environ 2 degrés, soit deux fois plus que la moyenne mondiale. Avec des conséquences que plus personne ne peut ignorer : canicules, sécheresses, inondations, glissements de terrains, réduction de l’enneigement. L’impact de ces phénomènes sur notre santé, sur notre environnement et sur notre économie est considérable. Et ce n’est qu’un début.

En 1992, quand a été adoptée la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, de nombreuses solutions que nous connaissons aujourd’hui n’existaient pas ou n’étaient qu’émergentes. La situation a bien changé et les alternatives aux énergies fossiles sont aujourd’hui techniquement abouties et disponibles sur le marché. Les solutions sont là. Il ne s’agit donc pas de nous priver ou de retourner aux temps des cavernes. Il s’agit d’adopter de nouvelles pratiques et de nouvelles technologies, qui sont le fruit de notre incroyable capacité de résilience et d’innovation. Or, il nous reste peu de temps pour agir, une dizaine d’années tout au plus. Notre responsabilité, en tant que décideurs, est dès lors d’adopter des mesures qui soutiendront les particuliers et les entreprises dans cette transition. Nous devons leur donner les moyens de la réaliser assez rapidement, pour que la génération de nos enfants et de nos petits-enfants n’ait pas à subir de plein fouet les conséquences des choix hasardeux des décennies passées. Chers collègues, nous sommes la génération qui va réaliser cette transition, ça se passe ici et maintenant.

Les Suisses sont prêts pour cela. Selon une récente étude Univox, une majorité d’entre eux est disposée à changer ses habitudes pour préserver le climat. L’abandon des énergies fossiles, au profit des énergies renouvelables, est même considéré par 63 % de la population comme une chance pour notre économie. A raison, car on sait depuis le rapport de l’économiste britanique Nicholas Stern, paru en 2006 déjà, que le prix de l’inaction est considérablement plus élevé que celui de la réduction de nos émissions de CO2. Selon un récent rapport de l’ONU, les catastrophes naturelles, dont 77 % sont liées au climat, ont causé pour 2’908 milliards de dollars de pertes économiques entre 1998 et 2017, ce qui correspond à une hausse de 251 % en vingt ans. Est-ce vraiment comme cela que nous voulons dépenser notre argent, plutôt que de l’investir dans les pratiques et les technologies propres de demain ? Pendant la même période, ces catastrophes naturelles ont tué 1,3 millions de personnes dans le monde. Et plus de 4 milliards de personnes ont été affectées, que ce soit en étant blessées, en perdant leur logis, en étant déplacées ou en devant bénéficier d’une aide d’urgence. C’est aussi cela, le coût de l’inaction. Un coût humain, qui va aller croissant.

Nous devons agir, et vite. C’est un impératif éthique qui nous est adressé, à nous, dans cette salle, nous qui déterminons les conditions-cadres, qui vont accélérer ou limiter l’indispensable transition vers une société neutre en carbone. Rien n’est plus important que ce que nous allons décider aujourd’hui et dans les jours qui viennent. Chers collègues, assumons les lourdes responsabilités qui sont les nôtres et prenons les décisions qui s’imposent, à la hauteur du défi climatique. La génération de nos enfants et celle de nos petits-enfants subiront les conséquences de nos décisions. Et elles nous jugeront sur nos actes.

Je publie exceptionnellement, dans son intégralité, le discours que j’ai tenu au Conseil national à l’occasion de l’entrée en matière de la révision de la loi sur le CO2. C’est une première fois, mais ce moment, où le parlement s’empare de cette loi décisive, m’a paru si important que j’ai eu envie de le faire. Mes prochaines publications seront de nouveau “ad hoc”, c’est promis.

Gilets jaunes, prix de l’essence et loi sur le CO2 : la problématique est-elle la même en Suisse qu’en France?

En France, le phénomène des gilets jaunes a émergé en réaction à un projet de hausse du prix de l’essence. Or la révision de la loi sur le CO2, qui sera débattue au Conseil national au début du mois de décembre, comprend également une mesure qui pourrait majorer le prix des carburants. Faut-il pour autant faire un lien entre ces deux situations ?

Elles sont en réalité très différentes. La révolte des gilets jaunes est probablement due à deux facteurs. Tout d’abord, les automobilistes se sentent floués car beaucoup d’entre eux ont l’impression de ne pas pouvoir faire autrement que de prendre leur voiture pour leurs déplacements quotidiens. Ensuite, ces personnes considèrent qu’elles subissent un impôt supplémentaire et injustifié, à un moment où le thème de la justice fiscale est très présent dans le débat politique.

Une hausse des prix doit être assortie de solutions alternatives

En France, le sentiment de ne pas disposer d’alternative à la voiture est souvent justifié. En effet, contrairement à la Suisse, la France s’est concentrée de manière très unilatérale, dans sa politique de transports publics, sur les grands axes, négligeant les transports publics régionaux, au détriment des populations vivant dans les zones périphériques. De plus, les politiques d’encouragement à l’électrification de la mobilité sont, comme en Suisse, encore peu développées. Dans une telle situation, une hausse du prix de l’essence peut difficilement être reçue autrement que comme un piège, que l’on se sente concerné par le changement climatique ou pas.

De fait, pour qu’une telle mesure soit acceptable pour la population et pour qu’elle ait tout simplement un impact d’un point de vue environnemental, il faut qu’elle soit incitative. Cela signifie qu’elle doit pousser la population à modifier son comportement, en adoptant de nouvelles pratiques et de nouvelles technologies propres, permettant de réduire les émissions de CO2. En adoptant ces nouvelles pratiques et ces nouvelles technologies, les particuliers et les entreprises vont échapper à la hausse des prix. C’est là tout le paradoxe des taxes écologiques quand elles sont bien pensées : le but est que les personnes visées ne les payent pas. Evidemment, pour que cela fonctionne, il faut que les pratiques et les nouvelles technologies propres soient disponibles et financièrement abordables. En France, cela n’est pas vraiment le cas vu la faiblesse des transports publics régionaux. Voilà où le bât blesse.

Un exemple qui fonctionne : la taxe CO2 sur le mazout

En Suisse, nous avons mis en place une telle taxe incitative. Il s’agit de la taxe CO2 sur le mazout, qui augmente progressivement en fonction des objectifs de réduction des émissions de CO2. Eh bien ça marche, puisque le domaine du bâtiment est le seul, en Suisse, où des progrès significatifs en matière de réduction de notre impact carbone ont pu être réalisés. Cette taxe, avec la hausse du prix du mazout qu’elle implique, n’a pas suscité de manifestation de rue. En effet, les alternatives existent : ceux qui ne veulent pas être soumis à la taxe peuvent en atténuer l’effet ou même s’en émanciper. Il est par exemple possible de mieux isoler sa maison, pour consommer moins de combustible et ainsi réduire sa facture globale, malgré la taxe. On peut aussi compléter ou remplacer son chauffage aux énergies fossiles par une installation basée sur les énergies renouvelables, qui ne sont pas soumises à la taxe.

Evidemment, ces alternatives impliquent des investissements qui ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Pour réduire cette difficulté, une partie des recettes de la taxe CO2 sur le mazout est investie dans des soutiens à l’assainissement énergétique des bâtiments. Ce coup de pouce facilite le passage aux technologies propres. Un plus grand nombre de propriétaires peut faire le pas… et ainsi échapper à la taxe[1].

Une taxe incitative n’est pas un nouvel impôt

Quant au reste des recettes de la taxe CO2 sur le mazout, il est intégralement redistribué à la population, via une ristourne annuelle sur les factures d’assurance-maladie de base, ainsi qu’aux entreprises, par le biais des caisses de compensation AVS. L’Etat ne gagne donc pas un centime dans l’affaire : tout l’argent est redistribué sous forme de subvention ou de versement. Là aussi, la différence avec le système français est importante : chez nous, la hausse du prix du mazout ne correspond en rien à un impôt supplémentaire, que l’on pourrait accuser d’enrichir l’Etat au détriment de la population. Les particuliers comme les entreprises s’y retrouvent en définitive.

En Suisse, la compensation des émissions de CO2 des carburants pourrait augmenter

Mais alors, qu’en est-il de l’essence en Suisse ? Notre pays n’a jamais adopté de taxe CO2 sur l’essence, faute de majorité au parlement ou devant le peuple. Il a cependant mis en place un autre système, dit du centime climatique. Les importateurs de carburant sont tenus de compenser, via des projets de réduction des émissions dont une partie doit être située en Suisse, un pourcentage de l’impact carbone lié à ces carburants[2]. Pour le moment, il ne s’agit que d’un taux de compensation de 10 % (d’ici à 2020). Cependant, la révision de la loi sur le CO2 devrait permettre d’augmenter ce pourcentage. Or les compensations de CO2 ont un coût. A ce stade, il se situe entre un et deux centimes par litre. Si le pourcentage de compensation devait augmenter, ce coût augmenterait lui aussi. Un plafond pourrait cependant être fixé dans la loi. Les Suisses vont-ils descendre dans la rue pour autant ?

Il est possible d’adopter des comportements et des technologies propres

En Suisse, bien plus qu’en France, les alternatives existent. Nous bénéficions d’un réseau de transports publics important et les régions périphériques n’ont pas été aussi négligées, même si des améliorations, dans les agglomérations comme à la campagne, doivent encore être apportées. Par ailleurs, les automobilistes disposent d’une marge de manœuvre quant à la consommation de leur véhicule. Nous disposons de l’un des parcs automobiles les plus émetteurs de CO2 d’Europe, notamment parce que les automobilistes choisissent souvent des véhicules lourds et puissants, qui consomment plus d’essence. Des voitures bien plus efficientes et économes existent sur le marché et devraient être, à l’avenir, privilégiées.

Enfin, l’offre en véhicules électriques va exploser dans les années qui viennent et des modèles beaucoup moins onéreux arrivent sur le marché. Un effort pour renforcer l’infrastructure de recharge en électricité propre doit encore être fait, le plus rapidement possible, dans les cantons et les communes. Bref, les particuliers ont les moyens de réduire l’impact d’une hausse du prix de l’essence, voire d’y échapper, en adoptant des pratiques ou des technologies propres. Le système adopté jusqu’ici pour l’essence est certes moins bon que celui de la taxe CO2 sur le mazout, car il n’y a pas de redistribution des recettes de la taxe via des subventions ou des versements à la population et aux entreprises. Cependant, l’argent lié aux compensations est au moins investi en Suisse, dans des projets de réduction des émissions de CO2, et pourra à l’avenir également être investi dans la transition vers l’électromobilité. Il ne s’agit donc pas d’un impôt supplémentaire, comme le reprochent les gilets jaunes à la proposition de hausse des prix de l’essence en France.

Ne pas agir coûte plus cher que de prendre des mesures pour réduire nos émissions

La mobilité est responsable d’un tiers de nos émissions de CO2. En Suisse, nous ne sommes jamais parvenus, jusqu’ici, à atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 que nous nous étions fixés. Nous devons apprendre de ces échecs et renforcer les mesures qui se sont avérées insuffisantes hier. Il en va de l’avenir de notre pays, qui est particulièrement touché par les effets du changement climatique, et qui le paye au prix fort. Le rapport Stern l’affirmait déjà en 2006, ne l’oublions pas : le prix de l’inaction, avec les catastrophes climatiques qu’elle implique, est bien plus élevé que celui des mesures permettant de réduire nos émissions de CO2. Ces considérations doivent peser dans la balance, en plus des exigences de responsabilité envers les générations à venir qui sont les nôtres.

[1]Un système spécifique existe également pour les entreprises, qui leur permet d’échapper à la taxe CO2 sur le mazout tout en réduisant leur impact carbone. Les plus fortement émettrices d’entre elles, si elles ne parviennent pas à réaliser dans l’immédiat les investissements nécessaires pour réduire leurs émissions de CO2, peuvent participer au système d’échange de quotas d’émissions. Quant aux autres, elles peuvent signer avec la Confédération une convention d’objectifs, déterminant la manière dont elles vont réduire leurs émissions de CO2.

[2]La fondation Klik est chargée de soutenir des projets de compensation en Suisse dans ce contexte : https://www.klik.ch/

 

Loi sur le CO2 : le Conseil national prendra-t-il ses responsabilités face au changement climatique ?

En octobre dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) appelait les gouvernements à prendre des mesures sans précédent pour réduire nos émissions de CO2, afin de maintenir le réchauffement climatique en dessous des deux degrés. Au même moment, la commission de l’environnement travaillait sur la révision de la loi sur le CO2.

Un projet de loi qui est loin du compte

Le Conseil national traitera de la révision de cette loi à la session de décembre. Le projet initial du Conseil fédéral, qui vise à réduire nos émissions de 50 % d’ici à 2030, était déjà insuffisant[1]. Le Conseil fédéral n’a en effet pas adapté son projet au nouveau plafond de 1,5 degrés que l’accord de Paris a déterminé pour le réchauffement climatique. Son projet implique même un ralentissement du rythme de réduction de nos émissions de CO2 par rapport aux objectifs que la Suisse s’est fixés jusqu’ici, alors que les scientifiques nous exhortent à prendre des mesures drastiques et ayant un impact rapide. La commission de l’environnement, qui s’est emparée ensuite du dossier, ne l’a malheureusement guère amélioré.

L’impact climatique du secteur financier ignoré

L’une des innovations de l’accord de Paris est de tenir compte de l’impact climatique des investissements. L’accord exige formellement que les flux financiers contribuent à la réduction de nos émissions de CO2. Autrement dit, ils ne devraient plus être investis dans les énergies fossiles, mais redirigés vers les technologies propres. La Suisse a un rôle significatif à jouer en la matière, en tant que place financière majeure. En effet, les seuls investissements de notre Banque nationale doublent le bilan carbone du pays et l’impact total de notre place financière multiplie nos émissions de CO2 par vingt.

Or le projet du Conseil fédéral ne cite même pas le secteur financier et la commission de l’environnement a refusé toutes les propositions allant dans ce sens. Pourtant, l’accord de Paris exigerait au minimum que l’on fixe pour le secteur financier des exigences de transparence en matière d’impact climatique, ainsi qu’un objectif de réduction des émissions de CO2. Cet objectif pourrait figurer dans une convention, qui imposerait des sanctions ou des mesures contraignantes pour le cas où il ne serait pas atteint via un engagement librement consenti.

Des mesures insuffisantes dans le domaine de la mobilité et de l’aviation

En matière de mobilité, la politique climatique de la Suisse a jusqu’ici été un échec, alors que ce domaine est responsable d’un part importante de nos émissions. Non seulement nous avons l’un des parcs automobiles les plus émetteurs de CO2 d’Europe, mais les objectifs que nous nous sommes fixés pour réduire nos émissions de CO2 dans ce domaine n’ont pas été atteints. La faute à des mesures lacunaires. La Suisse reprend certes depuis quelques années les prescriptions européennes, qui fixent une moyenne maximale d’émissions de CO2 pour les voitures nouvellement immatriculées. Mais le système fonctionne mal, puisque de nombreux importateurs ne respectent pas ces moyennes, préférant payer des amendes plutôt que de faire évoluer leur offre.

Par ailleurs, même si les voitures deviennent plus efficientes, ce gain est compensé par le fait qu’elles sont de plus en plus nombreuses et roulent un plus grand nombre de kilomètres. Rien de bien surprenant alors que l’essence, dont un prix plus élevé pourrait inciter à un usage plus rationnel des véhicules, n’est pas soumise à une taxe sur le CO2. Ni le Conseil fédéral, ni la commission de l’environnement ne veulent en entendre parler. Seule mesure allant dans ce sens : les compensations des émissions de CO2 imposées aux importateurs de carburants pourraient augmenter, ce qui aurait un impact sur le prix de l’essence.

C’est cependant aussi, pour les trajets qui ne peuvent être faits à pied, à vélo ou en transports publics, la transition vers l’électromobilité qui devrait être mieux encouragée. Or tant le Conseil fédéral que la commission de l’environnement manquent d’ambition en la matière. Outre l’installation d’une infrastructure de recharge plus performante, il faudrait déterminer une date à partir de laquelle les systèmes de motorisation basés sur les énergies fossiles ne pourraient plus être acceptés pour les nouveaux véhicules mis sur le marché. Le gouvernement norvégien veut interdire la vente de véhicules équipés d’un moteur à combustion à partir de 2025. Aux Pays-Bas, la Chambre basse du Parlement a adopté une proposition similaire. Enfin, le ministre de l’énergie indien vise un parc automobile 100 % électrique en 2030. Qu’attend donc la Suisse pour faire preuve de la même ambition ?

La mobilité, c’est aussi l’aviation, qui représente en Suisse 18 % de notre impact carbone. Les Suisses volent nettement plus que leurs voisins européens : 9’000 km par an et par personne en moyenne. Or non seulement le kérosène n’est pas soumis à une taxe CO2, mais il est même favorisé fiscalement[2]. Nous le savons tous : le prix des vols est scandaleusement bas et incite à une boulimie d’aviation au détriment du climat. Cela doit cesser. De nombreux pays en Europe imposent une taxe sur les billets d’avions[3]. La Suisse doit en faire de même et (re)développer, avec ses voisins européens, des alternatives comme les trains de nuit. En commission, une proposition de taxe sur les billets d’avion, dont une partie des recettes pourrait être affectée à la prévention et à la maîtrise des dommages liés aux changements climatiques, a malheureusement échoué de peu.

A ce stade des débats, seule l’intégration de l’aviation dans le système européen d’échange de quotas d’émissions est envisagé. Or on sait que cette mesure n’aura qu’un très faible impact, puisqu’elle ne concerne que les vols européens et que le prix du CO2 sur le marché est actuellement trop bas pour déboucher sur une véritable réduction des émissions.

Un bilan mitigé en matière de bâtiment

Le domaine du bâtiment est exemplaire en matière de politique climatique. Depuis 1990, nous sommes en effet parvenus à en réduire les émissions d’un quart, grâce à des mesures d’assainissement du bâti existant et à des prescriptions pour les nouvelles constructions. Ce bon résultat est lié à une mesure qui a fait ses preuves : le mazout est soumis à une taxe CO2, dont les recettes sont en partie redistribuées à la population et aux entreprises et en partie investies pour soutenir l’assainissement énergétique des bâtiments existants. Grâce à ces mesures, la plupart des nouvelles constructions misent aujourd’hui sur les énergies renouvelables.

Cependant, l’assainissement énergétique du bâti existant est bien trop lent et, surtout, on remplace encore deux fois sur trois les anciens systèmes de chauffage à mazout par de nouvelles installations du même genre, qui émettront du CO2 pendant plusieurs dizaines d’années. Puisque les alternatives existent, il serait judicieux d’interdire dès aujourd’hui ou le plus rapidement possible l’installation de nouveaux chauffages à mazout[4]. Malheureusement, c’est une mesure, pourtant simple et efficace, dont la commission de l’environnement ne veut pas. On pourrait par ailleurs augmenter la part des recettes de la taxe CO2 affectée au soutien de l’assainissement énergétique du bâtiment, qui est aujourd’hui limitée à 30 %. Cela permettrait d’accélérer le rythme des rénovations. Actuellement, seul 1 % du bâti est assaini chaque année. D’après les évaluations de Swisscleantech et de l’économiste Lucas Bretschger de l’ETH, ce pourcentage devrait être multiplié par un facteur de 2 à 4 pour respecter une limitation du réchauffement à 1,5 degrés.

La commission de l’environnement a néanmoins tout de même pris une décision positive : elle a prolongé le programme de soutien à l’assainissement énergétique des bâtiments, qui devait être limité à 2025, jusqu’à 2030. La taxe CO2 sur le mazout devrait en outre pouvoir être augmentée.

Un marché d’échange de quotas d’émissions insatisfaisant

L’économie suisse émet également du CO2, même si nous avons externalisé une bonne partie de notre impact carbone, en important un grand nombre de matières premières et de produits finis dont les émissions sont comptabilisées dans leur pays d’extraction ou de production. Les émissions de la Suisse dans ce domaine ont pu être réduites de 17 % depuis 1990, ce qu’il faut néanmoins saluer. Le système actuel permet aux entreprises d’être exemptées de la taxe CO2 sur le mazout si elles participent au système d’échange de quotas d’émissions ou s’engagent dans le cadre de conventions d’objectifs avec la Confédération à réduire leurs émissions. Ce système fonctionne.

Les réductions d’émissions de CO2 réalisées concrètement et localement, notamment dans le cadre de conventions d’objectifs, sont cependant préférables à des échanges ou compensations réalisées dans le cadre d’un système de marché de quotas d’émissions, dont on ne sait jamais si les compensations sont vraiment additionnelles. Ces compensations ont en outre souvent lieu à l’étranger. Or la Suisse a tout intérêt à investir sur place dans l’innovation, pour moderniser son système de production et ses entreprises[5]. A ce stade, le prix trop bas du carbone, ainsi que les droits d’émissions trop nombreux, n’incitent d’ailleurs guère ces dernières à investir pour réduire directement leurs émissions. C’est pourquoi le projet de coupler le système d’échange de quotas d’émissions suisse au système européen doit être évalué de manière critique. Pour le moment, rien ne nous garantit qu’il débouche sur un impact effectif. Les conventions d’objectifs, assorties à des mesures de réduction des émissions de CO2 concrètes et localement ancrées, sont dès lors à privilégier.

Des incertitudes en matière d’agriculture, de déchets, de captation et de stockage de CO2

Plusieurs secteurs ne sont traités que de manière très superficielle par la loi sur le CO2. L’agriculture bénéficie en particulier d’une politique climatique séparée, avec ses objectifs propres. La politique agricole qui nous mènera jusqu’en 2022 vient d’être mise en consultation et il faudra analyser attentivement son impact en termes de préservation du climat. Jusqu’ici, la Suisse peine notamment à faire le lien entre climat et choix alimentaire. Or nous mangeons trop de viande, pour notre santé comme pour notre environnement. Pourtant, la Confédération continue à subventionner la consommation de produits carnés via des soutiens à Pro Viande. Et la simple idée de sensibiliser la population à l’impact sanitaire, environnemental et climatique de notre surconsommation de viande se heurte à une forte opposition au parlement.

Un autre domaine offre des perspectives encore incertaines en matière de réduction de nos émissions de CO2. Les Suisses font partie des plus gros producteurs de déchets à l’échelle européenne, même si nous en recyclons une partie croissante. Ces déchets émettent de plus en plus de CO2. L’incinération de quantités importantes de plastiques – issus des énergies fossiles – est notamment à incriminer[6]. La commission de l’environnement a certes décidé de citer les déchets dans la loi sur le CO2, mais tout reste encore à faire pour que des mesures concrètes soient prises dans ce domaine.

Enfin, le dernier rapport du GIEC montre que, dans tous les scénarios évoqués, la captation et le stockage de CO2 devront jouer un rôle. Or là aussi, la loi sur le CO2 en dit très peu. Plusieurs options s’offrent à nous, les plus sûres d’entre elles consistant à stocker le CO2 dans les forêts ou le bois, ce qui impliquerait une stratégie spécifique en matière de politique forestière et d’utilisation de ce matériau, ou encore dans le sols, ce qui nécessiterait une réorientation de notre politique agricole. D’autres techniques sont en cours d’étude, par exemple pour capter le carbone à la sortie de certaines installations, puis le stocker en sous-sol. Ces procédés sont encore très hypothétiques et leurs risques comme leurs coûts doivent être évalués attentivement. Toutes les pistes doivent être étudiées. En effet, les faibles résultats, du moins jusqu’ici, des quelques mesures de réduction de nos émissions de CO2 que nous sommes parvenus à prendre, nous condamnent à ne négliger aucune possibilité.

Le projet de révision de la loi sur le CO2 doit impérativement être amélioré

A deux semaines du traitement de la loi sur le CO2 par le Conseil national, il faut souhaiter que le projet sera amélioré. Ce n’est pas impossible, car la commission de l’environnement a pris plusieurs décisions à une faible majorité. On peut donc garder l’espoir que quelques lacunes de ce texte, aujourd’hui très insuffisant, seront comblées. Ne l’oublions pas : l’avenir de nos enfants dépend des décisions que nous prenons aujourd’hui.

[1]Les objectifs que se sont actuellement fixés les pays signataires de l’accord de Paris sont aussi globalement insuffisants et mettent notre planète sur la trajectoire d’un réchauffement de 3 à 4 degrés.

[2]Les vols internationaux sont exemptés de la TVA et de la taxe sur les huiles minérales.

[3]C’est le cas de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Autriche, de l’Angleterre, de la Suède et de la Norvège.

[4]Le canton de Bâle-Ville applique aujourd’hui déjà une règle similaire : les chauffages fonctionnant aux énergies fossiles doivent, lorsqu’ils sont en fin de vie, être remplacés par des chauffages fonctionnant aux énergies renouvelables. La Norvège interdira elle aussi l’installation de nouveaux chauffages à mazout dès 2020.

[5]Pour cette même raison, il faudrait éviter de manière générale, contrairement à ce que propose le Conseil fédéral et une majorité de la commission de l’environnement, de permettre une trop grande réalisation de notre objectif général de réduction à l’étranger.

[6]Plusieurs interventions parlementaires sont pendantes dans ce domaine, dont un postulat de ma part : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20183196

 

Au-delà des vaches à cornes : quel élevage voulons-nous à l’avenir ?

Le 25 novembre, nous voterons pour savoir si les éleveurs qui laissent leurs cornes à leur bétail pourront recevoir des subventions à cet effet. Le sujet peut paraître folklorique. Pourtant, à partir d’une question très spécifique, l’initiative pour les vaches à cornes nous laisse entrevoir le débat plus fondamental que nous aurons prochainement sur l’avenir de l’élevage.

La loi exige de protéger la dignité et le bien-être animal

Notre loi sur la protection des animaux est stricte, du moins dans son énoncé. Elle vise à protéger la dignité et le bien-être des animaux (article 1 LPA). Cela signifie, entre autres, que la valeur propre de l’animal doit être respectée, qu’il ne doit pas subir des interventions qui modifient profondément ses capacités et qu’il ne doit pas être instrumentalisé de manière excessive. Les fonctions corporelles et le comportement des animaux ne devraient pas être perturbés, ni leur capacité d’adaptation biologique sollicitées de manière excessive. Les animaux doivent ainsi pouvoir se comporter conformément à leur espèce. Enfin, les douleurs, maux, dommages et anxiétés doivent leur être épargnés (article 3 LPA).

Une étude récente de la Faculté Vetsuisse de l’Université de Berne a montré que l’écornage impliquait des souffrances pour les animaux. Par ailleurs, on sait que les cornes jouent un rôle dans les relations sociales et hiérarchiques des bêtes[1]. Ces considérations, mises en rapport avec les exigences de la loi sur la protection des animaux, devraient déjà nous inciter à soutenir l’initiative pour les vaches à cornes, puisqu’elle répond de manière cohérente aux bases légales en vigueur en matière de protection des animaux. Elle est même particulièrement modérée, puisqu’elle n’interdit rien, mais récompense seulement les agriculteurs qui laissent leurs cornes à leur bétail.

L’écornage est le symptôme d’une intensification de l’élevage

Mais la discussion ne s’arrête pas là. Selon l’ordonnance de la loi sur la protection des animaux, ceux-ci doivent être traités et détenus de manière à respecter les besoins de leur espèces : ni leurs fonctions corporelles, ni leur comportement ne doivent être gênés (article 3 OPAn). Or pourquoi écorne-t-on les vaches ? Pour minimiser les risques de blessures lorsqu’elles sont détenues en grand nombre[2]. L’écornage est dès lors le résultat d’une démarche qui va à l’opposé des exigences de la loi sur la protection des animaux. Plutôt qu’adapter les conditions de soins et de détention aux besoins de l’espèce, on adapte l’animal lui-même aux structures de détention. Ainsi, il est possible de détenir un plus grand nombre d’animaux dans une même surface.

L’écornage n’est donc qu’un symptôme, parmi bien d’autres, d’une tendance à l’intensification de l’élevage, qui se fait souvent au détriment du bien-être et de la dignité des animaux. Chaque année en Suisse, 50 millions d’animaux sont élevés et abattus, après une vie qui ne dépasse souvent pas quelques mois, pour répondre à notre appétit pour la viande. Lorsqu’on élève autant de bêtes, dans un pays où la concurrence pour l’usage des sols est très élevée, la pression est forte pour concentrer les animaux dans des espaces les plus restreints possibles. La pression est aussi forte sur les prix, ce qui permet d’ailleurs une consommation aussi élevée de viande (cinquante kilos par personne et par année). Les produits locaux sont soumis à la concurrence d’importations à bon marché, issues d’élevages qui ne correspondent en rien à nos standards. Ceci exige un effort de rentabilité permanent de la part des paysans. Les plus petites exploitations disparaissent ainsi au profit d’exploitations plus importantes, où se concentrent un plus grand nombre d’animaux.

Dans un tel contexte, ce n’est pas seulement l’écornage des vaches que l’on doit dénoncer, mais aussi la situation de poulets élevés dans des halles par dizaines de milliers, à raison de dix-sept poulets par mètre carré, ou de porcs dont on tolère la détention d’une dizaine d’individus sur une surface équivalente à une place de parking. Nombre de ces animaux n’auront jamais l’occasion, durant leur courte vie, de s’ébattre librement dans un champ, à la lumière du soleil, comme nous le représente pourtant systématiquement la publicité. Une agriculture familiale, à taille humaine et localement ancrée, où les paysans connaissent bien leurs bêtes, est aussi mise à mal.

Un élevage respectueux des animaux sert aussi notre santé, le climat et la biodiversité

Aujourd’hui, le degré de sensibilité et d’information du public évolue rapidement sur ces questions[3]. Une initiative populaire contre l’élevage intensif a été lancée en juin 2018. Elle demande que les exigences de l’agriculture biologique soient imposées en Suisse à l’ensemble de l’élevage, dans un délai de vingt-cinq ans[4]. On n’a donc pas fini de parler du bien-être animal dans l’agriculture : après celui des vaches, c’est le sort de l’ensemble des animaux de rentes qui va occuper les citoyens suisses.

Ce débat dépasse d’ailleurs largement la question de la bientraitance animale. Il y a un lien entre notre surconsommation de viande et la production intensive. Pour sortir de cette dernière, nous devrons vraisemblablement réduire notre consommation à un degré plus raisonnable. Ce faisant, nous pourrons plus facilement nous offrir des produits carnés locaux, de bonne qualité et respectant des critères de bien-être animal élevés. De plus, nous améliorerons notre santé et notre qualité de vie, puisque nous consommons actuellement entre deux à quatre fois trop de viande, d’un point de vue strictement sanitaire[5]. Nous contribuerons aussi à la lutte contre le réchauffement climatique, puisque l’élevage émet à l’échelle mondiale autant de CO2 que le secteur des transports. Enfin, nous nous engagerons pour la biodiversité, car un élevage à plus petite échelle, suivant les critères de l’agriculture biologique, se base sur les ressources locales et évite l’importation de produits issus de la déforestation, comme le soja, pour nourrir les animaux de rente.

Réjouissons-nous donc de voter sur les vaches à cornes, car cette discussion n’a rien d’anecdotique. Elle inaugure au contraire un débat démocratique plus vaste. La vraie question est de savoir quel type d’élevage nous voulons en Suisse à l’avenir.

[1]Pour tout savoir sur le rôle des cornes chez les bovins, cette excellente brochure du FIBL intitulée « L’importance des cornes chez la vache » : https://shop.fibl.org/CHfr/mwdownloads/download/link/id/736/?ref=1

[2]« Un animal a besoin de plus ou moins d’espace, selon qu’il a des cornes ou non. Dans le cas d’animaux à cornes, la distance que les individus de rang inférieur observent vis-à-vis de ceux de rang supérieur varie de un à trois mètres. Sans cornes, cette distance est d’au maximum un mètre. », Brochure du FIBL « L’importance des cornes chez la vache », page 11.

[3]Selon un sondage Isopublic, 87% des Suisses jugent le bien-être des animaux dans l’agriculture «important» ou «très important».

[4]https://massentierhaltung.ch/fr/

[5]Il s’agit des conclusions d’une enquête de l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Lausanne, menée sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique.

Climat : les collectivités publiques doivent donner, aux particuliers comme aux entreprises, les moyens d’agir !

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est sorti le 8 octobre. Plus alarmant que jamais, il exige que des «mesures sans précédent» soient prises. Le jour même de sa sortie, la commission de l’environnement siégeait à Berne. Nous traitions précisément de la révision de la Loi sur le CO2, qui concerne l’application par la Suisse de l’accord de Paris sur le climat. Or, ce sont toujours les mêmes arguments qui nous sont servis pour bloquer un engagement sérieux de notre pays. J’aimerais répondre ici à l’une des principales justifications de l’inaction, malheureusement encore prônée par une grande partie du parlement.

Au-delà des responsabilités individuelles, les enjeux environnementaux ont toujours exigé une réponse publique

Cet argument, que nous entendons trop souvent, est de dire que l’Etat ne doit pas se mêler de politique climatique : il suffit de laisser la responsabilité individuelle jouer. Ainsi, les particuliers et les entreprises prendront d’eux-mêmes les mesures qui s’imposent. Cette vision est totalement déconnectée de la réalité. Elle est de plus extrêmement culpabilisante et punitive pour la population et pour les PME. Enfin, elle est totalement inefficace dans ses résultats.

L’histoire de l’écologie montre que les enjeux environnementaux que nous avons pu un tant soit peu résoudre, l’ont toujours été grâce à une combinaison entre mesures publiques et engagement privé. L’un ne va pas sans l’autre. Le problème du trou dans la couche d’ozone, par exemple, a trouvé une réponse dans la ratification du Protocole de Montréal, exigeant une réduction progressive des CFC. Ceux-ci ont ensuite été interdits en 1996. Autre exemple, les pluies acides, responsables entre autres de la « mort des forêts »: elles ont débouché sur l’introduction des catalyseurs obligatoires à la fin des années quatre-vingt. Une taxe incitative sur la quantité de souffre dans l’essence a en outre été instaurée en 2004. Ce sont aussi les collectivités publiques qui ont financé et construit les stations d’épuration pour améliorer la qualité des eaux, ou qui ont fixé des objectifs en matière de recyclage des déchets, puis mis en place, en collaboration avec le privé, des filières à cet effet.

Exiger des particuliers et des entreprises d’agir, sans leur en donner les moyens, est punitif

Ainsi, on ne peut pas exiger de la population et des entreprises qu’elles s’engagent en faveur du climat sans leur en donner les moyens, via des conditions-cadres claires. La politique du « ils n’ont qu’à… », encore prônée par de trop nombreux parlementaires, ne fonctionne pas. En effet :

  • Vous pouvez toujours dire aux gens qu’ils n’ont qu’à se déplacer à vélo. Mais, s’il n’y a pas d’infrastructure sécurisée assurée par les collectivités publiques, ils ne le feront pas. Le vote positif du 23 septembre sur le sujet prouve que les citoyens l’ont bien compris.
  • Vous pouvez toujours dire aux gens qu’ils n’ont qu’à acheter une voiture électrique. Mais si ces voitures électriques sont, au moins pour quelques années encore, trop chères à l’achat par rapport aux voitures à essence, ou encore s’il manque une infrastructure de recharge sûre, ils ne le feront pas, ou pas assez. Là aussi, nous avons besoin des collectivités publiques pour assurer, en collaboration avec le secteur privé, l’infrastructure de recharge nécessaire et instaurer une vérité des coûts, qui devrait favoriser, comme nos bases légales l’exigent via le principe du pollueur-payeur, les solutions écologiques. Nous avons en outre besoin du soutien des collectivités publiques pour développer, avec le secteur privé, une production suffisante d’électricité propre et une filière de recyclage des batteries, car sans cela les voitures électriques ne sont plus si écologiques.
  • Vous pouvez toujours dire aux gens qu’ils n’ont qu’à prendre les transports publics. Mais si ceux-ci ne sont pas efficaces et abordables, ils ne le feront pas. Là aussi, il s’agit d’une tâche publique.
  • Vous pouvez toujours dire aux gens qu’ils n’ont qu’à cesser de prendre l’avion à tout bout de champ. Mais si les trains de nuits ont disparu parce qu’ils n’étaient plus compétitifs, du fait que les coûts environnementaux ne sont pas intégrés dans les prix de l’aviation, alors ils ne le feront pas. Là aussi, les collectivités publiques doivent intervenir pour rétablir une vérité des coûts et une concurrence correcte, qui permettra aux particuliers de faire de meilleurs choix.
  • Vous pouvez toujours dire aux gens qu’ils n’ont qu’à isoler leur maison et changer leur système de chauffage. Mais si cela représente pour eux un trop gros investissement, ils ne le feront pas. Voilà pourquoi les collectivités publiques doivent soutenir leurs investissements, grâce à la redistribution des recettes de la taxe CO2 sur le mazout, conformément, toujours, au principe du pollueur-payeur.
  • Vous pouvez toujours dire aux entreprises de moderniser leur chaîne de production ou d’économiser de l’énergie. Mais si cela demande de trop gros investissements qui affaiblissent leur compétitivité à court terme, elles ne le feront pas ou trop peu. Voilà pourquoi la Confédération doit les soutenir dans leurs efforts, via des appels d’offres ou des conventions d’objectif, qui les aident à devenir plus efficientes.
  • Enfin, dernier exemple, vous pouvez toujours dire aux particuliers et aux entreprises de faire tous ces efforts. Mais si vous négligez le secteur financier, pourtant formellement cité dans l’accord de Paris et responsable en Suisse d’un impact climatique vingt fois plus élevé que la somme de toutes les autres émissions du pays, alors vous n’aurez pas résolu le problème[1].

Plutôt que de culpabiliser la population et le privé, donnons-leur les moyens de s’engager !

A l’impossible nul n’est tenu. Cela n’a aucun sens de culpabiliser la population et nos entreprises, en faisant peser toute la responsabilité de la transition écologique sur leurs épaules, sans pour autant leur fournir la marge de manœuvre ou les alternatives nécessaires pour assumer cette responsabilité. Les collectivités publiques doivent au contraire leur offrir les moyens de s’engager ! Aujourd’hui, nous sommes toutes et tous sensibilisés aux enjeux climatiques. Nous avons toutes et tous envie d’agir, pour ne pas transmettre à nos enfants, petits-enfants, filleuls ou neveux, un environnement hostile et des conflits économiques et sociaux ingérables. Ce n’est pourtant pas compliqué, les solutions sont là, entre nos mains. Nouvelles technologies, nouvelles pratiques, nouveaux modèles économiques: ils sont de plus en plus abordables et ils renforcent même notre qualité de vie. Le rôle des collectivités publiques, Confédération, cantons et communes, est maintenant de permettre à la population comme au secteur privé de s’en saisir. Pour cela, nous avons besoin de bonnes conditions-cadres et de mesures ambitieuses et claires. Tous ensemble, nous réaliserons la transition écologique. C’est ici et maintenant : c’est à notre génération de faire le job.

[1]Une partie des mesures citées dans ce paragraphe sont en place, en particulier la taxe CO2 sur le mazout et la réinjection d’une partie de ses recettes pour soutenir l’assainissement énergétique des bâtiments, les soutiens aux énergies renouvelables et les appels d’offres et conventions d’objectifs pour les entreprises. Cependant, leur impact est souvent insuffisant faute de moyens (en particulier les soutiens aux énergies renouvelables) et elles sont en outre limitées dans le temps (une majorité du parlement a exigé l’arrêt en 2022 des soutiens aux énergies renouvelables et en 2025 des soutiens aux bâtiments). De plus, la vérité des coûts n’est assurée ni dans le domaine automobile (pas de taxe CO2 sur l’essence), ni dans le domaine de l’aviation (favorisée par une exemption de la TVA et sans taxe CO2 sur le kérozène). Enfin, aucune mesure n’est prévue pour réduire l’impact climatique majeur du secteur financier.

Liens d’intérêts: interroger le système de milice et revaloriser l’intérêt public

Les téléspectateurs découvraient récemment dans un reportage de Temps présent comment une majorité du parlement a refusé de limiter la publicité dans le domaine du tabac et de la « junk food ». Le rôle important des liens d’intérêts – avec le lobby du tabac et l’industrie du sucre – y était mis en lumière. De même, Infrarouge a illustré récemment les liens d’intérêts entre de nombreux parlementaires et les assurances-maladie, mon collègue Philippe Nantermod ayant même renoncé, après l’émission, à participer à un groupe d’information rémunéré par le Groupe Mutuel.

Les liens d’intérêts sont intrinsèquement liés au système de milice

Les liens d’intérêts choquent légitimement les citoyens. Pourtant, ils sont intrinsèquement liés au système de milice dont les Suisses sont si fiers. La milice, c’est le fait que les élus ne soient pas des politiciens professionnels, contrairement aux parlementaires des autres pays. Ils sont censés maintenir une activité professionnelle et rémunératrice, parallèlement à leur engagement politique. Ce système a évidemment des qualités, notamment le fait que les parlementaires gardent des liens forts avec le tissus économique et social « réel ». Ils ne forment ainsi pas une « caste » déconnectée du reste du monde, qui se consacrerait uniquement au travail législatif.

Mais ce système a aussi une part sombre. Dès le moment où vous êtes engagé, hors de votre mandat politique, auprès d’une entreprise ou d’une organisation économique, ou encore d’une organisation non-gouvernementale, d’un syndicat ou d’une institution publique, vous allez y tisser des liens d’intérêts. Ainsi, de nombreux élus, de droite comme de gauche, travaillent comme employés à temps partiel, sont actifs en tant qu’indépendants, ou siègent dans des conseils d’administration à côté de leur mandat. Ils sont bien sûr rémunérés pour ces activités professionnelles[1]. Un certains nombre d’engagements associatifs sont en outre réalisés par la plupart des parlementaires à titre bénévole ou contre simple dédommagement. On considère cependant que des liens d’intérêts existent là également, même si l’on ne vous paye pas et que vous vous engagez pour des valeurs idéales, plutôt que pour un secteur économique ou des intérêts particuliers. C’est pour cette raison que les parlementaires sont tenus de déclarer l’ensemble de leurs liens d’intérêts, indépendamment de leur domaine et de l’octroi ou pas d’une rémunération[2].

On pourrait ainsi dire, de façon un peu provocante, que la milice fait de chaque élu un lobbyiste de son milieu professionnel, d’activité ou d’engagement. Malgré cela, le système de milice est considéré, dans notre pays, comme une vache sacrée que nous ne devrions remettre en question sous aucun prétexte. Un véritable tabou, qu’il serait pourtant bon d’oser une fois interroger, car les liens d’intérêts sont désormais régulièrement la cible de critiques, le plus souvent de manière justifiée.

L’intérêt public doit impérativement être revalorisé

Les liens d’intérêts sont un problème à Berne, mais ils n’expliquent pas tout. Dans le reportage de Temps présent, on voit bien qu’un certain nombre de parlementaires ont des liens avec les industries alimentaires et du tabac. Cependant, ils n’auraient pas fait, à eux seuls, une majorité pour rejeter la limitation de la publicité pour les cigarettes ou du ciblage publicitaire des enfants pour la « junk food ». Ces deux limitations de la publicité ont été rejetées par un nombre bien plus important de parlementaires, qui ont simplement fait passer les intérêts de secteurs économiques particuliers avant l’intérêt public, plus particulièrement avant la santé publique. Voilà ce qui est, fondamentalement, le plus choquant. Indépendemment de qui les paye et d’où ils travaillent ou s’engagent, ces élus sont pleinement responsables de leurs votes et doivent les assumer.

Il est parfaitement légitime que des parlementaires défendent les intérêts de l’économie. L’économie fait partie de notre société. Elle nous offre des emplois et répond – ou du moins devrait répondre – à nos besoins. Cependant, l’économie n’évolue pas dans un monde à part. Elle est le fait d’êtres humains, dont les comportements au sein de nos sociétés sont régis par toute une série de valeurs, comme le respect, la solidarité ou la responsabilité, et par des régulations qui expriment ces valeurs. Elle évolue aussi dans un environnement naturel fini, dont elle dépend totalement pour ses ressources. Bref, les intérêts de l’économie, artificiellement abstraits des autres enjeux de notre société, en particulier sociaux et écologiques, ne peuvent pas être les seuls dont les décideurs tiennent compte. L’économie elle-même ne peut pas être viable à long terme si elle ne tient pas compte d’autres intérêts, en particulier de l’intérêt public. D’ailleurs, même en ne considérant que des intérêts économiques, on peut réaliser de bonnes affaires et créer des emplois en vendant autre chose qu’un produit qui tue prématurément un consommateur sur deux. Et il existe aussi un marché pour les produits alimentaires sains. Derrière le débat sur les liens d’intérêts se cache ainsi un enjeu d’une autre ampleur: celui de la prise en compte systématique, par les décideurs politiques, de l’intérêt public, quels que soient leurs liens d’intérêts personnels. Chacun devrait s’y efforcer. Cette démarche devrait être une évidence, voire un prérecquis pour tout engagement politique.

Dès lors, on peut certainement se réjouir de la volte-face de Philippe Nantermod qui, après les réactions courroucées des téléspectateurs d’Infrarouge, a renoncé à participer à un groupe d’information rémunéré par le Groupe Mutuel. Ce renoncement le fera-t-il pour autant considérer l’intérêt public avant celui des assurances-maladie lors de ses prochains votes ? Espérons-le. Mais, indépendamment du problème des lobbies et des liens d’intérêts, ne l’oublions pas, il y a aussi une idéologie politique très problématique. C’est celle qui veut que les intérêts économiques, ou d’une certaine branche économique, puissent être prépondérants, y compris face à des intérêts publics. C’est, fondamentalement, contre une telle idéologie que nous devons lutter.

[1]Il faut différencier ces situations, où l’élu dispose d’un contrat d’employé, d’un cahier des charges, d’une mission ou d’un mandat précis pour des mandants ou au sein d’un conseil ou d’un comité, du cas de groupes où les élus ne sont rémunérés que pour leur présence à des séances d’information (à l’image de celui du Groupe Mutuel, auquel Philippe Nantermod a finalement renoncé). Je parle là d’activités professionnelles « normales », qui sont usuellement rémunérées. Les rémunérations qui ne sont pas liées à des prestations claires ne relèvent pas du système de milice et doivent être dénoncées. Philippe Nantermod a pris une saine décision en la matière.

[2]Ils ne sont toutefois pas tenus de déclarer le montant des revenus qui peuvent y être liés.

 

Nous ne voulons pas de la soupe d’avenir suisse, nous voulons des aliments équitables

A deux semaines du vote sur l’initiative pour des aliments équitables, le think tank avenir suisse publie un pamphlet sur la politique agricole, qu’il accuse de coûter plus de 20 milliards de francs par an et de prétériter les autres secteurs économiques, en entravant la conclusion d’accords de libre-échange. L’étude dénonce le coût des aliments en Suisse, alors que nous sommes le pays d’Europe où les ménages dépensent la part la plus restreinte de leur budget pour se nourrir[1]. Elle propose enfin une série de mesures de dérégulation : réduction de la protection douanière sur les biens agricoles et abolition de diverses subventions accordées aux agriculteurs notamment.

Une attaque contre l’agriculture locale et familiale

Cette étude illustre la vision des milieux économiques, bien représentés au parlement et au Conseil fédéral. Elle a suscité une réaction courroucée des paysans[2]. En effet, avec les nouvelles conditions-cadres qu’elle propose, il ne pourrait vraisemblablement subsister que quelques grandes entreprises agricoles industrielles en Suisse. Le taux d’auto-approvisionnement chuterait et la production locale manquante serait remplacée par des importations. Celles-là même que les milieux économiques veulent utiliser comme monnaie d’échange dans le cadre des accords de libre-échange. Contre un meilleur accès à certains marchés étranger pour nos exportations, nous accepterions donc d’ouvrir nos frontières à de la viande issue d’élevages de masse, à de l’huile de palme et à d’autres produits de l’agriculture industrielle.

La qualité de l’alimentation et les consommateurs négligés

Comme la plupart des études économiques, celle d’avenir suisse ne traite que de ce qui peut être quantifié : elle nous sert une soupe insipide de chiffres, souvent agrégés de manière artificielle. Ce faisant, elle passe complètement à côté du phénomène même de l’alimentation, dans toute sa dimension qualitative. Car nous, consommateurs, ne nous nourrissons ni de billets de banques, ni de chiffres. Nous voulons manger des aliments sûrs et de qualité. Notre alimentation implique tout un univers de valeur, ainsi que des dimensions culturelle, identitaire et sociétale fortes. Nous voulons savoir d’où vient notre nourriture et comment elle a été produite. Nous aimons les produits du terroir et sommes fiers de nos spécificités régionales. Nous sommes attentifs à la manière dont nous traitons les animaux de rente et disposons, en comparaison internationale, d’une des meilleurs lois en la matière. Nous achetons volontiers des produits issus du commerce équitable. Nous aimons le contact avec les agriculteurs. Nous apprécions la manière dont ils façonnent nos paysages et ils font partie de notre identité suisse. On ne peut parler ni d’agriculture, ni d’alimentation, sans considérer ces paramètres. Or avenir suisse les ignore complètement. En négligeant l’essentiel, l’étude débouche donc sur des propositions complètement déconnectées du terrain. Pourtant, les défis à relever en matière d’agriculture et d’alimentation sont bien réels et nombreux.

Nous voulons réduire le gaspillage alimentaire

L’étude d’avenir suisse fustige l’importance des soutiens publics octroyés à l’agriculture. Mais elle ne relève pas que ce sont précisément ces soutiens publics élevés qui permettent à la population de ne consacrer que quelques pourcents de son budget aux achats alimentaires. Ce que nous ne payons pas comme consommateurs, nous le payons comme contribuables. Que nous dit cette répartition du financement de l’agriculture ? N’illustre-t-elle pas l’énorme pression que le système actuel fait peser sur les prix et la difficulté qu’éprouvent nos paysans à vivre de la vente de leurs produits ? Le taux élevé de gaspillage alimentaire, dont l’étude d’avenir suisse ne dit pas un mot, devrait nous interpeller. Dans notre pays, un tiers des aliments produits finit à la poubelle. Comme s’ils n’avaient aucune valeur ! Comment peut-on jeter de la nourriture dans une telle proportion ? Comment réduire ce gaspillage ? Qu’est-ce que cela implique pour l’avenir de notre agriculture ? Le gaspillage alimentaire coûte chaque année 2000 francs par ménage. En réalité, il est là, le véritable scandale, d’un point de vue économique. L’initiative pour des aliments équitables demande que des mesures soient prises pour réduire le gaspillage alimentaire. Des règles absurdes de formatage esthétique ou des trajets inutiles et à rallonge doivent entre autres cesser de générer de telles pertes. La place des aliments est dans notre assiette, pas à la poubelle.

Nous voulons une production plus écologique, en Suisse et à l’étranger

La politique agricole actuelle échoue à atteindre ses objectifs écologiques. Avenir suisse le relève et c’est heureux. Cependant, la réponse que le think tank apporte à ce problème n’est pas crédible : il s’agirait de produire moins de nourriture en Suisse et d’en importer une plus grande part. On délocaliserait ainsi purement et simplement les dégâts environnementaux ! Alors que les trois quarts de notre impact écologique ont lieu à l’étranger et que les enjeux environnementaux sont de plus en plus globaux, on reste pantois face à une telle proposition. A l’exception de certains cas spécifiques[3], cultiver – de manière durable, bien sûr, et là nous avons encore une marge de manoeuvre – et consommer localement les produits est plus écologique que de les faire venir de l’étranger. Voilà pourquoi l’initiative pour des aliments équitables veut promouvoir les produits locaux, durables et de saison. Dans la situation actuelle, la transparence sur les modes de production n’est en outre pas assurée pour les produits importés et ceux qui arrivent sur nos étals sont souvent issus d’une agriculture industrielle et polluante. Plutôt que de fermer les yeux sur notre impact à l’étranger, nous devons adopter une stratégie de qualité pour nos importations. C’est ce que veut l’initiative pour des aliments équitables.

Nous voulons rapprocher producteurs et consommateurs

L’étude d’avenir suisse cite les « agrocleantech » en matière d’innovation, mais passe sous silence les nouveaux modes de production proches de la nature, comme la permaculture et l’agroécologie, ou encore les structures d’exploitation innovantes, coopératives ou participatives. L’agriculture urbaine et les nouvelles opportunités offertes par la vente directe modifient les relations entre producteurs et consommateurs, ainsi qu’entre ville et campagne. L’initiative pour des aliments équitables prévoit de mieux soutenir la transformation sur place et la commercialisation directe de produits locaux et de saison, afin de favoriser les circuits courts et de renforcer la proximité entre les consommateurs et les producteurs. Cela aussi, c’est de l’innovation. Une innovation qui renforce l’autonomie des paysans face au « complexe agricole » dénoncé par avenir suisse, tout en répondant à une demande forte des consommateurs. De la même manière que l’agriculture et l’alimentation ne peuvent être abordées que d’un point de vue économique, l’innovation dans ce domaine ne se limite pas à de nouvelles technologies : elle implique aussi l’évolution des mentalités, des valeurs, des relations sociales et des modèles commerciaux. L’avenir est à un renforcement des relations entre les agriculteurs et ceux qu’ils nourrissent, avec pour bénéfices de meilleurs revenus pour les paysans, plus de traçabilité, plus de fraîcheur, plus de qualité et une réduction de nos émissions de CO2. L’avenir est aux aliments équitables.

Nous décidons le 23 septembre du contenu de nos assiettes

L’agriculture et l’alimentation sont des domaines sensibles et complexes. Elles méritent mieux qu’une vision unilatérale et réductrice, qui stigmatise les milieux paysans, les monte contre les milieux économiques et néglige les consommateurs comme l’environnement. Il faut cependant reconnaître un mérite à l’étude d’avenir suisse : elle permet de montrer les risques d’une telle vision, malheureusement largement représentée au parlement et au Conseil fédéral, pour une agriculture familiale et durable, en Suisse comme dans le monde, ainsi que pour les consommateurs. Les milieux économiques ont des projets et ils ont mis cartes sur table. A nous de savoir si nous voulons vraiment de la soupe industrielle et indigeste qu’ils veulent nous servir. Nous pouvons décider de leur renvoyer ce plat amer en cuisine, en votant oui à une autre vision de l’agriculture et de l’alimentation, en votant oui à des aliments équitables, le 23 septembre.

[1]Moins de 7 % du budget des ménages est consacré en moyenne à l’alimentation dans notre pays.

[2]https://www.sbv-usp.ch/fr/medias/communiques-de-presse/archive-2018/070918-avenir-suisse/

[3]Mieux vaut importer certaines denrées s’il faudrait, pour les produire localement, les cultiver dans des serres chauffées, par exemple. Dans ces cas complexes, des écobilans peuvent éclairer nos choix.

Des aliments équitables : c’est possible, sans bureaucratie ni protectionnisme !

L’initiative pour des aliments équitables veut renforcer l’offre en denrées alimentaires de qualité, en favorisant les aliments produits dans le respect des animaux et de l’environnement, ainsi que dans des conditions de travail équitables. C’est dans le domaine des importations que la marge de manœuvre est la plus importante. L’initiative propose dès lors qu’une stratégie de qualité soit développée pour les aliments importés, pour lesquels nous ne disposons aujourd’hui pas d’une traçabilité et d’une transparence suffisantes.

Assez de scandales alimentaires

Dans de nombreux secteurs agricoles, des pratiques interdites en Suisse, parce que nous les jugeons inacceptables, sont monnaie courante à l’étranger. On se souvient du scandale lié aux conditions de travail proches de l’esclavage, dans des exploitations intensives de fruits et légumes au Sud de l’Europe. La maltraitance animale dans des élevages industriels ou la déforestation massive pour produire de la matières grasses ou du soja destiné au bétail défraient aussi régulièrement la chronique. Nous importons en Suisse, en toute légalité, des produits issus de ces pratiques : fraises d’Almeria, viande aux hormones ou huile de palme. Et nous les consommons souvent à notre insu, en particulier dans des produits transformés. Ce phénomène pourrait s’accentuer avec les accords de libre-échange projetés par le Conseil fédéral, notamment avec la Malaisie, grande productrice d’huile de palme, ou avec l’Amérique du Sud et ses gigantesques élevages industriels. Pour nos agriculteurs, soumis à des règles comparativement strictes en matière de respect du bien-être animal, et pour les producteurs d’huiles végétales locales de qualité (tournesol ou colza), la concurrence est rude.

Des règles du jeu correctes, au bénéfice de la durabilité

La Suisse, qui ne produit que la moitié des aliments consommés par sa population, a besoin des importations dans le domaine alimentaire. Mais ces échanges commerciaux doivent être régis par des règles du jeu correctes, à la fois pour les consommateurs, qui ont le droit de savoir ce qu’il y a dans leur assiette, et pour les agriculteurs suisses, qui doivent bénéficier d’une concurrence équitable. Tout cela est possible sans contredire le droit international, ni faire preuve de protectionnisme. On peut par exemple soumettre les denrées répondant à des standards écologiques et sociaux internationalement reconnus, comme le bio ou le fair trade, à des droits de douanes plus cléments. Nous le faisons déjà aujourd’hui pour les biocarburants correspondant à des critères de durabilité, sans que cela ait généré ni bureaucratie, ni attaque auprès de l’OMC.

Plus de transparence, plus de choix, pour des produits sains

Par ailleurs, la simple transparence peut permettre d’exclure certains produits contestables du marché. Les œufs de poules en batterie doivent actuellement être déclarés. Il n’y en a dès lors pas dans nos rayons, car les détaillants considèrent, probablement à juste titre, qu’ils ne trouveraient pas preneur. On en trouve par contre dans de nombreux produits transformés, à notre insu. L’initiative devrait augmenter la traçabilité et l’information des consommateurs en la matière. Enfin, des conventions d’objectifs pourraient être conclues avec les importateurs et les détaillants, pour augmenter la part de produits durables dans leur offre. Dans certains cas, le droit international peut même tolérer des interdictions, en particulier lorsque la santé publique est en jeu. L’Union européenne a notamment exclu la viande aux hormones de ses étals. Pourquoi pas la Suisse ?

Que voulons-nous dans notre assiette ?

La question que pose l’initiative pour des aliments équitables est finalement très simple. Doit-on accepter sans broncher de ne pas trop savoir ce qu’il y a dans notre assiette, et fermer les yeux sur des impacts écologiques et sociaux majeurs, sous prétexte qu’ils ont lieu hors de nos frontières ? Nous pensons que non et qu’il suffirait de prendre quelques mesures de pur bon sens, pour assumer nos responsabilités, tout en améliorant notre bien-être et notre qualité de vie. Car nous sommes ce que nous mangeons.