Face aux évolutions internationales, la Suisse doit élaborer un plan d’action pour la finance durable

La finance durable est un mouvement de fond. L’Union européenne a publié un ambitieux plan d’action sur le sujet[1]. L’Allemagne vient d’annoncer qu’elle veut devenir leader de la finance durable et développer un plan d’action dans ce sens. Le Luxembourg se veut le pionnier du développement de produits financiers durable. La France légifère en la matière et a créé une association faîtière, Finance for Tomorrow, tout comme le Royaume Uni (Green Finance Initiative) ou Singapour (Asia Sustainable Finance Initiative). Des organisations internationales comme l’ONU, l’OCDE ou le G20 se penchent sur le sujet. Ce n’est pas un hasard : l’Accord de Paris exige en effet que les flux financiers soient rendus compatibles avec un développement économique à faible impact carbone. Enfin, la nouvelle génération et en particulier les millenials se préoccupent de l’impact de leurs investissements sur l’environnement. Bref, partout dans le monde, des investisseurs intègrent des critères de durabilité dans leurs décisions d’investissement.

Une étude de PwC le montre : la Suisse sera touchée par ces évolutions

Une étude de PwC et du WWF[2]montre que ces transformations auront un impact décisif sur la place financière suisse. Voici sa conclusion : « In short, if Switzerland does not move decisively now, it will face major economic and reputational risks. If it does take prompt action, it will enable the Swiss financial sector to tap into a growth market rich in opportunity. » 

La Suisse doit dès lors anticiper sur cette évolution et ne pas rester les bras croisés alors que les places financières concurrentes bougent, sous l’impulsion de politiques publiques plus claires que dans notre pays. Elle y sera de toute façon contrainte, tôt ou tard, si elle veut appliquer l’accord de Paris sur le climat de manière crédible. Le Conseil fédéral reconnaît certes la finance durable comme une opportunité, mais il a refusé jusqu’ici de prendre des mesures concrètes, considérant que c’est aux acteurs financiers de le faire de manière volontaire. Mais le vent tourne : sous la pression des manifestations pour le climat, le Conseil des Etats a, contre l’avis du Conseil fédéral et du Conseil national, introduit le secteur financier parmi les domaines touchées par la Loi sur le CO2, au moins au niveau des principes. Il faut dire que la réalité montre que l’engagement volontaire, qui a été la règle jusqu’ici en Suisse, reste insuffisant. En effet, les acteurs financiers de notre pays, dont la BNS et les caisses de pensions, continuent, à quelques exceptions près, à investir dans les énergies fossiles. D’après l’Alliance Climat, leurs poids carbone multiplie par vingt les émissions de CO2 générées en Suisse par nos activités usuelles (mobilité, chauffage, alimentation, production, etc).

La Suisse doit anticiper et se préparer à la transition vers une finance durable

Notre pays doit dès lors veiller à ne pas manquer ce tournant, pour des raisons écologiques bien sûr, mais aussi économiques. Il s’agit en effet d’en saisir les chances, face aux places financières concurrentes. Dès lors, j’ai demandé au Conseil fédéral de fournir un rapport qui pourrait servir de base à un plan d’action dans ce domaine. C’est ce que recommande PwC dans son étude. La Suisse doit mettre sur pied un plan d’action pour la finance durable, qui devrait inclure « des mesures législatives et incitatives pour que la Suisse retrouve un rôle de premier plan dans le domaine de la finance durable ».

A mes yeux, voici ce qu’un tel rapport devrait contenir pour que la Suisse puisse, sur cette base, mettre sur pied un plan d’action crédible :

  • Etat des lieux des évolutions des conditions cadres et des marchés, en lien avec la prise en compte de la durabilité, dans les places financières européennes et auprès des plus importants concurrents de la place financière Suisse.
  • Implications de ces évolutions, y compris la soft law, en particulier au niveau du plan d’action sur la finance durable de l’UE, sur l’équivalence juridique de la Suisse, sur sa compétitivité et sur son accès au marché ; manière dont l’équivalence juridique, la compétitivité et l’accès au marché de la Suisse peuvent être assurés à moyen et à long terme.
  • Freins potentiels, dans les conditions-cadres actuelles, à une adaptation judicieuse du secteur financiers à ces évolutions, ainsi que mesures pouvant être prises, de manière volontaire ou au-delà, pour accompagner intelligemment la branche et lui permettre de saisir les opportunités de la transition qui est en cours, partout dans le monde, vers une finance plus durable.

Ma demande a été signée par des politiciens de tous les partis, à l’exception de l’UDC, ce qui est un signal très positif. La balle est désormais dans le camp du Conseil fédéral. La Suisse et sa place financière ont singulièrement manqué de vision et d’anticipation lors des récentes évolutions internationales sur le secret bancaire. Leur position attentiste et réactive nous a coûté cher. Il faut espérer qu’il en sera autrement avec la nouvelle transition que le secteur a commencé à effectuer à l’échelle mondiale, vers une finance plus durable.

[1]Ce plan d’action comporte notamment des mesures de transparence et de normalisation sur l’impact des investissements en termes de durabilité, des exigences concernant l’intégration de critères de durabilité dans la gestion des risques dans le domaine financier, ainsi que des prescriptions sur l’information à donner aux clients dans ce domaine.

[2]www.pwc.ch/actionplansustainablefinancepaper

 

Adèle Thorens Goumaz

Adèle Thorens Goumaz est conseillère aux Etats verte vaudoise. Elle a coprésidé les Verts suisses entre 2012 et 2016 et siégé au Conseil national entre 2007 et 2019. Philosophe et politologue de formation, elle a obtenu un certificat postgrade en politiques de l’environnement et de la durabilité à l’IDHEAP. Elle a ensuite fait de la recherche et de l’enseignement en éthique et en gestion durable des ressources, puis travaillé comme responsable de la formation au WWF Suisse. Elle siège actuellement à la commission de l’économie, à la commission des finances et à la commission de l’environnement du Conseil des États. Ses dossiers de prédilection sont l'économie circulaire, la finance durable, la transition énergétique, la préservation du climat, l’agriculture et la biodiversité. Plus d’informations sur www.adelethorens.ch

4 réponses à “Face aux évolutions internationales, la Suisse doit élaborer un plan d’action pour la finance durable

  1. Bravo, excellente démarche. On verra la réponse de vos collègues (de leur lobbys).
    L’attitude du CF à laisser la soi disante « volonté des acteurs d’agir librement » peut se comprendre, mais ces acteurs agissent avec une prudence peut être excessive (helvétique ?) face à l’actualité, au risque que leur activité intrinsèque soit malmenée.
    Il y a incontestablement une tendance de fond mondiale en réaction aux conséquences multiples de notre activité économique sur l’environnement qu’une adaptation raisonnée de notre économie est impérative.

  2. Belle initiative et amusant aussi de voir… “Où les verts font la leçon à la finance” (on peut dire internationale), à commencer par la BNS.
    🙂

    P.S. Bon, il serait temps qu’un organisme sérieux, démontre que ce parti de l’UDC ne sert à rien, voire même qu’il travaille au service d’intérêts particuliers, en dupant le bon suisse patriote!

    1. P.S.2
      Et à propos de parti, veillez au grain. Je vois que Madame Rebecca Ruiz est élue par abandon et une femme c’est très bien et ça me convient.

      Mais il ne faudrait pas que le gouvernement vaudois devienne une affaire de famille, bon c’est dans la nature vaudoise, les petits copains, mais c’est pas sain!!!!

  3. Il faudrait d’abord une volonté internationale de coopération autant du point de vue de la sécurité que des règles économiques pour faire avancer le sujet climatique. Avec des chefs d’Etat comme Trump, Poutine, Xi Jinping, Erdoğan, …. on n’en prend pas le chemin !

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