L’accord de libre-échange avec l’Indonésie n’a rien à voir avec le développement durable

De quoi parle-t-on ?

L’accord de libre-échange avec l’Indonésie vise à libéraliser le commerce des marchandises et à renforcer les échanges commerciaux entre la Suisse et l’Indonésie, en améliorant les conditions d’accès au marché indonésien pour les entreprises suisses exportatrices. L’accord élimine en effet les droits de douane sur 98 % des exportations suisses, améliorant l’accès et la compétitivité sur le marché de produits suisses, principalement dans les domaines chimique, pharmaceutique et des machines. L’objectif est également d’offrir de nouveaux débouchés commerciaux en Indonésie pour d’autres produits suisses, dont des denrées alimentaires. Le Conseil fédéral cite notamment le chocolat, le fromage et les produits laitiers. En échange, la Suisse s’engage notamment à réduire les droits de douane sur un certain nombre de produits exportés par l’Indonésie. Il s’agit, entre autres, de réduire de 20 à 40 % les droits de douane sur une quantité d’huile de palme de 12’500 tonnes par an (alors que nous n’en importons actuellement que 35 tonnes). Cet avantage douanier serait accordé sur la base de prétendus critères de durabilité.

Le fait que cet accord fixe, d’une part, un plafond pour la quantité d’huile de palme bénéficiant de droits de douane réduits et que ces réductions soient, d’autre part, soumises à des prétendus critères de durabilité, constitue une réponse à des critiques émises par les milieux agricoles et écologistes.

Des critiques des milieux agricoles et écologistes

En effet, l’huile de palme représente une concurrence directe à la production d’huile végétale locale, ce que les milieux agricoles suisses ont relevé dès le début des négociations. Outre l’évolution de nos habitudes alimentaires, l’augmentation massive de sa consommation est due au prix très bas de l’huile de palme, que la réduction des droits de douane rendrait encore plus attractive face aux alternatives végétales locales que sont l’huile de colza ou de tournesol.

Les écologistes ont en outre critiqué dès le départ le projet de réduire les droits de douane pour l’huile de palme, car sa production implique des atteintes écologiques et sociales graves dans les pays producteurs. En effet, les plantations de palmiers à huile affichent l’une des empreintes CO2 les plus élevées par surface de tous les produits agricoles d’intérêt mondial. Cet impact carbone est dû au fait qu’elles se développent sur la base de destructions massives de forêts humides et de tourbières. La disparition de ces précieux biotopes entraine en outre des pertes désastreuses en termes de biodiversité. Une fois les zones naturelles détruites, le type d’exploitation agricole mis en place représente un impact supplémentaire, puisqu’il s’agit de monoculture intensive utilisant des pesticides polluants. Socialement, la situation n’est pas meilleure : accaparement des terres, expulsion de communautés autochtones et conditions de travail inacceptables dans les plantations font partie de la réalité du terrain en Indonésie. La corruption est aussi présente. Les militaires en sont parmi les plus gros profiteurs, de par leurs relations avec les grandes compagnies d’huile de palme et l’industrie du bois. Les plantations exploitent enfin un grand nombre d’ouvriers agricoles et suscitent l’abandon de cultures vivrières qui assuraient auparavant la sécurité alimentaire des populations locales. L’agriculture s’oriente de plus en plus sur les exportations, au mépris de la souveraineté alimentaire du pays.

Le green-washing érigé en référence

L’accord de libre-échange avec l’Indonésie est le premier à comporter des prétendues exigences de durabilité. Il est très important dans cette perspective. En effet, il servira de référence pour d’autres accords à venir. Or il est quelque chose de plus dangereux encore que le mépris franc et ouvert face aux impacts environnementaux. Aujourd’hui, ce dernier est devenu politiquement incorrect : tout le monde, ou presque, prétend se préoccuper de l’avenir de notre planète. Par contre, un nouveau risque se manifeste de plus en plus souvent. C’est le green-washing, qui permet de continuer, comme avant, à détruire l’environnement, tout en se donnant bonne conscience.

On aurait aimé se réjouir des prétendus critères de durabilité introduits dans l’accord de libre-échange avec l’Indonésie. Malheureusement, les dispositions finalement adoptées ne sont pas crédibles. Elles peuvent certes faire plaisir sur le papier, mais n’auront pas l’impact attendu sur le terrain.

La démarche servant de référence écologique à l’accord de libre-échange, la RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil), existe depuis une quinzaine d’années et regroupe les entreprises qui produisent les 85 % de l’huile de palme en Indonésie. Or elle n’a pas tenu ses promesses. La RSPO a échoué à freiner la déforestation, ainsi que les impacts écologiques et sociaux désastreux de l’huile de palme en Indonésie.

Elle comporte tout d’abord des faiblesses intrinsèques. Il est possible d’être labellisé, alors que les critères du label ne sont appliqués que sur une partie des plantations. Le défrichage de forêts secondaires d’importance écologique est toléré et la RSPO ne fait que des recommandations en ce qui concerne la destruction des tourbières. Même certifiées, les plantations relèvent toujours de monocultures intensives nuisibles à la biodiversité, impliquant l’utilisation de pesticides toxiques. Les ouvriers agricoles utilisent de tels produits dans de mauvaises conditions, mettant en jeu leur santé, et ces produits polluent les eaux et le sol.

La mise en œuvre des dispositions de la RSPO, déjà insuffisantes en elles-mêmes, laisse de plus à désirer, puisque les mécanismes de validation et de sanction ne sont pas crédibles, voire inexistants. Tout est géré et contrôlé par les producteurs certifiés eux-mêmes, sans contrôle indépendant, dans un contexte où la corruption existe. De facto, la production d’huile de palme, y compris celle qui est certifiée RSPO, ne peut pas être décrite comme durable, ou alors il faut accepter le fait que ce mot ne veuille plus rien dire.

L’accord de libre-échange lui-même n’apporte aucune garantie supplémentaire sur l’impact réel, sur le terrain, des prétendus critères de durabilité qu’il cite. Le chapitre sur le développement durable n’est en effet pas soumis au mécanisme de règlement des différends entre Etats prévu par l’accord et ne peut donc pas, contrairement aux autres parties de l’accord, déboucher sur des sanctions en cas de non-respect de ses exigences.

Une aggravation de la situation écologique et sociale

Depuis la signature de l’accord de libre-échange, qui concerne aussi d’autres pays de l’AELE, la situation écologique et sociale s’est dégradée en Indonésie. Dans le but d’attirer plus encore les investisseurs étrangers auxquels l’accord ouvre les portes du pays, le parlement indonésien a voté une loi dite « Omnibus ». Elle réduit les dispositions existantes dans le pays en matière de protection de l’environnement, ainsi que les droits des communautés indigènes et des employés. Les ordonnances contre les brûlis sont notamment assouplies et le gouvernement pourra créer de nouvelles plantations de palmiers à huile dans des forêts soumises jusqu’alors à un moratoire sur l’exploitation forestière. De facto, les autorités indonésiennes conçoivent cet accord de libre-échange comme un jalon dans l’accélération de l’exploitation – ou de la surexploitation devrait-on dire – des ressources naturelles du pays à des fins d’exportation.

Ce n’est pas ce qu’il convient d’appeler un développement durable. Sur place, seize organisations représentant la société civile (notamment des organisations de pêcheurs, d’agriculteurs, de femmes, de protecteurs de l’environnement et de scientifiques) ont d’ailleurs écrit une lettre ouverte au parlement pour dénoncer l’accord de libre-échange et son impact sur la population locale. 

Imposer des critères de durabilité crédibles plutôt que des avantages douaniers

Aujourd’hui déjà, la majeure partie de l’huile de palme importée en Suisse correspond aux critères de la RSPO. On aurait au moins pu exiger dans le cadre de l’accord de libre-échange des critères supplémentaires, débouchant sur une réelle amélioration de la situation écologique et sociale sur place.

En Suisse, certains acteurs positionnés sur le développement durable sont en train de le faire d’eux-mêmes, prenant acte de l’échec de la certification RSPO. Voici la position de Coop, qui s’est initialement engagée auprès de la RSPO : « Il a fallu se rendre à l’évidence : cela ne suffit pas à résoudre les problèmes liés à la culture de l’huile de palme ». Coop a ainsi décidé de n’utiliser à l’avenir plus que de l’huile de palme correspondant aux critères du Bourgeon de Bio Suisse. Les critères du bio sont, eux, crédibles sur le principe : exclusion des plantations issues de défrichements de forêts primaires ou secondaires ayant eu lieu après 1994, feux de déforestation exclus, culture sans pesticides ou engrais de synthèse, standards sociaux, priorité aux coopératives de petits producteurs. De plus, des contrôles indépendants sont réalisés. La production d’huile de palme bio, selon ces critères du Bourgeon, est encore rare à l’échelle mondiale (quelques producteurs au Brésil, en Colombie et à Madagascar). Tout est donc à faire. Ce type de production est inexistant en Indonésie. Le fait d’imposer de tels critères dans le cadre de l’accord de libre-échange aurait dès lors eu du sens : on aurait au moins pu en espérer une véritable amélioration, plutôt que de valider des pratiques qui sont en échec depuis des années et qui ont tout du green-washing.

Plus fondamentalement, Coop prévoit de remplacer l’huile de palme par des alternatives plus écologiques, à chaque fois que c’est faisable et pertinent, dans une série de produits réalisés sous sa propre marque. Ce qui doit susciter notre réflexion, c’est en effet l’omniprésence de ce produit, que l’accord de libre-échange cherche à rendre plus attractif encore. On trouve de l’huile de palme quasiment partout. Pourtant, nos parents n’avaient probablement jamais entendu parler d’huile de palme à notre âge. Ce n’est que depuis peu que sa consommation a augmenté de manière exponentielle. La production mondiale a ainsi presque doublé au cours des douze dernières années, atteignant 70 millions de tonnes. En Suisse, l’importation d’huile de palme a été multipliée par plus de huit, passant de 3’500 à 29’500 tonnes entre 1988 et 2017. Elle est surtout présente dans les aliments industriels ultra-transformés dont regorgent aujourd’hui les rayons de nos supermarchés.

Une omniprésence problématique, également pour notre santé

Le succès de l’huile de palme est principalement dû à son prix très bas, lié au haut niveau de productivité des palmiers à huile, tout particulièrement lorsqu’ils sont exploités en culture intensive, et aux faibles normes écologiques et sociales sur les lieux de production. Ce bas prix encourage l’utilisation de l’huile de palme dans un maximum de produits et en grandes quantités (surconsommation de matières grasses), mais aussi le remplacement d’huiles locales, comme l’huile de colza ou de tournesol.

Ce phénomène est problématique du fait de l’impact écologique et social de l’huile de palme lors de sa production et de son transport, de la concurrence qu’elle représente pour les huiles végétales locales, mais aussi en termes de santé publique. En effet, l’huile de palme est particulièrement riche en acides gras saturés (cinq fois plus que l’huile de colza), qui favorisent les maladies cardio-vasculaires. Alors qu’elle se cache dans d’innombrables produits, elle finit par être consommée, souvent sans que l’on s’en rende vraiment compte, en quantité, et porte atteinte à notre santé. A la monoculture industrielle d’huile de palme, polluant l’environnement et affectant la santé des ouvriers agricoles dans des pays lointains, correspond ici la « mono-consommation » d’huile de palme, dans des produits eux aussi industriels, standardisés et néfastes pour notre santé. Et c’est cela que l’on veut nous vendre comme de la durabilité.

Dès lors, la question que nous devons nous poser, au-delà de la crédibilité des critères de durabilité cités dans l’accord de libre-échange, est aussi celle-ci : est-il vraiment pertinent d’offrir des avantages sur notre marché à un tel produit ? Notre responsabilité ne devrait-elle pas être plutôt d’imposer à l’importation, à la place d’avantages douaniers, des critères stricts d’accès au marché, sous la forme de prescriptions, qui imposeraient des modes de production vraiment écologiques et sociaux ? Si l’on appliquait sérieusement le principe du pollueur-payeur et que l’on réfléchissait à son impact sur notre santé, l’huile de palme ne devrait pas être favorisée financièrement. Elle devrait plutôt voir son prix augmenter par rapport aux alternatives plus locales, plus saines et plus écologiques. Des critères écologiques et sociaux sérieux auraient d’ailleurs probablement un tel impact sur son prix, en attendant l’application du principe du pollueur-payeur aux transports de marchandises internationaux, dont la multiplication sur de longues distances a un effet désastreux sur le climat.

Quel modèle d’échanges commerciaux voulons-nous pour demain ?

Evidemment, on objectera que cet accord de libre-échange est nécessaire pour nos entreprises d’exportation, productrices de machines, de produits chimiques et de médicaments, ainsi que pour nos investisseurs, alléchés par ce nouveau marché. Grâce à la réduction des droits de douanes, leurs produits et services deviendront plus compétitifs sur le marché indonésien et ils pourront obtenir de meilleures marges. Cela va indiscutablement dans le sens de leurs intérêts commerciaux.

Mais les intérêts commerciaux de ces entreprises, tout compréhensibles qu’ils soient, justifient-ils que l’on ferme les yeux sur les impacts écologiques et sociaux d’un tel accord ? Au-delà de la thématique de l’huile de palme, déjà extrêmement problématique en soi, ce type d’accord vise à intensifier les échanges commerciaux sur de longues distances, en réduisant toutes les barrières, douanières mais aussi légales. C’est ce qu’illustre la loi « Omnibus », récemment votée par le parlement indonésien en marge de l’accord de libre-échange, qui affaiblit la protection de l’environnement et du travail.

Avec de tels accords, nous perpétuons le modèle de développement économique actuel, basé sur l’exploration de nouveaux marchés de plus en plus lointains et sur une pression permanente sur les prix. Ce modèle génère une explosion des transports de marchandises sur de longues distances et une dangereuse sous-enchère écologique et sociale. La tyrannie des bas prix débouche en outre trop souvent sur un gaspillage de ressources (le « prêt à jeter ») et sur une surconsommation de produits de mauvaise qualité, dont l’huile de palme n’est qu’un exemple parmi d’autres. Ce modèle a largement contribué à nous mener à la crise climatique et environnementale actuelle.

Les denrées alimentaires servent en outre régulièrement de monnaie d’échange pour des produits d’exportation à haute valeur ajoutée. Or il s’agit de produits vitaux, avec lesquels nous ne devons pas jouer. Dans des pays comme l’Indonésie, l’agriculture industrielle exportatrice remplace l’agriculture vivrière et met en danger la sécurité alimentaire. Le dumping écologique et social que les produits alimentaires exportés représentent ensuite dans les pays d’importation déséquilibre à son tour la production locale. Partout, c’est l’agriculture paysanne, familiale et durable qui est mise à mal.

L’accord de libre-échange avec l’Indonésie n’est qu’un début. Des discussions ont aussi lieu avec la Malaisie, également gros producteur d’huile de palme, avec les pays du Mercosur et leur viande aux hormones, et avec les Etats-Unis, qui souhaitent notamment favoriser l’exportation vers nos étals de leur poulet industriel traité au chlore. Est-ce vraiment ce modèle de développement économique que nous voulons pour notre pays, pour notre planète ?

En pleine crises climatique et environnementale, auxquelles s’ajoute la crise sanitaire, nous devons avoir le courage de repenser ce modèle. Les échanges économiques sont nécessaires, mais ils devraient, d’une part, être soumis à des exigences écologiques et sociales équitables et crédibles et, d’autre part, favoriser les marchés les plus proches. Ce sont de tels principes qu’une organisation comme l’OMC devrait s’attacher à promouvoir à l’échelle mondiale. Nous devons réduire les transports de marchandises sur de longues distances et miser partout sur des modes de production et de consommation responsables.

Car, plutôt que de libre-échange, tel qu’il est conçu dans l’accord avec l’Indonésie, nous avons urgemment besoin d’un commerce responsable. La responsabilité est l’autre face, indispensable et indissociable, trop souvent oubliée, de la liberté. Ce commerce responsable est la seule issue pour préserver notre planète, et la seule façon d’évoluer dans le cadre d’une véritable durabilité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout ce que vous devez savoir sur la Loi sur le CO2

Avertissement : ce texte est beaucoup trop long pour un blog, mais j’ai voulu poser quelque part toutes les informations qui me semblent importantes à propos de la révision de la Loi sur le CO2. Le vote sur cet objet, en 2021, sera un enjeu fondamental pour notre avenir à toutes et tous. Il n’est pas trop tôt pour commencer le travail d’information qui sera indispensable dans le cadre de ces débats.

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A l’issue d’un processus parlementaire chaotique, la révision de la loi sur le CO2 a enfin abouti. Elle vise à définir les objectifs et instruments de la politique climatique suisse pour la période allant de 2022 (date prévue pour son entrée en vigueur) à 2030. Alors que l’UDC s’apprête à attaquer la loi en référendum, parce qu’ils la jugent trop radicale, des critiques sont aussi émises du côté des militants du climat, qui la considèrent à l’inverse comme insuffisante, au point de la remettre en cause. La question de son impact économique et social est également régulièrement posée. J’aimerais tenter d’expliquer ici ce que comprend vraiment ce texte et de répondre aux principales questions qu’il suscite.

Qu’apporte la révision de la Loi sur le CO2 ?

Les bases légales actuelles définissent la politique climatique de la Suisse entre 2012 et 2020. À ce stade, elles ne contiennent aucune référence à l’accord de Paris sur le climat, ni aucun objectif pour l’après 2020. Le premier mérite de la révision de la Loi sur le CO2 est ainsi d’inscrire dans nos bases légales l’objectif de l’accord de Paris, à savoir le fait de ne pas dépasser un réchauffement de plus de 2 degrés, idéalement même de se maintenir en dessous d’un réchauffement de 1,5 degré. Pour ce faire, la Suisse prévoit de réduire ses émissions de moitié d’ici 2030, en réalisant les trois quarts de cette réduction sur son propre territoire. L’objectif visé est la neutralité climatique d’ici à 2050.

La loi définit également les mesures à prendre pour atteindre ces objectifs. Pour la première fois, ces mesures recouvrent l’ensemble des domaines émetteurs de CO2 dans notre pays, à l’exception de l’agriculture, qui reste traitée dans le cadre de la politique agricole. Jusqu’ici, aucune mesure n’était prévue pour réduire l’impact climatique de l’aviation et du secteur financier. C’était une lacune importante. Par ailleurs, la loi prolonge, renforce et complète les mesures qui étaient déjà en vigueur jusqu’ici dans le domaine de la mobilité et du bâtiment.

Avancées en matière de mobilité :

Notre politique climatique est actuellement en échec dans le domaine de la mobilité, dont les émissions augmentent alors qu’elles devraient reculer. Il est dès lors particulièrement important d’agir dans ce secteur. Voici les principales mesures prévues par la révisiom de la loi (automobile, aviation, transports publics et rail) :

  • Les importateurs de carburant devront compenser une part de plus en plus importante des émissions liées à leurs importations (jusqu’à 90 %), ce qui va générer, conformément au principe constitutionnel du pollueur-payeur, une hausse du prix de l’essence de 10 à 12 centimes au maximum (12 centimes dès 2025). Une telle mesure existe déjà actuellement, mais à petite échelle, sous la forme du centime climatique. Une partie des compensations aura lieu en Suisse, à 20 % dès 2025, et une part d’entre elles devra encourager le passage à l’électromobilité sur la base d’énergies renouvelables.
  • La révision permet de reprendre les normes européennes qui limitent de manière de plus en plus stricte la moyenne des émissions de CO2 des nouveaux véhicules importés en Suisse. D’ici à 2030, ces véhicules devront réduire de moitié leurs émissions de CO2 par rapport à la situation actuelle, ce qui permettra d’offrir aux automobiliste un vaste choix de véhicules moins polluants et de consommer beaucoup moins d’essence. En cas de non-respect de ces moyennes d’émission, des amendes seront imposées aux importateurs d’automobiles, dont les recettes seront en partie utilisées pour financer des mesures favorables au climat et à l’adaptation au changement climatique.
  • Le remplacement des bus diesel par des modèles électriques sera aussi encouragé, dès 2025 pour les bus urbains et 2030 pour les bus interurbains.
  • La révision de la loi prévoit en outre d’investir 30 millions de francs par an pour promouvoir les trains de nuits et les trains rapides à destination des villes européennes, comme alternative aux trajets en avion.
  • Comme c’est le cas dans la plupart des pays qui nous entourent, une taxe sur les tickets d’avion de 30 à 120 francs sera désormais prélevée. Elle sera modulée en fonction de la longueur du trajet et de la classe du ticket. Les recettes de cette taxe seront, via le fonds pour le climat, à moitié redistribuées directement à la population (par le bais d’une ristourne sur la facture d’assurance maladie obligatoire) et aux entreprises (par le biais de la caisse de compensation AVS), et à moitié redistribuées de manière ciblée, entre autres pour financer les 30 millions de francs alloués chaque année aux trains rapides et de nuit.
  • Les vols en avion privés seront également taxés, avec des montant bien plus élevés allant de 500 à 3’000 francs par trajet.

Avancées dans le domaine du bâtiment :

Notre politique climatique a été plus fructueuse jusqu’ici en matière de bâtiment, un domaine où les cantons sont aussi très actifs. Les mesures prévues dans le domaine du bâtiment par la révision de la Loi sur le CO2 sont les suivantes :

  • Une taxe incitative est déjà prélevée actuellement sur le mazout. Si les objectifs intermédiaires de réduction des émissions de CO2 prévus ne sont pas atteints, elle pourra être augmentée de 120 à 210 CHF la tonne au maximum. Comme c’était déjà le cas jusqu’ici, deux tiers des recettes seront remboursées directement à la population (via une ristourne sur la facture d’assurance maladie obligatoire) et aux entreprises (via la caisse de compensation AVS). Le tiers restant sera, comme ajourd’hui déjà, redistribué de manière ciblée, en étant investi pour soutenir la transition énergétique dans le bâtiment (soutiens aux travaux d’isolation et au changement de système de chauffage). Cette procédure passera par le fonds pour le climat, comme pour les moyens issus de la taxe incitative sur l’aviation.
  • Des exigences lors des changements de système de chauffage (limite maximale de 20kg d’émissions de CO2 par m2 chauffés) vont être imposées progressivement dans les cantons (dernier délai dès 2026) et rendre vraiment difficile l’installation de nouveaux chauffages à mazout.

Avancées dans le secteur financier :

Enfin, pour la première fois, le secteur financier est cité dans la Loi sur le CO2 grâce à la révision. Alors que les investissements de notre banque centrale et de notre place financière représentent un impact sur le climat qui dépasse de loin celui du reste de nos émissions dans l’ensemble du pays, il est essentiel que des mesures soient enfin prises :

  • Dès l’entrée en vigueur de la révision de la loi, la BNS et la FINMA devront analyser et tenir compte des risques climatiques auxquels la place financière suisse est exposée dans le cadre de leurs tâches de surveillance et de garantie de la stabilité de la place financière suisse.
  • Elles devront en outre en faire rapport régulièrement au Conseil fédéral et rendre ce rapport public, ce qui permettra un suivi régulier de l’évolution de la prise en compte des risques climatiques par notre place financière.

Quel sera l’impact de la révision de la loi sur le CO2 d’un point de vue social ?

Evidemment, la politique climatique a un coût. On sait cependant depuis le rapport de l’économiste Nicholas Stern, datant de 2006 déjà, que le fait de ne pas agir pour réduire nos émissions implique des coûts bien plus importants que le fait de prendre des mesures efficaces et rapides en faveur du climat.

Par ailleurs, la révision de la loi tient compte des exigences sociales et d’équité, en particulier du fait de sa dimension incitative et des encouragements qu’elle offre pour rendre les alternatives écologiques plus abordables. Il faut en particulier tenir compte des points suivants :

  • Ce sont les pollueurs qui doivent supporter les coûts de la politique climatique, selon le principe du pollueur-payeur inscrit dans notre Constitution. La révision de la loi permet de mieux appliquer ce principe. Si l’on ne fait pas payer les pollueurs, c’est l’ensemble de la population qui passe à la caisse, y compris ceux qui font des efforts pour adapter leurs pratiques, ainsi que les générations à venir. Ce n’est ni correct, ni équitable. Ceux qui polluent doivent payer.
  • Il se trouve que ceux qui polluent le plus, et qui doivent donc payer le plus, ont les moyens de payer. En effet, plusieurs études montrent que même si le revenu n’est pas le seul paramètre définissant l’empreinte écologique, ce sont quand même les classes les plus aisées de la population qui émettent le plus de CO2 et qui ont le plus gros impact environnemental, via leurs modes de vie et habitudes de consommation.
  • La révision de la loi a un fort effet incitatif. Cela signifie qu’elle permet à ceux qui ne souhaitent pas payer les taxes de les éviter en changeant de comportement : le but n’est pas que l’Etat se remplisse les poches sur le dos de la population, mais que la population adapte ses pratiques de manière écologique, échappant ainsi au surcoût lié aux pratiques et technologies polluantes. Pour que ces adaptations des pratiques soient possibles, il faut que des alternatives existent et qu’elles soient accessibles pour la population. La révision de la loi va dans ce sens en encourageant financièrement l’assainissement énergétique des bâtiments, le passage à l’électromobilité ou les trains nuit.
  • Les recettes des taxes retournent intégralement à la population, que ce soit par le biais des mesures de soutien ou des subventions aux pratiques et technologies écologiques, ou par le biais des versements directs aux entreprises (via la caisse de compensation AVS) et à la population (via la ristourne sur les factures d’assurances maladie obligatoire).
  • Ce mécanisme de redistribution a pour effet que ceux qui adoptent des comportements et des pratiques responsables sont gagnants financièrement. Il fonctionne de facto comme un système de bonus-malus.

Quel sera l’impact social dans le domaine de l’aviation ?

  • Pour ce qui est de la taxe sur les billets d’avion, par exemple, une étude montre que les ménages les plus modestes en profiteront. En Suisse, la plupart des gens volent raisonnablement, seule une petite partie d’entre eux prend l’avion de manière vraiment excessive. 5 % des passager causent ainsi 30 % des dommages climatiques. Ceux qui volent le plus sont les personnes qui gagnent plus de 12’000 francs par mois. Les jeunes urbains ont aussi une responsabilité élevée. Par contre, les familles à bas et à moyen revenu voyagent beaucoup moins en avion, ainsi que les personnes vivant dans les zones périphériques.
  • Dès lors, 60% de la population, et en particulier les familles les moins aisées, vont gagner de l’argent grâce au système de redistribution de la taxe. Si l’on compte l’impact des personnes étrangères qui payeront la taxe (les touristes qui rentrent chez eux et les vols d’affaire sur le retour) et qui ne recevront pas l’argent de la redistribution en retour, ce sont même 90 % de la population qui vont y gagner. Ceux qui en bénéficieront le plus sont les personnes avec un salaire de moins de 4000 francs (bilan positif pour 98 % de ces personnes). Le bilan sera par contre négatif pour 74 % des personnes gagnant plus de 12’000 francs par mois.[1]

Quel sera l’impact social dans le domaine automobile ?

  • En ce qui concerne les automobilistes, il n’y a pas de redistribution dans la mesure où la hausse du prix de l’essence est liée aux coûts des compensations d’un pourcentage de plus en plus élevé des importations de carburants et non à une taxe incitative. Cependant, l’impact sur le porte-monnaie de cette hausse progressive du prix de l’essence sera compensée par la réduction de la consommation d’essence des véhicules, due à l’application des nouvelles prescriptions européennes (réduction de 130g/CO2/km à 60g/CO2/km). En effet, ceux-ci consommeront en moyenne la moitié moins d’essence d’ici à 2030 (et une bonne partie du parc automobile plus d’essence du tout, mais de l’électricité, les voitures électriques étant par ailleurs bien plus avantageuses au km parcouru).[2]
  • Actuellement, le potentiel de réduction des dépenses liées à l’essence par les automobilistes suisses est déjà considérable. Les nouvelles voitures immatriculées dans notre pays sont en moyenne parmi les plus polluantes et les plus consommatrices d’essence d’Europe[3], ce qui laisse penser que les consommateurs suisses ne considèrent pas les dépenses liées à l’achat d’essence comme décisives pour leur budget. Les voitures consommant moins d’essence sont d’ailleurs également moins chères à l’achat. La marge de manœuvre de ceux qui considèrent que leur budget « essence » est aujourd’hui déjà trop lourd est donc importante et accessible également aux ménages disposant de moyens plus modestes.
  • Ces considérations valent évidemment pour les trajets qui doivent être réalisés en voiture, notamment parce qu’ils ne sont pas bien desservis par les transports publics. Ces derniers peuvent paraître onéreux lorsque l’on considère le prix d’un billet de train. Cependant, si l’on compare le coût d’un abonnement général à celui d’un véhicule à l’année, la solution des transports publics est souvent meilleur marché. Elle peut être complétée par un budget pour de l’auto-partage lorsque l’usage de la voiture est par moment nécessaire.
  • Enfin, les politiques post-confinement qui sont actuellement mises en place en matière de mobilité douce vont rendre les déplacements à vélo plus sûrs. Le nouvel article constitutionnel sur les infrastructures cyclistes va dans le même sens. Comme 60 % des déplacements en Suisse ont lieu sur une distance de moins de 5 kilomètres, le potentiel d’utilisation du vélo, qui représente évidemment un coût bien inférieur à la voiture, est très important.
  • Bref, même avec une hausse du prix de l’essence – qui restera d’ailleurs raisonnable par rapport aux fluctuations des prix auxquelles les automobilistes sont usuellement soumis – il sera toujours possible de se déplacer de manière à la fois écologique et abordable, que ce soit en modifiant son comportement ou en choisissant un véhicule plus économique.

Quel sera l’impact social dans le domaine du bâtiment ?

  • Pour ce qui est du chauffage, la hausse de la taxe sur le mazout devrait être compensées par les mesures d’isolation des bâtiments (voire abolie en cas de changement de système de chauffage), soutenues par un tiers des recettes de la taxe. En effet, ces mesures vont réduire la consommation de mazout nécessaire pour assurer le même niveau de confort en matière de chaleur.
  • Les nouveaux bâtiments n’utiliseront en outre plus du tout de mazout (c’est déjà largement le cas) et, lorsque les chaudières actuellement en service seront parvenues en fin de vie, les propriétaires devront les remplacer par des chauffages ne consommant plus de mazout, qui sont aussi plus avantageux pour les locataires à l’usage.
  • Actuellement, la plupart des logements sont enfin surchauffés. Des économies d’énergies et d’argent pourraient aussi être réalisées de ce point de vue.

Quel serait le résultat d’un refus de la Loi sur le CO2 ?

Certains militants du climat sont tentés de refuser la Loi sur le CO2, considérant qu’elle ne va pas assez loin. S’il est vrai qu’elle est insuffisante et devra être complétée, un refus ne représenterait cependant pas un progrès. Ce serait au contraire un bel auto-goal, pour les raisons suivantes :

  • La loi actuelle couvre la période allant de 2013 à 2020, qui suit celle qui était auparavant couverte par le Protocole de Kyoto. La révision de la loi permet de fixer un objectif pour 2030 et de prendre les mesures nécessaires pour les atteindre. Tant cet objectif que ces mesures seraient jetées à la poubelle en cas de rejet de la révision de la loi.
  • Si la révision était rejetée, il faudrait recommencer complètement ce processus, sur la base d’une interprétation des résultats du vote. Dans l’intervalle, il faudrait prolonger la loi actuelle, encore bien plus insuffisante que la loi révisée, de plusieurs années.
  • Le processus législatif prendrait à nouveau plusieurs années et rien ne garantit que le résultat ne serait pas à nouveau attaqué en référendum. Cela signifie un retard important pour la politique climatique suisse, alors que nous sommes dans une situation d’urgence climatique et qu’il est vital de prendre des mesures très rapidement.
  • Dans l’intervalle, la loi actuelle ne permettrait pas de prendre des mesures dans le domaine de la finance ou de l’aviation, alors que ces domaines sont centraux pour la réduction de nos émissions et pour la justice climatique. Les prescriptions dans le domaine de la mobilité (nouvelles voitures moins polluantes) ainsi que dans le domaine du bâtiment (barrage à l’installation de nouvelles centrales à mazout), ne seraient plus applicables. Les soutiens à la transition vers l’électromobilité ainsi qu’aux trains de nuit ne pourraient plus se faire. Le seul domaine où nous aurions une marge de manœuvre (mais moindre), serait éventuellement de réhausser la taxe CO2 sur le mazout.
  • Outre le retard dans la mise en œuvre de mesures efficaces, rien ne garantit qu’une nouvelle révision de la loi serait plus progressiste, bien au contraire. Les résultats du vote seront interprétés sur la base des arguments qui seront majoritairement échangés pendant la campagne. Le référendum sera mené par l’UDC, dont l’objectif est non pas d’obtenir plus de politique climatique, mais d’en avoir beaucoup moins, indépendamment des instruments. C’est ce qui restera du vote.
  • La majorité de droite du parlement profitera dès lors de la situation pour proposer une nouvelle version au rabais de la loi. Plusieurs mesures n’ont pu passer la rampe que de justesse et qu’au prix d’efforts considérables des milieux progressistes, partis politiques, associations environnementales et scientifiques, travaillant depuis des années main dans la main. Ce serait un gâchis considérable.
  • Nous avons au contraire besoin d’obtenir un bon résultat devant le peuple pour pouvoir aller vers les étapes suivantes. Un bon résultat nous renforcera face à la majorité de droite et nous permettra de venir avec des mesures supplémentaires avec des chances optimales de les faire passer. Dans l’intervalle, les mesures prévues par la révision, qui constituent déjà indiscutablement un pas en avant, pourront déjà être mises en œuvre et amorceront la transition.
  • Enfin, contrairement à ce que pensent certains, l’accord de Paris n’est pas contraignant, si ce n’est dans le sens où il engage ses signataires à se fixer des objectifs allant dans le sens de la neutralité climatique en 2050, à définir des mesures pour les atteindre et à en informer régulièrement les autres signataires. Si un pays ne suit pas correctement cette procédure, le fait en retard, se fixe des objectifs insuffisants, ne prend pas des mesures adaptées pour les atteindre ou n’informe pas correctement les autres signataires, il n’y a pas de sanction. Il ne faut donc pas attendre des miracles qui viendraient de l’exérieur et changeraient soudainement la donne dans le sens d’objectifs plus élevés ou de mesures plus efficaces. Nous ne pouvons compter que sur notre propre engagement et sur nos propres processus décisionnels et démocratiques.
  • En un mot comme en cent, ce n’est pas en refusant de faire le premier pas que nous avancerons plus vite. Faisons au contraire ce premier pas de manière ferme, rapide et décidée, et continuons ensemble jusqu’à ce que nous ayons atteint notre but.

Quelles prochaines étapes seraient souhaitables ?

La révision aujourd’hui sous toit reste insuffisante à nos yeux. Voici quelques pistes non-exhaustives pour des mesures supplémentaires, dont nous devons commencer à parler dès aujourd’hui :

Une politique alimentaire pour le climat :

  • La politique agricole peut et doit contribuer aux atteintes des objectifs climatiques. Pour ce faire, il faut qu’elle évolue vers une politique alimentaire, incluant toutes les étapes de la chaîne de valeur, jusqu’à la consommation, ainsi que les importations.
  • Notre surconsommation de produits carnés constitue un problème important de santé publique, implique des maltraitances animales et a un impact inacceptable sur le climat. Depuis quelques années, cette consommation amorce un virage à la baisse, mais il y a encore beaucoup à faire. Le Conseil fédéral reconnaît ce problème et le considère notamment dans sa Stratégie suisse de nutrition 2017-2024[4]. Cependant, la Confédération dépense encore chaque année plusieurs millions de francs pour soutenir la promotion de la consommation de viande. Des mesures ciblées encourageant une consommation locale, de saison, écologique, mais aussi moins carnée, devraient au contraire être prises. Actuellement, nos instruments de politique agricole soutiennent en outre beaucoup plus fortement la production animale que la production végétale. Un rééquilibrage devrait avoir lieu à ce niveau également. Une production plus végétale permettrait en outre de renforcer le taux d’auto-approvisionnement alimentaire de notre pays, puisqu’elle est plus efficiente : actuellement, la moitié des terres arables de notre pays est vouée au fourrage, c’est-à-dire à de la nourriture pour animaux plutôt que pour les êtres humains. Et nous importons encore en quantité des aliments pour nourrir les porcs et les volailles que nous consommons. Ce n’est ni rationnel, ni écologique.
  • La politique agricole devrait aussi inclure une réflexion sur les échanges internationaux dans le domaine alimentaire. La politique de libre-échange actuelle favorise les transports absurdes de marchandises et en particulier de produits agricoles, souvent issus de modes de production qui ne correspondent pas à nos standards écologiques et sociaux. A l’avenir, il faudrait favoriser beaucoup plus les marchés régionaux et cesser de traiter les produits agricoles comme des monnaies d’échange pour nos exportations. Des exigences écologiques et sociales crédibles devraient en outre être imposées aux produits que nous continuons à importer.

Exclure les nouvelles voitures émettrices de CO2 et encourager le partage :

  • Dans le domaine de la mobilité automobile, les mesures prises jusqu’ici n’ont jamais permis d’atteindre les objectifs climatiques que nous nous étions fixés.[5]
  • Les moyennes d’émissions de CO2 telles que prévues ont en outre un effet pervers : chaque voiture émettant pas ou peu de CO2 permet aux importateurs d’importer des SUV hautement polluants. Nous devons agir dans ce domaine comme nous l’avons fait dans le domaine énergétique en matière de sortie du nucléaire : à partir d’une date donnée, on n’accepte plus de nouvelle installation polluante. La Stratégie énergétique 2050 a ainsi interdit la construction de nouvelles centrales nucléaires dans notre pays. De nombreux pays ont d’ores et déjà adopté cet instrument en annonçant une date à partir de laquelle les nouvelles voitures immatriculées ne pourront plus émettre de CO2. Les plus ambitieux, à l’image de la Norvège, ont choisi de fixer ce délai à 2025. Beaucoup d’autres, comme l’Islande, l’Irlande ou la Hollande, ont choisi de fixer ce délai à 2030. Cette méthode simple et claire offre des résultats plus sûrs que des moyennes d’émissions (qui n’ont jusqu’ici pas été respectées, notamment du fait de sanctions insuffisantes) ou que des taxes incitatives, dont l’impact sur les comportements reste incertain (comme le montre la situation actuelle, le choix des véhicules dépend tout autant voire plus d’effets de mode que du prix de l’essence). En fixant un tel délai, on sait qu’à l’issue de la durée de vie des véhicules encore en fonction (moins d’une dizaine d’années), la flotte sera assainie, puisque les nouveaux véhicules arrivant sur le marché ne sont désormais plus émetteurs de CO2. De plus, une telle mesure repose sur l’engagement des producteurs et importateurs de véhicules et encourage l’innovation. Les taxes incitatives ciblent, elles, le porte-monnaie de l’automobiliste, ce qui peut poser des problèmes d’acceptation au sein de la population.
  • S’il est important de favoriser le remplacement des voitures à essence par des voitures à zéro-émission de CO2, il n’en reste pas moins qu’il est toujours plus écologique de prendre les transports publics ou de se déplacer à vélo ou à pied. Les infrastructures pour le vélo et la marche à pied devraient être grandement améliorées dans les années à venir, en particulier dans les agglomérations, notamment dans le cadre de la mise en œuvre du nouvel article constitutionnel sur le vélo. La Suisse dispose par ailleurs déjà de transports publics très performants, mais ils pourraient être encore améliorés dans certaines régions et rendus plus abordables.
  • La frontière entre transports individuels et en commun pourrait par ailleurs devenir plus floue à l’avenir, avec la généralisation de flottes de véhicules à zéro-émission de CO2 accessibles en partage. Ceci permettrait à toutes et à tous de profiter de prestations élevées en matière de mobilité et d’autonomie, à un prix bien plus accessible et en ménageant les ressources. Ces véhicules en partage seront peut-être un jour automatisés.

Favoriser l’innovation et un assainissement accéléré des bâtiments :

  • Les mesures actuelles dans le domaine du bâtiment, en particulier la taxe CO2 sur le mazout et le programme bâtiments qui réinvestit ses recettes dans l’isolation et le changement de systèmes de chauffage, fonctionnent plutôt bien. Cependant, le rythme d’assainissement du bâti existant est beaucoup trop lent. Avec un pour-cent du parc immobilier assaini par année, il faudra un siècle pour achever la transition. La révision de la Loi sur le CO2 va accélérer ce processus, mais probablement pas assez. Des objectifs quantitatifs en matière d’assainissement devraient être fixés et les moyens nécessaires investis, afin d’adopter un rythme beaucoup plus rapide. Cela aurait d’ailleurs l’avantage de générer encore plus d’emploi et de plus-value localement ancrés.
  • Par ailleurs, les prescriptions actuelles pour les nouveaux bâtiments devraient être considérablement renforcées. Aujourd’hui, on est capable de construire des bâtiments qui produisent de l’énergie plutôt qu’ils n’en consomment. Les prescriptions devraient être adaptées à un rythme bien plus élevé à ce type d’innovation.

Des objectifs contraignants et plus de transparence pour la place financière :

  • Les mesures prévues dans la révision de la Loi sur le CO2 en matière de finance sont un premier pas encore très modeste. La prise en compte des risques climatiques par l’ensemble des acteurs financiers doit être rapidement généralisée.
  • Pour la compléter, il faut imposer à ce secteur des objectifs contraignants de réduction des émissions de CO2. Peu importe la manière dont ces objectifs seront atteints : il est possible de désinvestir des entreprises fossiles, d’investir de manière ciblée dans les entreprises innovantes et responsables, ou encore de s’engager auprès des entreprises dont on exige un changement de cap. L’essentiel est qu’à terme, notre place financière devienne un levier de la transition écologique, plutôt qu’un appui pour un monde fossile révolu.
  • Par ailleurs, pour que cette transition soit possible, il est impératif d’instaurer plus de transparence sur l’ impact climatique tant des entreprises que des acteurs financiers.

Une transition rapide vers plus d’efficience et les énergies renouvelables :

  • Les mesures de politique climatique s’orientent, d’une part, vers plus d’efficience énergétique (par exemple lors de l’isolation des bâtiments) et, d’autre part, vers le passage de l’utilisation d’énergies fossiles à l’utilisation d’énergies renouvelables (par exemple lors du changement de système de chauffage).
  • Il est essentiel de ne pas négliger les économies d’énergie et l’efficience dans ce processus, que ce soit d’un point de vue écologique ou économique. On a par exemple tendance à vouloir remplacer chaque voiture à essence par une voiture électrique, voire chaque SUV à essence par un SUV électrique. Ce n’est pas le plus rationnel ! Mieux vaut commencer par choisir le bon instrument pour le bon usage, par exemple le vélo ou la marche à pied pour de petits trajets en ville ou une voiture qui soit d’abord économique et d’un format adapté, si l’on n’a pas un bon service de transports pulics. Des mesures devraient être prises contre le gaspillage énergétique partout où cela est possible. Les SUV utilisés dans des contextes où ils ne sont pas nécessaires sont un excellent exemple d’aberration à rectifier.
  • Dans tous les cas cependant, notre consommation d’énergies fossiles, quelle qu’elle soit, va devoir être remplacée par des énergies renouvelables. Or plusieurs instruments de promotion de ces dernières vont échoir dans les années à venir, car ils ont été prévus pour une durée limitée dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050. Il est dès lors urgent de les prolonger et de les renforcer, car là aussi, le rythme de développement actuel est trop lent. Nous avons besoin de produire beaucoup plus d’énergie renouvelable, et vite. Le potentiel du solaire est notamment gravement sous-exploité. Corriger ces lacunes sera la tâche du parlement dans le cadre de la révision de la Loi sur l’énergie, qui va débuter en 2021. Comme les mesures d’efficience dans le bâtiment, une telle offensive en faveur des énergies renouvelables aura un effet positif sur l’emploi comme sur notre économie.

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[1] Ces chiffres sont issus d’une étude Sotomo, intitulée Grundlagenstudie Flugticketabgabe Schweiz, sortie en mars 2020 et dont le Tages Anzeiger a notamment rendu compte dans son édition du 5 juin 2020.

[2] Sur les avantages de l’électromobilité, voir mon blog : https://blogs.letemps.ch/adele-thorens/2017/08/16/pourquoi-il-faut-accelerer-la-transition-vers-lelectromobilite/. Depuis sa publication, plusieurs nouvelles études sont venues confirmer le fait que l’impact global de ces véhicules est moindre par rapport à celui des véhicules à essence, même avec le mix énergétique suisse actuel (il n’en reste pas moins que quand on en a le choix, il vaut toujours mieux se déplacer en transports publics ou en mobilité douce). Par ailleurs des entreprises suisses, à l’image de Batrec, dans l’Oberland bernois, se positionnent actuellement sur le recyclage des batteries avec succès, ce qui est un enjeu important.

[3] Un véhicule sur deux nouvellement immatriculé en Suisse est un SUV, des véhicules particulièrement énergivores. Ces véhicules sont très présents en plaine et dans les agglomérations et ne répondent donc pas tous, loin s’en faut, à des contraintes de type topographique. Ils répondent plutôt à un effet de mode.

[4] https://www.blv.admin.ch/blv/fr/home/das-blv/strategien/schweizer-ernaehrungsstrategie.html Selon l’état des lieux décrit par la Stratégie suisse de nutrition, nous consommons trois fois trop de viande.

[5] https://blogs.letemps.ch/adele-thorens/2017/06/27/pourquoi-notre-politique-climatique-est-un-echec-en-matiere-de-mobilite/

 

Pourquoi il faut rejeter l’initiative de l’UDC contre les bilatérales

Nous voterons le 27 septembre sur l’initiative UDC dite « de limitation ». Elle propose d’inscrire dans la Constitution un article dont l’intitulé est très clair : « Immigration sans libre circulation des personnes ». En cas d’acceptation par le peuple, la Confédération disposerait d’un an pour négocier la fin de l’accord sur la libre circulation des personnes avec Bruxelles. Cette initiative constitue une attaque frontale contre les valeurs progressistes d’ouverture et de bon voisinage qui font la force de notre pays, contre notre liberté de nous mouvoir et d’être actifs sur le continent européen, mais aussi contre une société et une économie orientées sur la durabilité.

Notre liberté de circuler en Europe est menacée

L’UDC ne parle que d’un aspect de la libre ciruclation des personnes, l’immigration. Pourtant, l’accord va dans les deux sens, en nous offrant la réciprocité : près de 480’000 Suisses vivent dans les pays européens. En s’attaquant à la libre circulation des personnes, l’initiative ne fermerait dès lors pas seulement les portes de notre pays aux Européens, à leurs compétences et à leur force de travail. Elle nous empêcherait aussi, nous qui vivons en Suisse, de décider, sous les mêmes conditions que celles que nous imposons aux Européens qui viennent chez nous[1], d’aller vivre et travailler à Paris, à Berlin ou dans n’importe quelle ville ou localité de l’Union européenne. C’est une liberté que l’accord sur la libre circulation des personnes nous octroie et dont nous serions privés.

De plus, si l’initiative ne cite que la libre circulation des personnes, elle concerne en réalité plusieurs autres importants accords, qui constituent tous ensemble la voie bilatérale. Une voie que notre pays a patiemment construite depuis près de vingt ans, pour éviter de se retrouver face à la délicate alternative entre adhésion et Alleingang. Sont ainsi également menacés les accords sur la suppression des obstacles techniques au commerce, sur l’agriculture, sur les transports terrestres, sur le transport aérien, sur les marchés publics et sur la recherche.

Le recherche et l’innovation sont en danger

L’accord sur la recherche est particulièrement important. Il permet aux chercheurs et aux entreprises suisses de participer aux programmes-cadre de recherche de l’Union européenne, qui dispose de moyens très importants en comparaison avec les soutiens octroyés en Suisse. Cette participation est primordiale pour maintenir le niveau d’innovation qui fait la force de notre pays, qui plus est à un moment où nous avons urgemment besoin de développer de nouvelles solutions et de nouvelles technologies, en particulier en lien avec la crise sanitaire et avec la crise écologique. Notre place scientifique et nos jeunes chercheurs ne peuvent pas se passer de cet accord. Il est par ailleurs logique de collaborer avec nos voisins dans le domaine des transports. L’accord sur les transports terrestres a notamment permis une coordination entre la Suisse et l’Union européenne dans le cadre de l’application de l’objectif suisse de transfert de la route au rail du trafic poids lourds à travers les Alpes.

Les accords sur la suppression des obstacles techniques au commerce, sur l’agriculture et sur les marchés publics sont en outre importants pour assurer l’accès facilité de nos entreprises au grand marché européen. Les entreprises suisses peuvent faire examiner plus simplement la conformité de leurs produits, pour les proposer ensuite sur le marché européen ; de nombreux emplois dans notre pays en dépendent. L’exportation de produits alimentaires comme le fromage est également facilitée, ainsi que la reconnaissance de prescriptions, par exemple dans le domaine de l’agriculture biologique, ou l’accès à des semences à meilleur prix pour les agriculteurs.

Privilégier le commerce avec nos voisins

Les échanges économiques internationaux sont très importants pour un petit pays comme le nôtre. Nous gagnons deux francs sur cinq grâce à eux. Le marché européen est aujourd’hui notre premier débouché, puisqu’il absorbe plus de la moitié des exportations suisses de services et de marchandises. C’est une bonne chose. D’un point de vue écologique, il faut limiter les transports inutiles. Cela implique de favoriser d’abord les marchés locaux, à l’échelle régionale et nationale puis, dans le cas des échanges internationaux, les marchés les plus proches de nos frontières. Notre pays est au cœur de l’Europe et il est logique que nos premiers partenaires commerciaux soient nos voisins.

Si nous perdions les accès privilégiés que nous avons obtenus vers le marché européen, nos entreprises se tourneraient vraisemblablement vers des marchés plus lointains. On assisterait alors probablement à un renforcement de la politique de libre-échange amorcée depuis quelques années par le Conseil fédéral. Cette politique implique non seulement des échanges commerciaux sur de très longues distances, mais aussi des concessions importantes en termes écologique et social, lorsque nous acceptons de faciliter l’importation de produits issus de pays où les réglementations environnementales et les conditions de travail sont très éloignés de nos standards. C’est une absurdité que nous devons éviter.

Continuer à participer au projet européen

Les arguments économiques sont certes importants, mais ils ne sont pas le seul enjeu de ce vote. En s’attaquant aux bilatérales, l’UDC remet en cause la voie que la Suisse a choisie depuis des années pour participer, à sa manière, au projet européen. A l’image des populistes du monde entier, l’UDC mise sur l’isolement, rejetant toute velléité d’échange, de dialogue ou de collaboration au niveau international. Elle le fait au mépris de la tradition d’ouverture de notre pays qui, ne serait-ce que du fait de sa petite taille et de sa situation géographique, a au contraire tout à gagner de relations saines avec ses voisins. Notre époque, marquée par les enjeux globaux, avec la crise sanitaire, la crise climatique, l’érosion de la biodiversité, la raréfaction des ressources, ou encore la numérisation, exige des réponses coordonnées entre les différents pays et un haut degré de coopération. La propagation de la pandémie nous l’a encore rappelé ces derniers mois. Dans un tel contexte, l’isolationnisme est absurde et suicidaire.

Apporter des réponses ciblées aux vrais problèmes

Évidemment, l’UDC va mettre en avant, dans le cadre de sa campagne, une série de problèmes qui sont bien réels, adoptant parfois la perspective du débat que nous avons mené jadis autour de l’initiative Ecopop. Encore une fois, ce n’est pas en nous isolant du monde que nous résoudrons les problèmes d’accès au logement ou de surcharge des transports qui touchent certaines régions, mais via des politiques du logement et des transports crédibles. Le dumping salarial, qui touche plusieurs cantons, doit également être pris au sérieux. Les accords bilatéraux sont à l’origine de progrès dans ce domaine, via les mesures d’accompagnement, qui permettent de contrôler les salaires et les conditions de travail. Selon les syndicats, une acceptation de l’initiative mettrait en danger ce dispositif de protection des salaires, qu’ils décrivent comme le plus important et le plus efficace de toute l’Europe. Si nous voulons améliorer encore la situation sur le front des salaires, c’est en renforçant l’application de ce dispositif dans les régions où des problèmes de dumping salarial persistent et non en le remettant brutalement en cause. La rupture de l’accès facilité de nos entreprises au marché européen aggraverait en outre davantage encore les difficultés économiques actuelles liées à la pandémie. Elle aurait des conséquences sociales funestes pour la population suisse. Personne n’aurait à y gagner.

Il est, dès lors aujourd’hui plus que jamais, clairement dans notre intérêt de refuser l’initiative contre les bilatérales.

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[1] La libre-circulation leur permet aujourd’hui de s’installer dans notre pays, mais sous certaines conditions seulement : ils doivent possèder un contrat de travail, être indépendants ou disposer de moyens financiers suffisants. Ils doivent aussi être couverts par une assurance maladie.

Climat : la politique d’investissement de la BNS n’est plus une vache sacrée

En décembre 2016, une petite ONG fribourgeoise, les Artisans de la transition, publiait un rapport explosif intitulé « Les investissements de la BNS dans l’industrie fossile aux Etats-Unis : une catastrophe financière et pour le climat ». Ce rapport, qui a été mis à jour plusieurs fois depuis lors, montrait que le portefeuille d’actions de la BNS aux Etats-Unis était investi à plus de 10 % dans les énergies fossiles et engendrait des émissions de CO2 qui doublaient l’empreinte climatique de la Suisse. Non seulement ces investissements contribuaient à la destruction du climat, mais ils avaient en plus causé pour la BNS des pertes de 4 milliards de francs durant les trois années précédentes.

La BNS est au-dessus des accords internationaux

J’interpelais le Conseil fédéral sur cette base, en février 2017. Comment notre banque nationale pouvait-elle investir en totale opposition avec les engagements pris par la Suisse dans le cadre de l’accord de Paris ? Celui-ci exige en effet que les flux financiers soient mis à contribution pour réduire nos émissions de CO2. Le Conseil fédéral me répondait, en substance, « circulez, il n’y a rien à voir ». Il affirmait que les conclusions du rapport des Artisans de la transition n’étaient pas vérifiables et me rappelait que la BNS s’était fixé une directive, selon laquelle elle renonçait à investir dans des actions d’entreprises qui causent, de manière systématique, de graves dommages à l’environnement. Il en concluait qu’elle prenait au sérieux sa responabilité d’investisseur institutionnel. Il me rappelait en outre que la BNS investissait de manière neutre et que ses choix reflétaient donc ceux du marché. Enfin, il affirmait que, la BNS étant indépendante, il ne souhaitait en aucun cas influer sur sa politique de placement.

Je découvrais ainsi que la BNS était au-dessus des accords internationaux. Elle pouvait, sans devoir rendre de comptes à personne, agir en opposition avec les décisions, engagements et politiques publiques de notre pays, qui plus est concernant l’un des enjeux les plus importants de ce siècle. Je déposais alors une initiative parlementaire, en juin 2017, demandant de modifier le mandat de la BNS, pour qu’elle soit au moins soumise aux buts que la Confédération s’est assignés dans le cadre de notre Constitution, en particulier le développement durable et la conservation des ressources naturelles. En décembre 2018, le Conseil national refusait de donner suite à ce texte, évoquant encore une fois la sacro-sainte indépendance de notre banque nationale. Y compris à l’égard de notre propre Constitution.

Le Conseil fédéral est désormais prêt à aborder ces questions

Pourtant, même les tabous les plus solides peuvent être remis en question. Aujourd’hui, le 15 juin 2020, un postulat est soumis au Conseil national, avec de bonnes chances d’y être accepté. Il demande au Conseil fédéral d’établir un rapport, indiquant comment la Banque nationale peut soutenir la Confédération dans la réalisation de ses objectifs de développement durable et quel rôle actif elle peut jouer en matière de coordination des mesures climatiques dans le secteur financier. Non seulement ce texte a obtenu une majorité à la commission de l’économie du Conseil national, mais le Conseil fédéral s’est dit prêt à y répondre, car il « observe depuis quelques temps l’intérêt croissant que suscitent ces questions ».

Il faut dire que depuis 2017, de nombreux collègues, issus de différents partis, m’ont emboité le pas, ont déposé des interventions parlementaires et maintenu une pression décisive sur le Conseil fédéral et sur la BNS. La question des risques climatiques et financiers des investissements carbone a été largement reconnue au sein du secteur financier, mais aussi débattue auprès de l’opinion publique ces dernières années. L’Alliance climat, qui réunit les ONG actives sur ce thème, s’est beaucoup engagée pour sensibiliser le grand public à ces enjeux. Il s’agit finalement d’une question de bon sens, mais aussi d’équité. On ne peut pas demander à la population et aux PME suisses de s’engager pour réduire leurs émissions de CO2, alors que notre banque nationale sape au même moment ces efforts, en investissant massivement dans les énergies fossiles. Enfin, de nombreuses banques centrales, en Europe et ailleurs, ont réagi et pris des mesures, pour contribuer aux engagements de l’accord de Paris. Alors que la BNS et la FINMA ont adhéré au Network of Central Banks and Supervisors for Greening de Financial System (NGFS) – sans pour autant que cela ait débouché sur des mesures concrètes à ce jour – le Conseil fédéral ne pouvait pas continuer à se voiler la face.

La BNS doit tenir compte des risques climatiques

Il ne s’agit pas de s’attaquer à l’indépendance de la BNS, mais simplement de prendre acte du fait qu’elle n’existe pas hors du monde. Elle évolue dans un contexte économique, social et écologique, affecté par des changements rapides. Elle doit en tenir compte dans le cadre de ses propres investissements, tout comme dans l’accomplissement de son mandat au service de l’intérêt général du pays et de la stabilité du système financier.

Le Conseil national vient d’ailleurs d’accepter une modification de la Loi sur le CO2 qui va dans ce sens. Elle exige de la BNS et de la FINMA qu’elles considèrent les risques climatiques dans le cadre de leurs analyses, et qu’elles en fassent régulièrement rapport au Conseil fédéral. Oui, le monde change, et la vague verte est passée par là. Chacun doit faire sa part pour préserver notre climat. La BNS comme les autres.

Économie circulaire : le contre-projet à l’initiative pour une économie verte renaît

Une des premières décisions du parlement conservateur élu en 2015 fut d’enterrer, à quelques voix près, le contre-projet à l’initiative pour une économie verte. Or, le parlement plus progressiste élu en 2019 pourrait lui rendre vie ! La commission de l’environnement du Conseil national vient en effet d’accepter en bloc un bouquet d’initiatives parlementaires, qui en reprend les principaux contenus.

Prioriser la valorisation matérielle des déchets

Il s’agit tout d’abord d’inscrire la gestion durable des ressources dans la loi sur la protection de l’environnement, qui est actuellement encore orientée sur le traitement des pollutions. Le Conseil fédéral pourrait, dans ce contexte, proposer des objectifs quantitatifs, afin de favoriser la préservation des ressources. Ensuite, la priorité à la valorisation matière des déchets, un principe essentiel de l’économie circulaire, devrait être introduite. La Suisse fait partie des plus gros producteurs de déchets d’Europe. Certes, on valorise souvent ces déchets en termes d’énergie, en récupérant la chaleur des centrales d’incinération. Mais, avant d’en arriver là, il serait plus intelligent de concevoir dès le départ les produits de manière à minimiser leur impact écologique, de prolonger leur durée de vie, de les réparer, de les réutiliser et, enfin, quand tout cela n’est plus possible, d’en recycler les matériaux. C’est ainsi que l’on maintient le mieux leur valeur, tant économique qu’écologique. Plusieurs types de matériaux, dont la valorisation matière devrait s’imposer, sont cités, en particulier les métaux, que l’on retrouve encore en quantité dans les scories des usines d’incinération, mais aussi les déchets de chantier ou le phosphore. Le Conseil fédéral devrait aussi soutenir une plateforme de promotion de l’économie circulaire, permettant des échanges de bonnes pratiques entre entreprises. Il pourrait en outre créer des incitations pour réduire les emballages inutiles, ou imposer, pour ces emballages, l’utilisation de matériaux circulaires ou une obligation de collecte. Enfin, le Conseil fédéral pourrait réaliser des conventions d’objectifs avec les branches économiques, visant à réduire le gaspillage de ressources.

Une coalition inter-partis et une évolution des mentalités

Si ces propositions revivent aujourd’hui, c’est parce qu’un petit groupe de parlementaires, membres des Verts, qui lancèrent l’initiative pour une économie verte, mais aussi des Vert’ libéraux, du PS, du PDC et du PBD, a fait le pari que le nouveau parlement serait plus progressiste, et décidé de donner au contre-projet une deuxième chance. Le pari est en voie d’être gagné, puisque même le PLR semble avoir changé d’avis, lui qui avait, jadis, largement contribué à l’échec du contre-projet. Il faut dire que les mentalités ont évolué depuis lors. L’économie circulaire, dont l’initiative pour une économie verte voulait inscrire les principes dans la Constitution, est désormais mieux connue. La création de la plateforme Circular Economy Switzerland y a certainement contribué. Des interventions parlementaires en faveur d’une gestion plus durable des ressources, que ce soit en luttant contre l’obsolescence programmée, en favorisant de nouveaux modèles d’affaire, ou en améliorant les possibilités de réemploi ou de recyclage, n’ont cessé d’être déposées au parlement ces dernières années. Certaines d’entre elles ont été acceptées. Le temps de l’économie circulaire semble enfin être venu ! Pour celles et ceux qui s’engagent en sa faveur depuis plus d’une décennie, c’est un immense soulagement.

Renforcer notre autonomie et créer de la plus-value localement

La crise sanitaire ne devrait pas ralentir cet heureux processus. En effet, l’économie circulaire fait écho à des leçons que nous devons en tirer. Elle permet de réduire notre dépendance face aux importations de matières premières, en évitant de les gaspiller et en optimisant leur (ré)usage sur le long terme. Elle permet aussi de créer localement de la plus-value et de l’emploi, en encourageant les circuits courts et des activités comme la réparation, l’entretien ou l’économie de fonctionnalité (vente de l’usage plutôt que de la propriété d’un bien). Bref, nous avons tout à y gagner, aujourd’hui plus que jamais. Il est grand temps de quitter les schémas obsolètes et destructeurs de l’économie linéaire, pour entrer enfin dans l’économie durable de demain.

 

Crise du coronavirus : la BNS doit soutenir la Confédération et les cantons en puisant dans ses réserves

Alors que nous abordons la phase du déconfinement, la question des conséquences économiques et financière du ralentissement de nos activités se pose de manière de plus en plus vive. Pour la Confédération, il faut d’ores et déjà compter avec une aggravation des charges d’au minimum 15 milliards de francs, qui pourrait s’alourdir avec des abandons de créances dans les années qui viennent. Des pertes sur les recettes de la TVA et sur l’impôt fédéral direct sont aussi prévisibles. Les cantons et les communes seront aussi touchés par des baisses de leurs recettes fiscales. Des plans d’austérité de la part des collectivités publiques pourraient dès lors s’annoncer dans les années à venir, ce qui risque de nous précipiter dans un cercle vicieux.

La distribution des bénéfices de la BNS est artificiellement limitée

Pour éviter cela, la BNS pourrait être mise à contribution. Aujourd’hui déjà, elle participe au financement des collectivités publiques, puisqu’elle verse deux tiers de ses bénéfices aux cantons, un tiers à la Confédération. Ces bénéfices ont été considérables ces dernières années, au point qu’une convention a été signée entre la BNS et la Confédération, moyennant la consultation des cantons, pour éviter une redistribution trop importante. Elle est désormais limitée à 4 milliards de francs par année. Une réserve, composée des montants qui n’ont pas été redistribués, a ainsi été constituée. Elle se monte actuellement à 84 milliards de francs.

Nous avons besoin de plans de relance, plutôt que d’austérité

La limitation de la redistribution des bénéfices de la BNS aux collectivités publiques n’est plus acceptable dans le contexte actuel. Dans les semaines et les mois à venir, nous allons réaliser de plus en plus concrètement l’ampleur des dégâts infligés à l’économie par la crise sanitaire. Des secteurs entiers, comme le tourisme, la restauration ou les activités liées à de grands événements, sont sinistrés. De nombreuses petites entreprises, ainsi que des indépendants, risquent de devoir mettre la clé sous le paillasson, malgré les soutiens de la Confédération et des cantons. Le taux de chômage pourrait subir une forte augmentation, avec toutes les difficultés humaines et sociales que cela implique.

La transition écologique exige des investissements rapides

Parallèlement à ces enjeux économiques et sociaux, la crise climatique et la transition énergétique exigent des investissements importants de la part de la population, des entreprises et des collectivités publiques. Nous n’avons que quelques années pour agir, de manière déterminée, si nous voulons atteindre les objectifs de l’accord de Paris et préserver le monde de nos enfants et petits-enfants. Nous devons prendre des mesures rapidement, sans quoi nous dépasserons la limite des deux degrés de réchauffement, avec des conséquences catastrophiques. Il n’y a pas de temps à perdre.

Mobiliser les moyens disponibles en modifiant la convention

Dès lors, tous les moyens disponibles doivent être mobilisés pour éviter que la crise sanitaire ne débouche sur une crise économique, financière, sociale et écologique. Il est absurde que des dizaines de milliards de francs, destinés aux cantons et à la Confédération, dorment dans les caisses de la BNS. Nous en avons besoin immédiatement, en 2020 et probablement aussi l’an prochain, pour relancer notre économie et pour investir dans la transition écologique. Le fait que la BNS annonce de mauvais résultats pour cette année, comme le feront vraisemblablement tous les acteurs économiques et financiers, n’y change rien. Elle doit contribuer à la sortie de cette crise, car elle en a les moyens. Les réserves sont là pour servir durant les moments difficiles et permettre de les surmonter.

La convention qui limite aujourd’hui la distribution de ces moyens aux collectivités publiques doit dès lors être renégociée, afin de permettre une augmentation proportionnée et ponctuelle de la distribution des bénéfices de la BNS, pour 2020 et 2021. On puisera pour ce faire dans la réserve accumulée, qui le permet, puisqu’elle représente plus de vingt fois le montant prévu aujourd’hui pour un versement annuel. Cet argent est de toute façon destiné aux cantons et à la Confédération, il devrait même être déjà dans leurs caisses, selon notre Constitution. Il permettra aux cantons et à la Confédération d’amorcer des plans de relance, afin de maintenir notre économie à flot, plutôt que des plans d’austérité. Utilisés à bon escient, ces plans de relance pourront contribuer à réorienter notre économie vers un avenir plus durable.

Nous donnerions ainsi au moins une suite positive, à la terrible épreuve que nous traversons.

Crise sanitaire et alimentation : quel sera l’impact du coronavirus sur la politique agricole ?

Nous étions sur le point d’aborder, à la commission de l’économie, la nouvelle politique agricole (PA22+), au moment où le coronavirus a bouleversé nos quotidiens. Il est difficile aujourd’hui de savoir quel impact la crise sanitaire aura sur nos vies à plus long terme, mais on peut imaginer déjà que certains domaines seront plus touchés que d’autres. Ce sera certainement le cas de l’alimentation.

Se rapprocher des producteurs et des produits locaux

Le brutal ralentissement de l’économie, ainsi que le confinement, mettent en effet en lumière l’importance vitale de certaines activités, outre celles qui sont directement liées aux soins des malades. La production de denrées alimentaires en fait partie. Le simple fait, pour ceux d‘entre nous qui travaillent à domicile, de devoir cuisiner plusieurs fois par jour, est un changement important dans notre rapport à la nourriture et aux produits. On a pu constater une hausse des ventes d’œufs, de farine et de levure, alors que beaucoup de ménages commençaient à faire leur pain ou des pâtisseries maison. Après la fermeture des marchés, les consommateurs se sont en outre rabattus nombreux sur la vente directe à la ferme, se rapprochant ainsi des producteurs.

De manière générale, la crise sanitaire a remis en valeur l’économie et la production locales, ainsi que la nécessité de garder la mainmise sur notre approvisionnement, en particulier pour les biens de première nécessité. Les denrées alimentaires en font évidemment partie.

L’attention portée à la sécurité de notre approvisionnement, ainsi qu’à notre degré d’autonomie par rapport à l’étranger, devraient dès lors être renforcée dans les discussions sur la politique agricole. L’Union suisse des paysans s’est déjà exprimée à ce propos en critiquant la PA22+. L’idée d’une intensification de l’agriculture, afin de renforcer la productivité dans nos frontières, a dans ce contexte le vent en poupe.

Réduire le gaspillage et assurer le rendement agricole sur le long terme

Faut-il pour autant renoncer à une agriculture écologique ? Je ne le crois pas. Il y a d’autres moyens, plus durables, pour maintenir notre taux d’approvisionnement et notre autonomie, que l’intensification de la production au détriment de l’environnement. Celle-ci n’est qu’un leurre, puisqu’elle remet en cause les bases même de la productivité agricole, en portant atteinte au climat et à la fertilité des sols, et en polluant nos eaux.

Commençons par agir d’abord sur ce que nous consommons : ce sont deux tiers seulement de notre production ! Un tiers des aliments finit à la poubelle. Avant de prendre le risque d’épuiser nos sols, de souiller nos eaux et de dérégler notre climat avec des pratiques intensives, accordons un minimum de valeur à ce que nous produisons, et cessons de gaspiller le fruit de nos terres et du travail agricole. Cela nous offrirait déjà une belle marge de manœuvre, tout en ménageant la nature et notre porte-monnaie.

Favorisons ensuite les pratiques qui entretiennent les ressources naturelles et qui assurent le rendement de notre agriculture sur le long terme. L’agriculture biologique est déjà bien établie en Suisse et dispose d’un vaste potentiel de développement. L’agro-écologie et la permaculture peuvent aussi être très productives et ne sont d’ailleurs pas le seul visage de l’innovation agricole. Les agro-tech peuvent nous aider à concilier respect des ressources et haut niveau de productivité, à l’image de l’aéroponie, qui permet de produire à haut rendement là où les sols sont de piètre qualité, ou encore de l’utilisation, à la place de la chimie, de la robotique pour lutter contre les mauvaises herbes, ou des insectes auxiliaires pour chasser les nuisibles. Enfin, nous devons mieux protéger nos terres agricoles face à la pression de l’immobilier et des infrastructures. Sans terres à cultiver, il n’y a pas d’agriculture.

Repenser notre autonomie, en misant sur les ressources de nos régions

Nous devons aussi réfléchir à ce que signifie vraiment « plus d’autonomie » dans le domaine agricole. Les méthodes de production intensives ne nous donnent qu’une illusion de productivité, en remettant cette dernière en cause sur le long terme, mais aussi d’autonomie. En effet, elles nécessitent de nombreux intrants, pesticides, engrais minéraux et fourrage concentré, qui sont pour la plupart importés. L’élevage suisse, en particulier de volaille et de porcs, repose sur l’importation de quantités importantes de nourriture pour engraisser les animaux.

Si nous voulons renforcer notre autonomie par rapport aux importations, nous devons donc commencer par adapter notre agriculture – ainsi que notre consommation, cela va sans dire – à ce que peuvent fournir les ressources naturelles de nos régions. De la viande produite en Suisse sur la base de nourriture concentrée importée ne devrait pas être considérée comme étant à 100 % locale. Et, évidemment, le fait d’en produire en plus grande quantité de cette manière ne renforcerait pas vraiment notre autonomie. En agriculture biologique, on cherche au contraire à adapter l’élevage aux capacités de production locales. C’est plus réaliste à tout point de vue. Avec ses vastes surfaces de pâturages, la Suisse a une carte à jouer en la matière, même en respectant les limites de ce que nos régions peuvent offrir.

Considérer également les importations, les intermédiaires et les consommateurs

Dès lors, si nous voulons assurer sur le long terme la sécurité de notre approvisionnement, ainsi que notre autonomie, mieux vaut réduire le gaspillage actuel et miser sur une agriculture durable et innovante, basée sur nos ressources locales, qui préserve leur productivité aujourd’hui comme demain. Évidemment, nous ne pourrons ni avec une telle approche, ni avec une agriculture plus intensive, prétendre à un complet auto-approvisionnement. Mais nous pouvons, nous devons au moins maintenir le taux actuel.

Nous sommes un pays montagneux et densément peuplé, dont seule une petite partie du territoire est cultivable. Nous continuerons, dans tous les cas, à dépendre en partie des importations. Nous devrions considérer également, à l’avenir, leur impact écologique et social, afin de réduire la pression qu’elles effectuent sur nos propres agriculteurs, mais aussi de protéger les ressources et les familles paysannes au-delà de nos frontières.

Enfin, il n’y a pas de politique agricole durable si nous ne tenons pas compte de l’ensemble de la chaîne de valeur agro-alimentaire, jusqu’à la consommation. Les agriculteurs ne fonctionnent pas tout seuls, ils ne peuvent pas être tenus comme les responsables uniques de notre approvisionnement. Ils cultivent et produisent ce que les intermédiaires décident de transformer et de vendre, et ce que nous décidons d’acheter. Les intermédiaires et les consommateurs, dès lors, doivent faire aussi leur part, en luttant contre le gaspillage et en privilégiant les produits locaux et durables.

Crise du coronavirus et plans de relance : vers une économie plus durable ?

Il y a quelques semaines encore, la crise climatique était au cœur de nos préoccupations. Aujourd’hui cependant, la crise sanitaire aigüe que nous traversons place tous les autres enjeux, quelle que soit leur importance, au second plan. Il est indispensable, en effet, que nous consacrions toutes nos forces et toutes nos ressources à combattre le virus et que nous donnions à ce combat la priorité absolue. Cependant, il n’est pas interdit de commencer à réfléchir, aujourd’hui déjà, à l’impact que cette crise sanitaire majeure pourrait avoir à moyen terme, et sur les leçons que nous pourrions en tirer pour affronter la crise environnementale. Celle-ci se rappellera en effet tôt ou tard à notre souvenir.

La transition écologique n’a rien à gagner d’une crise sanitaire, économique et sociale

Le principal lien que l’on a jusqu’ici perçu entre la crise du coronavirus et la crise environnementale concerne la réduction de la pollution de l’air et des émissions de gaz à effet de serre, due au rallentissement des activités économiques. Il est cependant difficile de s’en réjouir sans arrière-pensées. Il faut le dire très clairement : la transition écologique n’a rien à gagner d’une crise sanitaire, économique et sociale. Si l’on se réfère à l’histoire récente, on peut constater que les périodes de difficultés économiques sont peu propices aux avancées environnementales réelles. Une entreprise que la conjoncture met fortement sous pression aura peu de temps et d’argent disponibles pour investir dans des mesures de réduction de sa consommation d’énergie ou de ressources. Il en est de même pour les collectivités publiques. La Confédération vient de libérer, à juste titre, des montants considérables pour soutenir les PME, les indépendants, ainsi que les milieux culturels et sportifs. Ces montants sont maintenant mobilisés et ils pourraient bien être suivis par de nouveaux engagements. Ceci réduit la marge de manœuvre budgétaire de la Confédération dans les autres domaines, dont celui des soutiens à la transition écologique.

Préserver les PME et les indépendants, puis envisager un Green deal

Des voix s’élèvent dès lors aujourd’hui pour que les soutiens à l’économie octroyés par les collectivités publiques soient liés à des critères écologiques. De telles demandes font absolument sens, mais il faut différencier deux étapes. Les mesures de soutien que le Conseil fédéral vient d’édicter sont des mesures d’urgence. Elles visent à éviter des faillites en grand nombre, avec toutes les conséquences sociales qu’elles impliqueraient. A ce stade, ce n’est pas le moment de définir des critères spécifiques, qui favoriseraient certains secteurs ou technologies au détriment d’autres : nous devons tous être solidaires pour tenter de maintenir notre économie, en particulier celle des petites entreprises et des indépendants, à flot. Cette économie de proximité, particulièrement touchée par les mesures de fermeture et de confinement imposées par les autorités, n’est pas une entité abstraite. Elle est composée de milliers de projets et de destinées humaines, du travail accumulé pendant des années et des revenus de très nombreuses familles. Ce n’est pas dans une situation de crise et de rupture, qui génère de la misère économique et sociale, que nous construirons l’économie verte de demain. Une décroissance violente et contrainte est extrêmement risquée et dommageable, dans une perspective de développement durable.

Nous pourrons (re)penser à l’économie verte dans un deuxième temps, une fois que la crise sanitaire sera un tant soit peu sous contrôle et que la résilience de notre économie sera assurée. Des plans de relance seront alors probablement nécessaires. Nous pourrons envisager de les orienter dans le sens d’un « Green deal », sur le modèle européen, en cherchant à créer des emplois et de la plus-value localement ancrés, tout en favorisant la transition écologique de notre économie. Ne l’oublions pas : ce sont nos entreprises qui vont réaliser concrètement cette transition. Elles ne pourront le faire efficacement que dans le cadre d’une économie saine.

Tirer les leçons de cette crise, vers un monde plus durable

De telles discussions avaient déjà eu lieu dans le contexte de la crise financière, qui avait exigé elle aussi la libération rapide de moyens importants pour préserver notre économie, puis dans un deuxième temps la mise en place de plans de relance. Alors déjà les écologistes avaient réclamé des investissements massifs dans les énergies renouvelables et les technologies propres. Ils n’avaient été que partiellement entendus. Depuis lors, les temps ont changé. Beaucoup d’entre nous souhaitent une consommation plus responsable, localement ancrée et orientée sur la qualité de vie, plutôt que sur l’accumulation gaspilleuse du « tout-jetable ». De nouveaux modèles d’affaire, permettant de ménager les ressources, se développent en outre dans une grande diversité de secteurs économiques. Enfin, la prise de conscience quant aux dangers de la crise climatique ne faiblira probablement pas.

Nous aurons de nombreuses leçons à tirer de la crise actuelle, d’un point de vue sanitaire bien sûr, mais aussi, probablement, sur notre manière de vivre ensemble, d’assumer nos responsabilités envers autrui ou d’être solidaires. Espérons que, dans un tel contexte, nous saurons aussi faire des inévitables mesures de relance économique à venir, une opportunité pour aller vers une économie et un monde plus durables.

Responsabilité climatique de la BNS et du secteur financier : un pas dans la bonne direction

La commission de l’environnement du Conseil national vient de terminer le traitement de la Loi sur le CO2. Nous aurons l’occasion d’en découvrir les détails lors de la session de mars, mais j’aimerais me pencher déjà sur un point de la loi qui est central pour la préservation du climat : la reconnaissance des risques financiers liés au changement climatique, dont le projet initial du Conseil fédéral ne disait pas un mot. Cette lacune a été comblée par le Conseil des États, qui a décidé de citer la finance parmi les secteurs devant contribuer à la réduction des émissions de CO2. Il n’a cependant proposé qu’une seule mesure concrète, le nouvel article 47a sur la FINMA et la BNS.

Considérer les risques climatiques comme des risques financiers

L’article 47a demande que la FINMA et la BNS mesurent périodiquement les risques financiers liés au changement climatique et en fassent rapport au Conseil fédéral. Il s’agit d’un point important. En effet, les milieux de la finance et leurs régulateurs reconnaissent aujourd’hui que les risques climatiques sont des risques financiers. En Suisse, la BNS est tenue de contribuer à la stabilité du système financier, et la FINMA au bon fonctionnement des marchés financiers, ainsi qu’à la protection des créanciers, des investisseurs et des assurés. Dès lors, la prise en compte des risques financiers liés au changement climatiques fait logiquement partie de leurs mandats.

Alors que ni la BNS ni la FINMA n’ont pour l’instant pris de mesure concrète pour contrôler ces risques, il est très positif qu’une proposition allant dans ce sens ait passé la rampe au Conseil des États, puis à la commission de l’environnement du Conseil national. La commission, qui reflète les équilibres du nouveau parlement plus vert, est même allée un peu plus loin. Elle ne demande pas seulement de mesurer les risques climatiques, mais de les évaluer. De plus, elle exige que les rapports de la BNS et de la FINMA soient rendus publics et qu’ils comprennent des informations sur les mesures qui pourraient potentiellement être prises pour contrôler les risques climatiques.

Ces propositions ne remettent bien entendu pas en cause l’indépendance de la BNS. Elles précisent uniquement que les risques financiers liés au changement climatique doivent être surveillés et contrôlés, au même titre que d’autres risques sur lesquels la BNS et la FINMA se penchent déjà.

Un premier pas dans le sens des recommandations internationales

L’article 47a constitue une première réponse aux recommandations du « Central Banks and Supervisors Network for Greening the Financial System » (NGFS), un forum regroupant des banques centrales et régulateurs financiers de plus de 45 pays. Ce forum vise à mieux gérer les risques financiers liés au climat et à mobiliser le secteur financier pour favoriser la transition écologique. La FINMA et la BNS en font partie depuis avril 2019.

Huit banques centrales et autorités de surveillance ont déjà manifesté leur volonté de concevoir des tests de stress climatique et des analyes de scénarios pour leurs systèmes financiers. Il s’agit des banques centrales ou autorités de surveillance d’Angleterre, de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Suède, de Chine, de Singapour et du Mexique. Toutes veulent agir, parce qu’elles considèrent que le changement climatique menace potentiellement la stabilité des marchés financiers.

Des stress tests sur la base de scénarios de réchauffement climatique

Conformément au nouvel article 47a, la FINMA et la BNS devraient donc demander aux acteurs financiers, banques et assurances, la divulgation annuelle de leurs risques financiers en lien avec le changement climatique. FINMA et BNS pourraient également élaborer des stress tests des banques et assurances individuelles et du système financier suisse dans sa globalité, sur la base de plusieurs scénarios de réchauffement.

Cette option a déjà été choisie par la Banque d’Angleterre. Celle-ci utilise trois scénarios. Le premier comprend une trajectoire de réchauffement climatique limité à 1,5 degré, impliquant que les mesures nécessaires à l’application de l’accord de Paris sont prises dès maintenant. Un second scénario, plus pessimiste, considère que des mesures contre le réchauffement climatique ne sont prises que tardivement, alors que des dégâts importants auront déjà affecté le fonctionnement de nos sociétés. Enfin, un troisième scénario reflète une situation où rien de sérieux ne serait entrepris, avec à la clé un échec de l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris. Ce dernier scénario implique évidemment un maximum de coûts physiques, alors que celui où des mesures ne sont prises que tardivement débouche sur des coûts de transition importants.

Ces scénarios permettent d’évaluer le degré de résistance des banques et assurances individuelles ainsi que de toute la place financière, en fonction de leur exposition aux risques climatiques. Dans les cas où la stabilité de la place financière pourrait être remise en cause, des mesures doivent être proposées.

Les objectifs de compatibilité climatique manquent encore

L’article 47a de la Loi sur le CO2 n’est cependant pas suffisant. Il n’assure pas qu’une analyse individuelle de la compatibilité climatique des différents acteurs financiers, dont la BNS elle-même, soit rendue publique, mais demande seulement la publication d’un rapport global pour l’ensemble de la place financière suisse. Pourtant, une comptabilité climatique individuelle, par institution, serait nécessaire, afin que les clients, assurés ou investisseurs qui le souhaitent puissent faire des choix éclairés et privilégier les institutions les plus responsables. De plus, l’article 47a n’exige pas formellement que les acteurs financiers, dont la BNS qui gère plus de 800 milliards de francs, rendent leurs flux financiers compatibles avec l’objectif de l’accord de Paris.

Les Verts ont dès lors déposé en commission une proposition demandant que la Confédération convienne, avec les associations de branches des banques, caisses de pensions, assurances et gestionnaires de fortune, des objectifs et des mesures pour rendre les activités d’investissement et de financement de leurs membres compatibles avec l’accord de Paris. Cette proposition a malheureusement été refusée en commission et sera donc présentée en plénum comme une minorité.

Il reste ainsi encore beaucoup à faire, pour que la place financière suisse fasse partie de la solution plutôt que du problème en matière de crise climatique. Les investissements, les crédits et les assurances sont un levier important de la transition énergétique : nous avons besoin de réorienter l’argent aujourd’hui encore capté par les énergies fossiles vers les technologies propres qui feront l’économie de demain. Le secteur financier peut et doit assumer ses responsabilités en la matière, en se mettant, comme les autres branches, en conformité avec l’accord de Paris.

 

 

Chlorothalonil : mettre l’industrie agrochimique face à ses responsabilité

En mai 2019, j’interpelais le Conseil fédéral à propos du fongicide chlorothalonil, que l’Union européenne prévoyait d’interdire du fait de son impact sur la santé humaine et l’environnement. Depuis lors, l’Office fédéral de l’agriculture a entamé la procédure de retrait des autorisations des produits contenant du chlorothalonil et il est interdit dans notre pays depuis le 1er janvier 2020. Il était temps, car cette substance est soupçonnée de causer des dommages à l’ADN. De plus, elle présente un risque élevé pour les amphibiens et les poissons.

Le chlorothalonil pollue notre eau potable

Les problèmes posés par le chlorothalonil ne sont cependant pas résolus. En effet, des résidus problématiques de cette substance, qui avaient été jusqu’ici considérés comme “non pertinents”, ont été détectés dans les eaux potables des cantons de Vaud, Fribourg, Berne, Argovie, Soleure, Schaffhouse et Zurich. La situation est en particulier très préoccupante dans le canton de Soleure, dont plus de la moitié des habitants boivent une eau qui est désormais qualifiée de non conforme, c’est-à-dire dont la valeur limite en matière de résidus de chlorothalonil est dépassée. Cela équivaut à 160’000 personnes concernées pour le canton, un véritable enjeu de santé publique. Dans le canton de Vaud, de nombreux cas de dépassement des normes ont été découverts, notamment dans les régions de Thierrens, Moudon et Echallens. La commune de Lausanne a elle aussi été touchée et a du prendre des mesures. Pour protéger la santé de la population, les communes se voient contraintes de détourner certains captages d’eau potable, de se raccorder à d’autres réseaux ou de mélanger les eaux de plusieurs sources afin de diluer les concentrations de métabolites. Cela peut impliquer des investissements importants.

Une situation qui dure depuis des décennies

Cette situation soulève de nombreuses questions, auquel nous sommes en droit de recevoir des réponses rapides et convaincantes, puisqu’il en va de notre santé et de celle de notre environnement. Il est tout d’abord choquant que nous réalisions aujourd’hui seulement que le chlorothalonil est problématique, alors que ce produit est utilisé couramment depuis les années septante. Il a été à l’époque dûment homologué puis présenté aux agriculteurs, viticulteurs et jardiniers comme un produit sans danger, que ces derniers ont utilisé en toute bonne foi pendant des décennies. Les métabolites qui ont été décelés dans nos eaux potables et pour lesquels on exige aujourd’hui des mesures d’assainissement s’y trouvent probablement depuis longtemps et ont dès lors été ingérés par la population pendant des années, avec un impact sur la santé publique qu’il est difficile voire impossible d’évaluer.

Un cas sur une trop longue liste de pesticides dangereux

Cette situation serait déjà problématique si elle était isolée. Or il n’en est rien. De nombreux pesticides aux noms plus ou moins barbares font polémique depuis quelques années : néonicotinoides tueurs d’abeilles, chlorpyriphos toxique pour le système nerveux et perturbateur endocrinien, glyphosate probablement cancérigène… Certains d’entre eux ont déjà été retirés du marché, mais d’autres continuent à être utilisés, sous la pression de l’industrie agrochimique. Nous avons affaire à un problème global : on a mis sur le marché un grand nombre de produits, alors que l’on n’était visiblement pas en mesure d’évaluer correctement leur impact sur la santé et l’environnement. A aucun moment, le principe de précaution n’a été considéré sérieusement et nous réalisons aujourd’hui seulement que nous avons exposé la population et l’environnement a des substances toxiques pendant des années. Une telle situation exige des mesures fermes, urgentes et globales. Nous avons besoin d’un plan de sortie des pesticides de synthèse, de mesures d’accompagnement fortes pour les agriculteurs et les professionnels qui devront réaliser cette transition et de soutiens à l’innovation pour développer des alternatives efficaces et sûres.

Qui va payer pour les dégâts occasionnés ?

Par ailleurs, la question de savoir qui va porter les coûts de cette situation se pose. Sans même essayer de chiffrer les atteintes portées à la biodiversité, voire celles qui relèvent de la santé publique, parlons déjà de la situation concrète face à laquelle nous sommes dans le cas du chlorothalonil. De nombreux captages d’eau potable sont aujourd’hui condamnés parce qu’ils dépassent les valeurs limites liées à cette substance. Les communes sont tenues de prendre des mesures dans les deux ans pour ce qui concerne les moyens d’assainissement les plus simples, comme le fait de mélanger les eaux de plusieurs provenances, pour diluer les concentrations de résidus de chlorothalonil. Or, dans certains cas, cela ne suffira pas. Des travaux plus importants, plus longs et plus coûteux seront nécessaires. Qui va les financer ? Les communes vont-elles devoir passer à la caisse, alors que la Confédération a failli à sa tâche, en homologuant puis en laissant sur le marché pendant des décennies un produit qui s’avère être aujourd’hui problèmatique pour l’être humain comme pour l’environnement ?

Appliquer le principe de causalité aux coûts liés aux pesticides

Plus fondamentalement, ne devrait-on pas appliquer dans ce cas le principe du pollueur-payeur, inscrit dans notre Constitution et dans nos bases légales ? Les agriculteurs sont aujourd’hui régulièrement cloués au pilori en tant qu’utilisateurs de pesticides. Doivent-ils pour autant passer à la caisse ? Je ne le pense pas. Ils n’ont fait qu’employer des substances dont on leur avait assuré qu’elles étaient inoffensives et qu’on leur a même expressément appris à utiliser pendant leur formation. La Confédération, qui est garante de l’homologation des pesticides, doit assumer ses responsabilités, tout comme ceux qui ont mis ces produits sur le marché, qui ont réalisé des bénéfices pendant des années en les vendant, et qui se battent aujourd’hui, au mépris de la santé publique et de l’environnement, pour pouvoir continuer à le faire. L’industrie agrochimique doit contribuer à la prise en charge des coûts liés à la contamination, par ses produits, de nos eaux potables et de l’environnement.

Sortir de notre dépendance aux pesticides de synthèse

Pendant longtemps, on a perçu les pesticides comme des substances positives, augmentant la productivité et permettant des gains économiques. Aujourd’hui, nous réalisons, pour des substances de plus en plus nombreuses, qu’elles remettent en cause des prestations écologiques indispensables, comme la pollinisation effectuée par les insectes, quand elles ne portent pas atteinte à notre santé. Et que les gains économiques promis pourraient bien être compensé par les coûts réels générés par ces produits. Alors qu’AvenirSuisse évalue ceux-ci à 100 millions de francs par année dans sa dernière publication, notamment du fait des coûts de réhabilitation des captages d’eau potable qui alourdissent considérablement la facture, il est temps de prendre les décisions qui s’imposent. Nous devons sortir, le plus rapidement possible, de notre dépendance aux pesticides de synthèse, développer des alternatives écologiques et économiquement viables pour nos agriculteurs, et appliquer le principe de causalité pour financer les dégâts qui ont, malheureusement, d’ores et déjà été causés.