Capter, stocker ou réutiliser le CO2 : quels sont les risques et les opportunités des « émissions négatives » ?

L’année passée, le GIEC a présenté dans son dernier rapport différents scénarios visant à maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 degré, conformément à l’Accord de Paris. Or aucun de ces scénarios ne fait l’économie de mesures de captation et de stockage ou de réutilisation du CO2, que celui-ci soit déjà émis ou encore à émettre dans l’atmosphère[1]. Le solde excédentaire de CO2 déjà émis est en effet considérable, et sa durée de vie est d’une centaine d’années. Pour l’avenir, les volumes évoqués dans les différents scénarios du GIEC sont également gigantesques, de 100 à 1000 milliards de tonnes de CO2 d’ici à la fin du siècle. Une question se pose dès lors, indépendamment de nos efforts pour réduire puis interrompre le plus rapidement possible les émissions encore à venir : comment pouvons-nous faire, pour gérer cet excédent de CO2 que nous avons déjà libéré dans notre atmosphère ? Est-il possible de le neutraliser d’une manière ou d’une autre, en complément des mesures permettant de cesser d’en émettre ?

Réduire nos émissions à venir, neutraliser celles du passé

Certaines nouvelles technologies tentent de capter le CO2 dans l’atmosphère ou alors, plus simplement, directement là où il est émis, par exemple dans les cimenteries. Le CO2 pourrait ensuite être stocké dans les couches géologiques, ou revalorisé dans de nouveaux usages, dans une perspective d’économie circulaire. Il existe en effet des débouchés pour le CO2, qui peut très bien être considéré comme une matière première, plutôt que comme un polluant ou un déchet, par exemple dans l’industrie chimique ou la construction[2]. Il serait aussi envisageable d’améliorer le stockage de CO2 en s’appuyant sur les services que nous offrent la nature, puisque les forêts ou les zones humides peuvent y contribuer, tout comme les sols de bonne qualité, pour autant qu’ils soient favorisés par des pratiques agricoles adéquates.

Ce ne sont là que des pistes, dont nous ne savons encore pas grand chose, ou en tous les cas pas assez, et dont le potentiel, tout comme les risques, nous échappent en grande parie. Les défis techniques, écologiques, sociaux et financiers qui leur sont liés sont immenses. La communauté scientifique reconnaît les limites actuelles de notre connaissance et appelle à un renforcement de la recherche dans ce domaine, tout en soulignant évidemment que ces technologies ne peuvent en rien remplacer des mesures drastiques de réduction des émissions de CO2 à la source[3].

Le Conseil fédéral accepte de se pencher sur le sujet

Il fait dès lors sens d’évaluer le potentiel, ainsi que les bénéfices et les risques associés à ces  « émissions négatives », dans la foulée du dernier rapport du GIEC. J’ai dès lors demandé au Conseil fédéral de faire le point à ce sujet, ce qu’il a accepté, tout comme le Conseil national.

Les questions suivantes pourraient notamment être abordées. Dans quelle mesure est-il envisageable de miser sur les « émissions négatives », parallèlement aux mesures de réduction des émissions de CO2 ? Quel est le potentiel réel de ces technologies en matière de lutte contre les changements climatiques et que peut-on raisonnablement en attendre ? Que peut-on dire du bilan environnemental et énergétique, ainsi que de la faisabilité technique, sociale et économique, des différentes voies possibles de captage, de stockage et de réutilisation du CO2 ? Quelles en sont les opportunités (notamment en termes d’innovation pour notre pays), mais aussi les risques ? Quelles recherches sont encore nécessaires ? Quels sont les acteurs à impliquer ? Quelles conditions-cadres, politiques publiques et solutions de financement pourraient-elles favoriser les options considérées comme valables ?

Il est à noter que ma demande ne concerne pas les technologies dites de géo-ingénierie, qui visent à intervenir sur les systèmes complexes d’équilibrage des températures de notre planète, pour réduire le réchauffement. Ces technologies me semblent, en tous les cas à ce stade, peu convaincantes et comportent surtout des risques d’une trop grande ampleur.

Préserver l’avenir de nos enfants durant la transition énergétique

La génération de nos enfants sera la première concernée par les résultats de ces réflexions. En effet, elle va devoir réaliser la transition énergétique que notre génération aura à peine, et bien tardivement, amorcée. Elle aura aussi à affronter de plein fouet les conséquences des changements climatiques, car quelles que soient les mesures que nous prendrons dans les années à venir, les émissions de CO2 excédentaires déjà présentes dans notre atmosphère auront un impact, et ce sur plusieurs décennies.

On peut se montrer méfiant ou sceptique face aux technologies de captation, de stockage ou de réutilisation du CO2. Certains considèrent que leur principal risque est de nous faire croire que nous pourrions continuer comme avant, en neutralisant nos émissions passées et à venir. Cette option est toutefois totalement irréaliste. Même si certaines d’entre elles pourront probablement être développées, ces nouvelles technologies auront toujours un potentiel limité : elles ne nous dispenseront pas de nous émanciper des énergies fossiles.

Par contre, elles pourraient jouer un rôle central, si elles nous permettaient de réduire plus rapidement les concentrations actuelles de CO2, afin d’éviter que nous atteignons dans les années à venir un pic de réchauffement dépassant les deux degrés, et entraînant dès lors des conséquences catastrophiques. Car ce seront nos enfants qui en seront les victimes. Cette seule raison justifie que nous prenions ces nouvelles technologies au sérieux et que nous essayons d’en tirer le meilleur parti possible, parallèlement aux mesures incontournables de transition vers une société libérée des énergies fossiles.

[1]Voir notamment à la page 19 du résumé pour les décideurs du dernier rapport du GIEC, publié en octobre 2018 : https://report.ipcc.ch/sr15/pdf/sr15_spm_final.pdf

[2]Ce changement de perspective n’est pas si étonnant. Après tout, le CO2 est même utilisé dans certains de nos produits les plus quotidiens, en petites quantités évidemment, par exemple dans les boissons ou pour la conservation des aliments.

[3]https://sciencesnaturelles.ch/uuid/d7a7276e-3c30-5438-95b5-dd65cbc84520?r=20190205110021_1553525490_fbe19747-a43f-5e94-a05a-44031bdb4910

 

Adèle Thorens Goumaz

Adèle Thorens Goumaz est conseillère aux Etats verte vaudoise. Elle a coprésidé les Verts suisses entre 2012 et 2016 et siégé au Conseil national entre 2007 et 2019. Philosophe et politologue de formation, elle a obtenu un certificat postgrade en politiques de l’environnement et de la durabilité à l’IDHEAP. Elle a ensuite fait de la recherche et de l’enseignement en éthique et en gestion durable des ressources, puis travaillé comme responsable de la formation au WWF Suisse. Elle siège actuellement à la commission de l’économie, à la commission des finances et à la commission de l’environnement du Conseil des États. Ses dossiers de prédilection sont l'économie circulaire, la finance durable, la transition énergétique, la préservation du climat, l’agriculture et la biodiversité. Plus d’informations sur www.adelethorens.ch

6 réponses à “Capter, stocker ou réutiliser le CO2 : quels sont les risques et les opportunités des « émissions négatives » ?

  1. Bravo, chère Adèle, pour votre candidature.
    Les verts peuvent compter sur mon vote (si le e-vote est toujours en fonction, car la poste depuis l’Uruguay…).
    Verts libéraux, une farce depuis le oui au mitage.

    Et on espère une marée verte pour déculotter le PLR (l’UDC aussi).
    J’ai toujours préféré l’original à la copie et les susmentionnés peuvent toujours tourner leur veste, au mieux elle sera vert de gris, suerte!
    🙂

    1. P.S. A la base, un parti, c’est prôner ses idées et être élu, peut-être, en fonction du nombre de citoyens-votants qui croient aux mêmes et que vous avez pu convaincre.

      Maintenant, on a dévié la démocratie et les partis cherchent à voir ce qui pourrait plaire à leurs électeurs.
      C’est une farce au pays de la politique de milice…!
      (mais ça vient des lobbies et c’est valable aussi ailleurs)

    2. Chère Adèle, je vous entends par hasard sur un podcast.
      Mais si vous croisez à nouveau le fer avec M. Page, glissez lui à l’oreille (ou une balle entre les deux yeux) que le loup n’attaque jamais l’homme à 99%.

      Il est trop bête ce Monsieur, ils sont comme ça, les politiques?
      Bon courage 🙂

  2. Capter le CO2 est une mesure extrêmement chère et inutile . Dans tous les cas , à court terme, on ne pourra en capter qu’un infime pourcentage . De plus, personne ne voudra se ruiner pour une opération sans garantie de succès.
    La meilleure option immédiate est la plantation de forêts ou autres végétaux absorbant le CO2.
    Le GIEC ne prend pas en considération les variations naturelles et son rapport en est faussé !

    1. Ne disiez-vous pourtant pas, tantôt, cher Hubert, que le CO2 est une farce?

      Alors, suis d’accord avec vous, le CO2 n’est que la partie visible de l’Iceberg climatique et Madame Thorens se focalise peut-être trop là-dessus, certes.

      Mais femme parlementaire, même homme, perso, je n’ai aucune expérience, mais ce ne doit pas être de tout repos.

  3. Je vous félicite pour votre engagement dans cette problématique incontournable. Non seulement il faudra tenter de resoudre ce vaste aspect physio-chimique et biologique du problème climatique, mais il faudra aussi réajuster notre economie mondiale visiblement partie dans une dérive actionnariale aveugle.

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