Au-delà des vaches à cornes : quel élevage voulons-nous à l’avenir ?

Le 25 novembre, nous voterons pour savoir si les éleveurs qui laissent leurs cornes à leur bétail pourront recevoir des subventions à cet effet. Le sujet peut paraître folklorique. Pourtant, à partir d’une question très spécifique, l’initiative pour les vaches à cornes nous laisse entrevoir le débat plus fondamental que nous aurons prochainement sur l’avenir de l’élevage.

La loi exige de protéger la dignité et le bien-être animal

Notre loi sur la protection des animaux est stricte, du moins dans son énoncé. Elle vise à protéger la dignité et le bien-être des animaux (article 1 LPA). Cela signifie, entre autres, que la valeur propre de l’animal doit être respectée, qu’il ne doit pas subir des interventions qui modifient profondément ses capacités et qu’il ne doit pas être instrumentalisé de manière excessive. Les fonctions corporelles et le comportement des animaux ne devraient pas être perturbés, ni leur capacité d’adaptation biologique sollicitées de manière excessive. Les animaux doivent ainsi pouvoir se comporter conformément à leur espèce. Enfin, les douleurs, maux, dommages et anxiétés doivent leur être épargnés (article 3 LPA).

Une étude récente de la Faculté Vetsuisse de l’Université de Berne a montré que l’écornage impliquait des souffrances pour les animaux. Par ailleurs, on sait que les cornes jouent un rôle dans les relations sociales et hiérarchiques des bêtes[1]. Ces considérations, mises en rapport avec les exigences de la loi sur la protection des animaux, devraient déjà nous inciter à soutenir l’initiative pour les vaches à cornes, puisqu’elle répond de manière cohérente aux bases légales en vigueur en matière de protection des animaux. Elle est même particulièrement modérée, puisqu’elle n’interdit rien, mais récompense seulement les agriculteurs qui laissent leurs cornes à leur bétail.

L’écornage est le symptôme d’une intensification de l’élevage

Mais la discussion ne s’arrête pas là. Selon l’ordonnance de la loi sur la protection des animaux, ceux-ci doivent être traités et détenus de manière à respecter les besoins de leur espèces : ni leurs fonctions corporelles, ni leur comportement ne doivent être gênés (article 3 OPAn). Or pourquoi écorne-t-on les vaches ? Pour minimiser les risques de blessures lorsqu’elles sont détenues en grand nombre[2]. L’écornage est dès lors le résultat d’une démarche qui va à l’opposé des exigences de la loi sur la protection des animaux. Plutôt qu’adapter les conditions de soins et de détention aux besoins de l’espèce, on adapte l’animal lui-même aux structures de détention. Ainsi, il est possible de détenir un plus grand nombre d’animaux dans une même surface.

L’écornage n’est donc qu’un symptôme, parmi bien d’autres, d’une tendance à l’intensification de l’élevage, qui se fait souvent au détriment du bien-être et de la dignité des animaux. Chaque année en Suisse, 50 millions d’animaux sont élevés et abattus, après une vie qui ne dépasse souvent pas quelques mois, pour répondre à notre appétit pour la viande. Lorsqu’on élève autant de bêtes, dans un pays où la concurrence pour l’usage des sols est très élevée, la pression est forte pour concentrer les animaux dans des espaces les plus restreints possibles. La pression est aussi forte sur les prix, ce qui permet d’ailleurs une consommation aussi élevée de viande (cinquante kilos par personne et par année). Les produits locaux sont soumis à la concurrence d’importations à bon marché, issues d’élevages qui ne correspondent en rien à nos standards. Ceci exige un effort de rentabilité permanent de la part des paysans. Les plus petites exploitations disparaissent ainsi au profit d’exploitations plus importantes, où se concentrent un plus grand nombre d’animaux.

Dans un tel contexte, ce n’est pas seulement l’écornage des vaches que l’on doit dénoncer, mais aussi la situation de poulets élevés dans des halles par dizaines de milliers, à raison de dix-sept poulets par mètre carré, ou de porcs dont on tolère la détention d’une dizaine d’individus sur une surface équivalente à une place de parking. Nombre de ces animaux n’auront jamais l’occasion, durant leur courte vie, de s’ébattre librement dans un champ, à la lumière du soleil, comme nous le représente pourtant systématiquement la publicité. Une agriculture familiale, à taille humaine et localement ancrée, où les paysans connaissent bien leurs bêtes, est aussi mise à mal.

Un élevage respectueux des animaux sert aussi notre santé, le climat et la biodiversité

Aujourd’hui, le degré de sensibilité et d’information du public évolue rapidement sur ces questions[3]. Une initiative populaire contre l’élevage intensif a été lancée en juin 2018. Elle demande que les exigences de l’agriculture biologique soient imposées en Suisse à l’ensemble de l’élevage, dans un délai de vingt-cinq ans[4]. On n’a donc pas fini de parler du bien-être animal dans l’agriculture : après celui des vaches, c’est le sort de l’ensemble des animaux de rentes qui va occuper les citoyens suisses.

Ce débat dépasse d’ailleurs largement la question de la bientraitance animale. Il y a un lien entre notre surconsommation de viande et la production intensive. Pour sortir de cette dernière, nous devrons vraisemblablement réduire notre consommation à un degré plus raisonnable. Ce faisant, nous pourrons plus facilement nous offrir des produits carnés locaux, de bonne qualité et respectant des critères de bien-être animal élevés. De plus, nous améliorerons notre santé et notre qualité de vie, puisque nous consommons actuellement entre deux à quatre fois trop de viande, d’un point de vue strictement sanitaire[5]. Nous contribuerons aussi à la lutte contre le réchauffement climatique, puisque l’élevage émet à l’échelle mondiale autant de CO2 que le secteur des transports. Enfin, nous nous engagerons pour la biodiversité, car un élevage à plus petite échelle, suivant les critères de l’agriculture biologique, se base sur les ressources locales et évite l’importation de produits issus de la déforestation, comme le soja, pour nourrir les animaux de rente.

Réjouissons-nous donc de voter sur les vaches à cornes, car cette discussion n’a rien d’anecdotique. Elle inaugure au contraire un débat démocratique plus vaste. La vraie question est de savoir quel type d’élevage nous voulons en Suisse à l’avenir.

[1]Pour tout savoir sur le rôle des cornes chez les bovins, cette excellente brochure du FIBL intitulée « L’importance des cornes chez la vache » : https://shop.fibl.org/CHfr/mwdownloads/download/link/id/736/?ref=1

[2]« Un animal a besoin de plus ou moins d’espace, selon qu’il a des cornes ou non. Dans le cas d’animaux à cornes, la distance que les individus de rang inférieur observent vis-à-vis de ceux de rang supérieur varie de un à trois mètres. Sans cornes, cette distance est d’au maximum un mètre. », Brochure du FIBL « L’importance des cornes chez la vache », page 11.

[3]Selon un sondage Isopublic, 87% des Suisses jugent le bien-être des animaux dans l’agriculture «important» ou «très important».

[4]https://massentierhaltung.ch/fr/

[5]Il s’agit des conclusions d’une enquête de l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Lausanne, menée sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique.

Adèle Thorens Goumaz

Adèle Thorens Goumaz est conseillère aux Etats verte vaudoise. Elle a coprésidé les Verts suisses entre 2012 et 2016 et siégé au Conseil national entre 2007 et 2019. Philosophe et politologue de formation, elle a obtenu un certificat postgrade en politiques de l’environnement et de la durabilité à l’IDHEAP. Elle a ensuite fait de la recherche et de l’enseignement en éthique et en gestion durable des ressources, puis travaillé comme responsable de la formation au WWF Suisse. Elle siège actuellement à la commission de l’économie, à la commission des finances et à la commission de l’environnement du Conseil des États. Ses dossiers de prédilection sont l'économie circulaire, la finance durable, la transition énergétique, la préservation du climat, l’agriculture et la biodiversité. Plus d’informations sur www.adelethorens.ch

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