Climat : la politique d’investissement de la BNS n’est plus une vache sacrée

En décembre 2016, une petite ONG fribourgeoise, les Artisans de la transition, publiait un rapport explosif intitulé « Les investissements de la BNS dans l’industrie fossile aux Etats-Unis : une catastrophe financière et pour le climat ». Ce rapport, qui a été mis à jour plusieurs fois depuis lors, montrait que le portefeuille d’actions de la BNS aux Etats-Unis était investi à plus de 10 % dans les énergies fossiles et engendrait des émissions de CO2 qui doublaient l’empreinte climatique de la Suisse. Non seulement ces investissements contribuaient à la destruction du climat, mais ils avaient en plus causé pour la BNS des pertes de 4 milliards de francs durant les trois années précédentes.

La BNS est au-dessus des accords internationaux

J’interpelais le Conseil fédéral sur cette base, en février 2017. Comment notre banque nationale pouvait-elle investir en totale opposition avec les engagements pris par la Suisse dans le cadre de l’accord de Paris ? Celui-ci exige en effet que les flux financiers soient mis à contribution pour réduire nos émissions de CO2. Le Conseil fédéral me répondait, en substance, « circulez, il n’y a rien à voir ». Il affirmait que les conclusions du rapport des Artisans de la transition n’étaient pas vérifiables et me rappelait que la BNS s’était fixé une directive, selon laquelle elle renonçait à investir dans des actions d’entreprises qui causent, de manière systématique, de graves dommages à l’environnement. Il en concluait qu’elle prenait au sérieux sa responabilité d’investisseur institutionnel. Il me rappelait en outre que la BNS investissait de manière neutre et que ses choix reflétaient donc ceux du marché. Enfin, il affirmait que, la BNS étant indépendante, il ne souhaitait en aucun cas influer sur sa politique de placement.

Je découvrais ainsi que la BNS était au-dessus des accords internationaux. Elle pouvait, sans devoir rendre de comptes à personne, agir en opposition avec les décisions, engagements et politiques publiques de notre pays, qui plus est concernant l’un des enjeux les plus importants de ce siècle. Je déposais alors une initiative parlementaire, en juin 2017, demandant de modifier le mandat de la BNS, pour qu’elle soit au moins soumise aux buts que la Confédération s’est assignés dans le cadre de notre Constitution, en particulier le développement durable et la conservation des ressources naturelles. En décembre 2018, le Conseil national refusait de donner suite à ce texte, évoquant encore une fois la sacro-sainte indépendance de notre banque nationale. Y compris à l’égard de notre propre Constitution.

Le Conseil fédéral est désormais prêt à aborder ces questions

Pourtant, même les tabous les plus solides peuvent être remis en question. Aujourd’hui, le 15 juin 2020, un postulat est soumis au Conseil national, avec de bonnes chances d’y être accepté. Il demande au Conseil fédéral d’établir un rapport, indiquant comment la Banque nationale peut soutenir la Confédération dans la réalisation de ses objectifs de développement durable et quel rôle actif elle peut jouer en matière de coordination des mesures climatiques dans le secteur financier. Non seulement ce texte a obtenu une majorité à la commission de l’économie du Conseil national, mais le Conseil fédéral s’est dit prêt à y répondre, car il « observe depuis quelques temps l’intérêt croissant que suscitent ces questions ».

Il faut dire que depuis 2017, de nombreux collègues, issus de différents partis, m’ont emboité le pas, ont déposé des interventions parlementaires et maintenu une pression décisive sur le Conseil fédéral et sur la BNS. La question des risques climatiques et financiers des investissements carbone a été largement reconnue au sein du secteur financier, mais aussi débattue auprès de l’opinion publique ces dernières années. L’Alliance climat, qui réunit les ONG actives sur ce thème, s’est beaucoup engagée pour sensibiliser le grand public à ces enjeux. Il s’agit finalement d’une question de bon sens, mais aussi d’équité. On ne peut pas demander à la population et aux PME suisses de s’engager pour réduire leurs émissions de CO2, alors que notre banque nationale sape au même moment ces efforts, en investissant massivement dans les énergies fossiles. Enfin, de nombreuses banques centrales, en Europe et ailleurs, ont réagi et pris des mesures, pour contribuer aux engagements de l’accord de Paris. Alors que la BNS et la FINMA ont adhéré au Network of Central Banks and Supervisors for Greening de Financial System (NGFS) – sans pour autant que cela ait débouché sur des mesures concrètes à ce jour – le Conseil fédéral ne pouvait pas continuer à se voiler la face.

La BNS doit tenir compte des risques climatiques

Il ne s’agit pas de s’attaquer à l’indépendance de la BNS, mais simplement de prendre acte du fait qu’elle n’existe pas hors du monde. Elle évolue dans un contexte économique, social et écologique, affecté par des changements rapides. Elle doit en tenir compte dans le cadre de ses propres investissements, tout comme dans l’accomplissement de son mandat au service de l’intérêt général du pays et de la stabilité du système financier.

Le Conseil national vient d’ailleurs d’accepter une modification de la Loi sur le CO2 qui va dans ce sens. Elle exige de la BNS et de la FINMA qu’elles considèrent les risques climatiques dans le cadre de leurs analyses, et qu’elles en fassent régulièrement rapport au Conseil fédéral. Oui, le monde change, et la vague verte est passée par là. Chacun doit faire sa part pour préserver notre climat. La BNS comme les autres.

Adèle Thorens Goumaz

Adèle Thorens Goumaz est conseillère aux Etats verte vaudoise. Elle a coprésidé les Verts suisses entre 2012 et 2016 et siégé au Conseil national entre 2007 et 2019. Philosophe et politologue de formation, elle a obtenu un certificat postgrade en politiques de l’environnement et de la durabilité à l’IDHEAP. Elle a ensuite fait de la recherche et de l’enseignement en éthique et en gestion durable des ressources, puis travaillé comme responsable de la formation au WWF Suisse. Elle siège actuellement à la commission de l’économie, à la commission des finances et à la commission de l’environnement du Conseil des États. Ses dossiers de prédilection sont l'économie circulaire, la finance durable, la transition énergétique, la préservation du climat, l’agriculture et la biodiversité. Plus d’informations sur www.adelethorens.ch

3 réponses à “Climat : la politique d’investissement de la BNS n’est plus une vache sacrée

  1. Vous avez raison d’attirer l’attention sur la BNS.

    Bon, nous ne sommes qu’un petit pays (sauf erreur huitième, selon les indicateurs usuels).

    Mais c’est vrai que l’on peut se demander pour qui elle travaille réellement, surtout après Crypto et le Ministère public!

  2. @ Adèle Thorens Goumaz et Delphine Klopfenstein Broggini

    La métrique du CO2 est devenue hégémonique. Cantonnée autrefois dans la datation à travers la composition isotopique du carbone, elle s’est maintenant imposée dans tous les champs de l’activité humaine. Elle sert à mesurer tout ce que les êtres humains produisent et consomment. Son unité de base est la tonne équivalent-CO2, abrégée, entre autre, en tonne CO2-eq. Bien que son usage soit universel, elle ne figure pas dans les publications du SI – Système International d’Unités, et sa définition même est controversée. Elle est d’ailleurs souvent confondue avec la tonne équivalent-carbone. Une tonne est une tonne, mais une tonne de CO2 ne contient que 12/44 tonne de carbone. La plupart des analystes en parlent en méconnaissance de cause.
    Le succès de cette métrique vient, par le biais de la question du réchauffement climatique, d’un matraquage publicitaire insensé orchestré par le GIEC. Le CO2 anthropique étant de beaucoup la cause principale de ce réchauffement, c’est lui qui va servir d’étalon. Selon le GIEC, la communauté scientifique internationale (à 97 % ! …) aurait établi une loi mathématique stipulant que l’accroissement de température de notre planète est fonction de la tonne CO2-eq produite. Bel exploit! Une loi qui, en bref, contraint impérativement à ne plus produire de CO2 d’ici 2050. Retenez votre respiration et ne faites surtout plus d’enfants …
    Comme dans une enquête policière ratée, le CO2, loin d’avoir eu droit à la présomption d’innocence, a été déclaré ex abrupto coupable de tous nos maux, sans chercher à savoir s’il s’agissait en réalité d’une association de malfaiteurs. A tous les dérèglements du climat dont il a été chargé, se sont ajoutées indirectement les famines, les guerres, les migrations forcées, les épidémies, plus récemment la pandémie, la perte de la biodiversité, … Le racisme et les inégalités homme-femme ne vont pas tarder à compléter la liste sous la plume de nos brillants intellectuels.
    Ainsi, une métrique mal maîtrisée conduit à des propos aberrants, à la tentation de restrictions des libertés démocratiques et même à des formes d’actions violentes. Investissements de la BNS et des places financières dans l’industrie fossile intolérables? Scénario mondial à près de 6 degrés d’augmentation? Conséquences catastrophiques pour l’être humain et l’environnement ? …
    Plus de lumière, SVP.

  3. C’est quand-même curieux: quand Victor Orban en Hongrie tente, pour des raisons nationalistes, de prendre le contrôle sur la banque nationale dans son pays, alors toute la bien-pensance progressiste suisse et internationale – dont font partie les gens comme Mme Thorens-Goumaz -hurle au fascisme, à la violation de la bonne gouvernance etc., l’Union Européenne menace de mettre la Hongrie au ban, de la condamner à des amendes, de la priver de son droit de vote dans l’Union etc. Et maintenant voilà Miss Thorens-Goumaz, de gauche, verte, pro-européenne, qui propose que l’on impose à la BNS des contraintes contraires au principe sacro-saint de l’indépendance des banques nationales. Un principe que son camp politique défend bec et ongles quand il est mis en cause par des gens d’une autre couleur politique qu’elle.

    Cherchez l’erreur !

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